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Après la revendication du
rapatriement des crânes, voilà de retour celle du canon Baba Merzoug, érigé en colonne sur la rade de Brest. Il y a là
certainement un sujet légitime qui est celui du retour des œuvres d'art ou
autres objets à valeur mémorielle dans les pays qui ont été spoliés. Mais le
crier avec le bruit assourdissant du nationalisme, c'est toujours vouloir
camoufler le caractère sélectif de son indignation.
Oui, la spoliation des œuvres d'art, propriétés des anciens pays colonisés, n'est en aucune manière illégitime. Les traités internationaux, en particulier l'un d'eux que nous rappellerons, en précisent les contours sans cependant établir des obligations formelles. Ce sujet intéresse, bien entendu, surtout les pays dont nous venons de délimiter l'identification. Mais des litiges de cette sorte, il en existe pour bien d'autres cas comme celui de la Grèce récemment. Les musées ainsi que les États et collectivités locales du monde entier sont confrontés assez régulièrement à ce type de revendications. Il est nécessaire au préalable, même si cela a été fait dans de très nombreux articles, de rappeler ce qu'est cette affaire de Baba Merzoug. Puis d'en poser le cadre juridique pour terminer avec l'objectif final de cet article, celui qui le justifie. Barba Merzoug, «La consulaire» Appelé Baba Merzoug (le père béni) par les Algériens et La consulaire par les Français, l'imposant canon trônait majestueusement à l'entrée du port d'Alger pour signifier la puissance du Dey d'Alger. Totalement symbolique, sans grand intérêt guerrier, en tout cas pas à le mesure de sa corpulence, il devient célèbre en 1683 par la mort du père Le Vacher qui fut ligoté à la bouche du canon et exécuté. Ce geste faisait suite à l'attaque des troupes française qui voulaient arrêter la piraterie maritime en Méditerranée de la puissance ottomane. En 1686, quelques années après, c'est au tour du consul français de subir le même sort. C'est cet épisode qui va donner le nom «La Consulaire» au fameux canon qui n'avait tiré jusque-là que quelques rares salves. Le canon n'a donc pas un caractère artistique si évident au regard de la convention de La Haye, mais il est vrai qu'il représente un objet symbolique de l'histoire algérienne quel que soit le sentiment porté à cette conquête qui, on l'oublie assez facilement, est coloniale. Après tout, dans un geste d'équivalence, la Turquie pourrait très bien le réclamer si on va jusqu'au bout du raisonnement. D'abord une histoire de conflits guerriers La question de la spoliation des œuvres d'art est loin d'être contemporaine aux colonies. Dès l'an 70 avant J.-C., Cicéron revendiquait la restitution des œuvres spoliées par le gouverneur romain Verès, accusé de détournement des biens publics. La circulation des biens culturels, leur destruction et leur spoliation ont toujours eu pour source les conflits armés. Raison pour laquelle la question des spoliations a été le fait du droit de la guerre. Ainsi les textes juridiques à portée internationale ou nationale ont été toujours le fait des périodes qui ont succédé aux conflits armés. On retrouve un épisode fort de cette question après la défaite de Napoléon. Mais c'est la leçon de la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle il y eut une destruction massive des biens culturels ainsi que des spoliations par le régime nazi, qui sera le grand départ de ce questionnement. Le 14 mai 1954, sous l'impulsion de l'UNESCO, est signée la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflits armés (dite Convention de La Haye). On voit bien là la continuité de la base doctrinale ancienne qui relie la question de la circulation et de la protection des biens culturels aux conflits armés. Il n'est pas question dans cet article de rédiger un traité de droit international portant sur les restitutions des biens culturels mais juste la nécessité de rappeler que si les périodes post-conflits guerriers sont propices aux traités, il en va autrement pour les considérations nationales en temps de paix. La question est avant tout nationale Contrairement à ce que j'ai souvent lu dans des commentaires de presse, la Convention de La Haye, comme il est le cas la plupart du temps pour de nombreux traités est un cadre qui demande aux États de s'engager dans des législations nationales pour créer les conditions de protection des œuvres d'art. Par ailleurs, elle définit les œuvres d'art et précise les différences de terminologie entre la «restitution» et le «retour». Ainsi ce sont les législations nationales qui vont former la base juridique sur la question des retours et restitutions des œuvres d'art. C'est se faire une grande illusion que de croire en la suprématie de la Convention de La Haye. De nombreux accords internationaux ont été signés mais le désamorçage des conflits reste une question de négociations bilatérales et d'intérêts nationaux. L'affaire de Baba Merzoug ne dérogera pas à la règle, inutile de monter sur de grands chevaux pour bandir, à chaque discours ou article, le droit international. Le droit des œuvres d'art est dans la législation