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4ème partie
Et paradoxalement, même à l'intérieur de l'Université, ce débat est considérablement entaché, «saupoudré», lesté et «fardé» de présupposés politiques et idéologiques. Il en est même qui, soit-dit en passant, voudraient remonter aux sources mêmes du punique en ahanant littéralement à vouloir pour ce faire trouver quelques subterfuges théoriques dans le but d'évincer - ipso facto - la langue arabe de son indiscutable statut académique. Pour quelles fins, sinon celles - plus ou moins inavouées- d'ouvrir toute grande la porte à un «sabir» de quatre sous, indigeste, obsolète et radicalement mièvre? D'ailleurs, en vérité, nullement convaincant et encore moins reluisant si l'on devait prendre en ligne de compte leurs propres «performances», y compris dans l'usage du français pour lequel ils seraient, semble-t-il, prêts à prendre le bâton calibré de pèlerin. En outre, peinant visiblement à trouver leurs marques aussi bien avec la langue arabe que française (comme peuvent en témoigner quelques pigistes contributions dans une gazette se voulant la voix désignée de toute une région dans sa partie occidentale), comme pourraient-ils alors prétendre servir valablement d'éclaireurs ou de pisteurs chevronnés, dans un domaine aussi sensible et puissamment stratégique que l'est précisément celui de codes linguistiques patentés ? Ce faisant, l'on voudrait ouvrir ainsi, comme le suggèreraient certains tout en glissant sur la pointe des pieds (façon dessin animé), la porte toute grande à un enseignement caricaturé, désossé, dénaturé, rafistolé et profondément défiguré, en faisant le choix d' un dialectal mollasson, dont on sait par ailleurs les innombrables imperfections, malformations et mutilations mêmes, du reste souvent, heureusement, formellement identifiées même de la part de simples locuteurs occasionnels mais néanmoins capables de distinguer entre un langage proprement élaboré et un autre peu châtié, peu ordonné ; voire parfois à la limite du vulgaire et de l'outrancière dérive puisque tout simplement bâclé et dénué d'une once d'inspiration et d'éclat. En sus, évidemment, des inévitables clivages régionaux que ce même dialectal a fini par endosser, avaliser ou contracter durant son évolution, ici ou là, et qui ne sont pas sans influer sur le degré même de compréhension d'un coin à un autre, tant au niveau intra-national que supranational quand il s'agit de prendre en compte la perspective panarabe dans son ensemble. En tout état de cause, un dialectal, fragmenté et en piteux état, apparemment fort éloigné même du niveau tel qu'observé chez de simples analphabètes auxquels il n'en faudrait pas moins reconnaître à nombre d'entre eux de faire d'insatiables, appréciables et méritoires efforts - au quotidien- pour étoffer, arranger, selon leurs ressources propres et leur niveau d'expression en la matière. Fort éloigné, ce dialectal l'est sûrement aussi du niveau raffiné tel que celui objectivement reconnu à propos du parler algérois en particulier, lequel dénote jusqu'à quel point celui-ci s'est fait fort de se rapprocher de la matrice référentielle dont il s'inspire et à laquelle il se rattache de fait. Est-il alors besoin de rappeler ici que, en France même, nul n'ignore qu'il y a bel et bien un français parlé, familier (le jargon ou l'argot bien connu). Mais a-t-il jamais simplement franchi le seuil immédiat des établissements scolaires pour y être autorisé, admis ou solennellement reconnu? Sans parler des langues régionales (le Breton, le Basque, l'Occitan ou le Corse), maintenus comme chacun le sait dans une situation de forclusion, de disqualification et de déclassement connus de tous21 même si l'on peut relever, ici ou là, des tentatives méritoires visant à les affranchir ou les prémunir un tant soit peu de l'irrémédiable oubli. Du reste, le rôle de «Cerbère» dévolu à l'Académie française, sur ce plan précis, est connu de tous. Aussi, y a-t-il lieu de se demander instamment ce que pourrait bien cacher cet empressement subit à vouloir frapper de caducité, sinon dé discrédit pur et simple, l'impressionnant et fabuleux travail accompli, durant des siècles, par les grammairiens et philologues arabes aux fins