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«La malheureuse et pitoyable
faiblesse des parents qui, dans la folle tendresse qu'ils ont pour leurs
enfants, dissimulent, détournent la vue pour ne pas apercevoir les fautes les
plus grandes, se retirent même et disparaissent, pour avoir un prétexte de ne
rien voir et de ne rien dire, est criminelle. Si quelquefois ils se croient
obligés de les reprendre de leurs désordres devenus trop grands ou trop
publics, c'est avec une faiblesse qui ne remédie à rien, qui augmente même le
mal, et rend les enfants plus effrontés ou vicieux ».
Jean Batiste Blanchard, dans «les maximes de l'honnête homme». «Je voulais te souhaiter bonne chance pour demain et te conseiller de lire attentivement, de soigner la présentation et de prendre ton temps avant de décider de sortir». En retour, je n'ai aucune réponse. Je lance un long soupire et rebrousse mon chemin. En sortant, j'entends ces mots qui me glacent et m'assomment : «Je n'y vais pas, je n'irai pas demain». «Pourquoi» ? ai-je dit. «On s'est mis d'accord, personne n'ira». «C'est qui personne» ? je rétorque. «Tout le monde, tous les autres». «Tu dois y aller. C'est la règle, une règle impérative». En fait, personne ne s'est jamais posé la question ; tout le monde y va. Ne pas y aller est une sorte de refus collectif d'examen officiel. Exactement comme le refus collectif de l'impôt ou le refus de la monnaie. C'est une attaque inacceptable contre une institution vénérable. C'est la conversation irréelle, hors du temps, entre une adolescente et son père. Une adolescente qui informe, juste informe, la veille au soir d'un examen national, son père qu'elle n'ira pas passer le baccalauréat blanc. Toute la classe, s'est mise d'accord pour ne pas y aller, ne pas passer le baccalauréat blanc. Quelques semaines plus tard, j'ai su, par d'autres parents, que cela n'était pas un acte isolé, n'était pas une classe singulière, n'était pas une région particulière. Beaucoup d'entre eux, toutes régions confondues, n'ont pas passé, ou pas terminé, le baccalauréat blanc. Nos lycéens ont un plus grand rapport avec leurs écoles de soutien qu'avec leurs lycées ; on a l'impression qu'il n'y a plus de candidats scolarisés ; tous s'apparentent à des candidats libres. Finalement elle a passé ses examens, contrainte et forcée, mais n'a pas rendu les notes et je n'ai pas osé les demander. Le baccalauréat blanc est un bon exercice, une chance de vivre les conditions de l'examen, des conditions proches de la réalité. Un entrainement à gérer le stress. C'est une sorte de répétition générale avant l'officielle, une occasion, la dernière, qui vous donne encore le droit de vous tromper sans conséquences. Il est normalement plus difficile que le vrai ne serait-ce que parce que c'est le premier. Toutes les premières fois sont difficiles. Mêmes lorsqu'on entend, en tant que parent, ce genre d'ineptie pour la première fois. La douleur ? remontez le temps et revivez un moment douloureux de votre vie, le plus douloureux de tous les moments. Et bien c'est ce moment que je vous invite à multiplier à l'infini pour comprendre la douleur d'un père face au mépris de son enfant, son irrespect et sa défiance, son outrecuidance et son insolence démesurée. C'est une douleur indescriptible, chronique, qui, avec et malgré le temps, ne s'estompe pas, elle reste intacte et si elle vous laisse le temps de souffler, de temps en temps, elle revient plus forte, plus vigoureuse, plus blessante encore et à jamais. Après ce genre de douleur vous n'êtes plus le même homme et vous ne pourrez plus vous souvenir de l'homme que vous étiez parce qu'il disparait à jamais. Même les morts ne disparaissent pas réellement, ils deviennent invisibles mais ils restent existants. Vous, vous disparaissez totalement. Le baccalauréat, le vrai cette fois-ci, est bien plus qu'un simple rite de passage ou un pur rite social. C'est une institution qui occupe dans l'imaginaire collectif une place singulière. Sa nature d'examen essentiellement composé d'épreuves terminales se prête en effet parfaitement à la