française lié au droit de propriété patrimoniale et a pour principe premier l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité. L'article 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques affirme «Les biens des personnes publiques qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles.» D'une manière plus spécifique, la loi du 4 janvier 2002, codifiée à l'article 451-5 du Code du patrimoine, affirme que «Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables.» Il ne peut donc y avoir à ce sujet que des grandes décisions politiques, toujours circonscrites à des cas particuliers et impulsées par une forte volonté politique. Celle-ci étant, bien entendu, toujours guidée par un arbitrage entre l'intérêt des pays à négocier et la sauvegarde du patrimoine national. Ce fut le cas récemment par la déclaration, en Afrique, du président français Emmanuel Macron. Dans son discours devant l'université Ki-Zerbo de Ouagadougou, en novembre 2017, le président français avait déclaré que les jeunes Africains devaient jouir sur place des œuvres artistiques appartenant à leur histoire. Fera suite le rapport demandé par le président à deux universitaires, Felwine Sarr, écrivain et économiste sénégalais, et Bénédicte Savoy, historienne de l'art française. Le rapport fut remis en novembre 2018, appelant à de vastes restitutions des œuvres arrivées en France pendant l'époque coloniale. Une nouvelle loi fait un pas vers une tentative d'accélérer les retours. Il y d'ailleurs eu la volonté d'inscrire dans le texte le mot «retour» et non «restitution» car ce dernier fait référence à une spoliation. Mais en 2020, on ne constatait qu'un seul sabre rétrocédé au Sénégal et vingt-six objets au Bénin. D'autres restitutions symboliques suivirent mais il ne faut pas s'illusionner sur des flots à venir. Il est bien évident que cette affaire restera toujours un équilibre entre les intérêts nationaux, donc de la négociation des contreparties, et de la préservation des œuvres d'art selon leur caractère général d'inaliénabilité et imprescriptibilité. Et le retour des milliards spoliés ? Je me méfie toujours lorsqu'un régime politique se lance dans des considérations culturelles en brandissant l'étendard de la fierté nationale. Tous les régimes autoritaires ont usé de cet artifice pour un appel au sentiment national, une unité derrière... le régime politique, garant du retour de la dignité nationale. Oui, mille fois oui, il est légitime de réclamer à la France la restitution des biens spoliés (le retour dirons-nous selon la distinction sémantique de l'UNESCO, plus conforme au cas de Baba Merzoug). Mais je ne hurlerais jamais avec le régime qui attiserait mon sentiment national aux seules fins de son renforcement, aux côtés des naïfs. Oui, certains biens culturels doivent retourner à l'Algérie mais je voudrais bien que ce régime politique s'affaire avec autant de fougue et de force en voulant rapatrier d'autres biens nationaux qui ont été spoliés au peuple algérien. Je souhaiterais qu'il mette tous ses efforts à restituer au peuple algérien (là, la sémantique de la restitution est valable) les centaines de milliards qui lui ont été dérobés. Je voudrais bien que l'Algérie signe la convention sur l'échange international des données bancaires impulsée par l'OCDE. J'attends qu'elle mette autant de zèle à réclamer des investigations aux autorités judiciaires des pays étrangers. La seconde république sera légitime, si elle a du temps à perdre pour faire diversion, à réclamer un canon qui, en dehors des deux morts consulaires, n'a servi qu'à l'esthétique du port d'Alger. Ce vieux canon rouillé, aujourd'hui surplombé d'un ridicule coq. Et puis, si on m'oppose la valeur sentimentale, j'ai dû rater un épisode dans ma culture historique. Je ne savais pas que le mouvement national algérien vouait un culte à la puissance guerrière ottomane. C'est nouveau ou je n'ai rien dû comprendre, encore une fois, au cours d'histoire en arabe, par lequel on a essayé de m'embrigader. Oui, si nous faisons abstraction de mon propos volontairement provocant, les nations sont dans leur droit et légitimité à vouloir récupérer ce qui leur a été spolié. Même si c'est Baba Merzoug qui, le lecteur l'a compris, ne me paraît pas prioritaire au retour des milliards et des brigands qui ont dépouillé un pays jusqu'à la dernière guenille. L'indignation et la réclamation seront donc d'autant plus justifiées lorsque ce sont des Algériens qui l'ont spoliée, parfois ceux-là mêmes qui prônent un nationalisme fougueux avec le drapeau brandi, la main sur le cœur et la voix haute du chant patriotique. Baba Merzoug, su tu dois retourner un jour en Algérie, reviens avec un excédent de bagage, celui du patrimoine spolié. Je sais bien que le poulet est cher sur les marchés algériens, mais tu ne vaux pas tant de peine et tu ne compenseras pas le dénuement des Algériens des biens qui leur ont été spoliés par leurs compatriotes. La seule référence qu'ils n'aient jamais évoqué dans mon esprit, avec l'image du coq perché sur Baba Merzoug, c'est le verbe déplumer. *Enseignant |
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