d'étoffer, apurer et ajuster la langue arabe au profit d'un dialectal qui, pour être foisonnant ou riche certes, n'en reste pas moins redevable d'un nécessaire travail de stabilisation, régulation, paramétrage et conformation - au sens didactique du terme- , que seule une institution d'enseignement, consacrée au savoir et à la connaissance, est à même d'assurer, réguler et prendre en charge. D'autre part, n'est-il pas largement établi que l'institution scolaire (l'Ecole) a été pensée pour prendre en charge des enseignements dits fondamentaux ou basiques, et que, pour sa part, l'institution universitaire, parce que situant à la tête de la pyramide éducative, a été conçue, configurée et ordonnée pour dispenser des niveaux d'enseignements dits de performance pour peur que les compétences de base aient été parfaitement intégrées dans les paliers antérieurs? Ce qui est loin d'être toujours le cas, à l'exception d'un certain nombre d'étudiants qui parviennent à se positionner sans grandes difficultés dans les segments les plus exigeants et qui vont même jusqu'à atténuer, par leur présence persévérante et leur participation renouvelée, la morosité ambiante, ankylosante, de modalités routinières dans des espaces de plus en plus encombrés, numériquement ou quantitativement parlant. Mais qu'on ne s'y trompe guère: ceux qui, présentement, voudraient tirer vers le bas l'enseignement (comme ils le font déjà entre quatre murs sous de multiples prétextes) sont ceux-là mêmes qui, ne maîtrisant en fait ni l'arabe pas plus que le français d'ailleurs lui aussi passablement baragouiné le plus souvent en dépit d'efforts obstinés accomplis dans le but de rester en ligne de cordée), contribuent au déclin lancinant du système d'enseignement actuel par abus de laxisme et courte vue s'agissant précisément des effets lancinants que tout cela ne manquerait pas d'avoir pour l'avenir. En faisant continuellement grief à la langue arabe académique et lui déniant tout lien avec la langue dite maternelle (comme si, à l'opposé, la langue française s'était trouvée incrustée à leur peau dès le berceau !!!) , sans doute espèrent-ils pouvoir ainsi détourner l'attention d'autres entraves avérées et justifier, chemin faisant, le «nivellement par le bas» qu'ils ne cessent de revendiquer ou prôner avec une déroutante insistance; tout en misant et tablant parallèlement sur l'invariable prétexte affirmant que cette langue «ne véhiculerait pas le vécu, ni individuel ni social» (sic) et tout en agissant sur le terrain comme si toute l'éloquence intrinsèque précisément dévolue, reconnue, à cette même langue arabe s'était subitement diluée ou évaporée dans les airs. Mais qu'à cela ne tienne, la bonne logique ne voudrait-elle cependant pas que ce soit le discours de l'Ecole qui influerait, en y répandant par brassées successives, ses bienfaits dans les interstices de la société et non pas celui de la rue qui viendrait à s'immiscer indûment dans les circuits habilités de l'institution considérée? Sinon, à quoi bon s'échiner à édifier de telles imposantes et onéreuses structures que sont justement les espaces académiques désignés si, en définitive, il n'y aurait guère de stricte et franche démarcation entre ce que l'on a coutume de désigner sous les vocables distinctifs par «savoir savant» et «savoir commun» ? Un peu comme s'ils avaient anciennement pressenti ce télescopage impromptu entre les deux catégories sus-citées, nos illustres devanciers semblent avoir tranché la question par le biais de la sentence affirmant: «likouli maquam' maquall'» et que l'on pourrait traduire en ces termes («à chaque lieu, son discours attitré »). D'où, semble-t-il, le soin extrême antérieurement pris de nous signifier par là même une codification bienvenue, vraisemblablement pour éviter, éluder, de probables confusions malvenues ou d'autres ratés préjudiciables à bien des égards, du genre même de celui auquel il vient d'être fait référence tantôt. L'arabe dit «El arabia el foss'ha» (fassahâ signifiant précisément tout à la fois éloquence, finesse et haute voltige dans l'usage expert des combinatoires adossées à cette langue en particulier) , cette langue éminente et tellement riche, belle, émouvante, savoureuse et ardente, si