théâtralisation : l'implication des parents, la préparation des candidats, leurs habits, leur arrivée et leur sortie lors des épreuves, la proclamation des résultats, toutes ces étapes forment autant de repères scénarisés qui se répètent presque à l'identique. Mais le poids du baccalauréat dans les représentations collectives ne tient pas seulement à cette théâtralisation. Il s'explique également par cette croyance, partagée, qu'il est le signe d'une ascension sociale et la condition requise pour exercer une profession noble, une activité intellectuelle. Il fait finalement figure d'examen déprécié et est ainsi victime de sa valeur dans l'imaginaire algérien. Certaines épreuves sont complexes et sophistiquées. C'est parfois même complètement extravagant. Le niveau d'exigence est tellement élevé que l'on est contraint, ensuite, de donner des consignes d'indulgence en fonction des réponses des candidats et des erreurs de l'administration. Au-delà du niveau, des moyennes obtenues et du taux de réussite, dont rien ne semble arrêter la progression, se pose la question du rôle du baccalauréat. Aujourd'hui, le baccalauréat est devenu un diplôme de masse conservant, malgré tout, sa caractéristique de diplôme de référence sanctionnant la fin des études secondaires et premier grade de l'Université, dont il ouvre les portes. Il pourrait aussi, sans certitude aucune, il va falloir le comprendre, donner accès à l'emploi. Sous d'autres cieux, les élèves disposent de moyens colossaux et il est admis qu'autant les universités que les entreprises ont besoin de jeunes capables de mobiliser les ressources existantes, de façon autonome, pour prendre en charge des problématiques majeures en exploitant leurs facultés intellectuelles. Alors que chez nous on peine à trouver une réponse à «Comment faire mémoriser ?». Ni l'autonomie, ni son corollaire, la capacité à juger par soi, ni la liberté, ni son corollaire, agir en connaissance de cause, ne sont à l'honneur ou à l'ordre du jour. Nos élèves continuent à être testés sur leur capacité à restituer des connaissances et non pas sur leur capacité à interagir dans un monde de plus en plus complexe et de plus en plus incertain. Les mieux informés et les mieux accompagnés candidateront pour la poursuite d'études élitistes. Pour les autres, le taux d'abandon, déjà dès la première année universitaire, est très élevé. Les bacheliers, malgré le prestige du diplôme et les sacrifices consentis pour l'avoir, n'auront pas tous une vie radieuse. Si le talent mis à le valoriser n'est pas suffisant, si la malchance s'en mêle, si la complexité du système d'orientation et sa dépendance des autres vœux exprimés n'est pas au rendez-vous, alors le baccalauréat peut ne pas être le sésame magique pour avoir une carrière honorable et une vie intéressante. L'enseignement supérieur, féconde les espoirs de toute nation, représente le produit de la civilisation sous son esthétisme le plus abouti et donne l'éclat de nos institutions par la présence de ses filles et ses fils les plus lettrés, les plus savants et les plus émotionnellement élevés. Les études et l'anxiété qui les entoure ne devraient pas mettre en danger l'harmonie familiale, l'équilibre des parents et la santé mentale et physique des enfants, nous ne voulons pas sauver les études et perdre nos enfants. La famille, l'école, l'entreprise et l'Etat même se mettent à la tâche, nous fabriquons des irrespectueux pour subir leur irrespect, nous fabriquons des incompétents pour critiquer leur incompétence, nous fabriquons des insoumis pour leur reprocher leur insoumission. Nous n'arrivons plus à tenir notre rôle, à capter leur intérêt, à leur servir de modèle. Heureusement, il y a des enfants plus mesurés que d'autres, plus respectueux et plus affectueux. Des enfants plus consciencieux et plus reconnaissants. Ainsi va la vie, ils ne comprendront que lorsqu'ils seront à leurs tours parents et je ne saurais vous dire si cela servira à quelque chose, ils auront gâché, pour si peu, prématurément, une si belle aventure. |
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