l'on devait justement activer ou évoquer en la circonstance la notion sensuelle, épicurienne, de la langue, il n'y a pas de raison que la langue arabe n'en soit pas pleinement et nécessairement destinataire. Car toute langue a forcément ses aspects emblématiques, ses vifs états et subtiles nuances. Mais que voit-on et que constate-t-on en fait? La langue arabe rendue subitement responsable de tous les travers et toutes les avanies enregistrés non seulement dans le secteur de l'enseignement mais aussi dans d'autres rouages fonctionnels de la vie sociale ou culturelle en général. Par ailleurs, si de pseudo-esthètes font actuellement cas d'une récidive de la médiocrité ou même d'une quelconque issue régressive, elle n'en incombe nullement au seul registre de la langue arabe mais bel et bien à ses pourfendeurs et détracteurs invétérés qui n'ont de cesse qu'à vouloir empêcher, contrarier et entraver, son retour en force après l'exil forcé - intra muros- né du long, étouffant et ankylosant intermède colonial. Et qui activent quasiment en permanence pour susciter le désintérêt et la désaffection manifestes chez tous ses potentiels candidats. Ainsi donc, occultant ouvertement et délibérément, un lourd passif de privations et d'obturation sans bornes, on attendait donc la langue arabe au tournant. Et qui plus est, pratiquement sur le même pied d'égalité, en termes de préparation et de dotations logistiques au sens pluriel du terme, que sa rivale première et directe: la langue française. Laquelle, c'est un secret de polichinelle, se trouve plébiscitée, dopée, sponsorisée même, comme chacun le sait, tant de l'intérieur que de l'extérieur. Et bien davantage encore, si l'on devait s'en tenir aux dires de certaines fines bouches: «célébrée dans sa richesse, sa diversité et sa vitalité», etc. Il y a donc en l'espèce tout à la fois vice de forme et de fond évidents dont il conviendrait de tenir, nécessairement et objectivement, compte pour comprendre certains blocages et/ou obstacles en la matière ; voire carrément quelques embûches bien acérées (pas nécessairement d'ordre fondamentalement épistémologique comme s'échinent, mordicus, à vouloir le faire accroire certains tireurs au flanc en en parsemant encore, à dessein, le chemin de la langue arabe dans son propre vivier) pour comprendre également les véritables causes de ce que l'on a pu appeler une perte de repères linguistiques pour la langue sus-citée. L'abandon ou la désertion de la langue arabe est ainsi volontairement maintenu même si, pour plus d'un et à plus d'un titre, la maîtrise du français demeure manifestement un réel, profond et insoluble handicap comme le laissent entrevoir nombre d'interventions faites lors de conférences par des arabisants de formation, apparemment obnubilés par le clinquant rattaché à la langue d'en face et désireux de s'y frotter autant que faire se peut. Et le moins que l'on puisse dire à ce propos, c'es que la fascination du français demeure, semble-t-il, la caractéristique revendiquée même par ceux qui peinent pourtant à y trouver le plus souvent, comme souligné précédemment, leurs marques. Quoiqu'il en soit, il y a lieu de souligner ici que l'insuffisante maîtrise de la langue arabe, telle que constatée actuellement chez nombre de nouveaux inscrits rejoignant chaque année les bancs de l'Université, si elle témoignait explicitement d'une baisse avérée et prolongée du niveau requis en la matière n'en confirme pas moins aussi l'existence d'un problème de taille, au demeurant souvent relevé aussi dans d'autres contextes universitaires22. En fait, il est devenu presque habituel de relever que bien peu parmi ces nouveaux étudiants tous frais émoulus entretiennent une relation décontractée, décrispée et détendue avec les deux registres attenant respectivement aussi bien à l'arabe qu'au français. En revanche, lorsqu'il s'agit d'user du dialectal dans sa version brute, plate/placide et estampillée tout venant, chacun peut constater à quel point l'expression est on ne peut plus altérée et compassée; en tout cas peu regardante, comme régulièrement observé depuis plusieurs années déjà, sur l'usage strictement académique de la langue avec ses règles, ses codes, ses intimes fonctionnalités et intrinsèques qualités. Nombre d'entre eux se dépensent à faire semblant de réfléchir en usant de la locution adverbiale «yâa'ni, yâa'ni?» («C'est-à-dire, c'est-à-dire?») à tour de bras, au détour de chaque mot, voire fragment de mot. Tout se passe donc comme si la langue avait cessé d'être une aventure captivante, enrichissante, stimulante, enthousiasmante et entraînante comme elle l'était au plus haut point pour les générations antérieures d'étudiants, notamment dans les années soixante ou soixante-dix. Ne s'écoutant plus ni ne générant la même suave et prenante délectation comme dans ces temps bénis auparavant, elle est désormais davantage proférée que réellement prononcée, avec tout le soin, le doigté et le tact requis en la matière. Le plus souvent interjetée, triturée même, sur un ton rauque ou carrément bourru; en tous cas sans même le degré de délicatesse convenue comme celle habituellement mobilisée in fine pour sa colocataire de palier. Et par-dessus tout, sans le moindre répit tel que normalement exigé par une ponctuation en bonne et due forme. A défaut de contenu sensé, la forme elle-même ne semble plus être elle aussi de la partie. C'est un peu comme si l'interaction vitale, la synergie, avec la langue faisant de plus en plus défaut et faute d'en avoir acquis, par intégration active, les nécessaires et indispensables automatismes de base, ces nouvelles recrues redoutaient même d'avoir à accomplir ce saut, pourtant indispensable, à l'intérieur de la langue non seulement afin d'être en mesure d'en saisir et apprécier toutes les sonorités et fonctionnalités endogènes mais surtout pour se doter d'un vocabulaire résolument riche, diversifié, consolidé. Aussi, compte tenu de ces impairs, devenus presque coutumiers, est-il loisible de noter aussi que bien peu d'étudiants accèdent en fait à un usage spécialisé de la langue proprement dite. Quant aux difficultés récurrentes rencontrées pour la construction du sens, mieux vaudrait ne pas les évoquer. Et dire que dans les années soixante et même soixante-dix (période considérée comme de loin la plus faste non seulement en termes de dotations bibliographiques diversifiées mais également en termes de croissance fluide, sereine, sur le plan linguistique au sens large, c'est-à-dire non limité uniquement aux seuls registres de l'arabe ou du français mais en englobant bien d'autres), comme indiqué plus haut, de simples lycéens tenaient la dragée haute, à la faveur de véritables joutes oratoires23, fort prometteuses, à leurs enseignants attitrés (aussi bien ceux de langue française que ceux dispensant leur enseignement en langue arabe) et ne se privaient guère par ailleurs de taquiner la rime ou la prose dans les deux idiomes précités; confirmant ainsi par ce biais que l'envie de la langue participait déjà comme un élément important d'apprentissage de celle-ci. Mais c'est à se demander si cette belle époque ne semblerait pas bien révolue? Cependant, et en dépit de ces points sombres relevés ici ou là, il n'est pas exclu pour autant de rencontrer souvent des perles rares, y compris en cycles de base, dévoilant au besoin une relation confiante, alerte, précocement riche et intense au plus haut degré avec la langue arabe et qui plus est, en se prévalant d'en faire déjà un usage plus que pertinent, remarquablement adroit (et même un tantinet expert) tout en entretenant et maintenant, des rapports également rassérénés avec le français, l'anglais22 ou toutes autres langues accessibles. Pour relativement peu nombreux encore qu'ils soient, ces jeunes louveteaux donnent l'impression d'évoluer dans la langue arabe classique sans le moindre complexe et sans la moindre hésitation, clouant ainsi au pilori les thèses de nombre de ses détracteurs qui insistent à tour de bras sur de prétendues difficultés intrinsèquement liées, selon leur version des faits, à la langue en question. La romancière libanaise Rasha Al-Ameer résume assez bien (in le Monde des livres, 18 juin 2009) cet état d'esprit en déclarant : «Ils veulents des choses faciles, pop, modernes ; On peut très bien le faire sans renier ce magnifique héritage». A suivre * Faculté des Sciences Sociales Université d'Oran |
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