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Le mépris, cette redoutable ADM

par Farouk Zahi

« Le silence est l'expression la plus parfaite du mépris. » (George Bernard Shaw)

Nous empruntons cet acronyme (ADM) pour lui donner une autre lecture que celle qu'il induit communément, pour étayer notre propos, et que voici : Arme à démotivation massive. C'est ainsi que nous qualifierons le mépris, qui devient réellement une arme de démobilisation générale, notamment dans les secteurs délivrant un service public ou des prestations. Commençons par la plus ordinaire des pétitions adressée au chef de la circonscription administrative dont relève la collectivité locale, pour signaler les nuisances générées par un dépotoir vomissant ses relents putrides. Murement réfléchie, adossée à un jeu de photos, elle est confiée à la rédaction d'un colocataire, ancien fonctionnaire, ou mieux, à un écrivain public aguerri aux arcanes administratifs. L'espoir suscité par l'envoi de la missive est légitimement ressenti par les pétionnaires, ils n'ont aucun doute sur l'issue positive de leur doléance. Ils tenteront à mesure que les jours passent, de trouver une raison au retard, tout relatif, pris par la réaction attendue.

En dépit du déplacement de l'un des pétionnaires et l'exhibition des photos à un responsable de haut rang, l'affaire du dépotoir trainait en longueur et ce n'est que l'incinération « spontanée » de l'objet du litige qui fit réagir promptement la collectivité en charge de la salubrité publique. Quant à la pétition, son sort n'a même pas besoin d'être évoqué. Et comme si cette déconvenue ne suffisait pas, un autre évènement vint rompre la quiétude du site. A une heure tardive de la nuit, un véhicule s'enfonçait l'arrière train dans un cratère en plein chaussée. C'était leur réseau d'assainissement qui a cédé au passage du véhicule léger. Qu'elle ne fut la surprise du voisinage en voyant le chef de la circonscription administrative en personne entouré de responsables tirés de leurs lits à une heure aussi tardive à la veille d'un week end plus est, gesticulant des ordres pour sécuriser le lieu. La satisfaction était largement partagée dans tout le voisinage, sauf que celui-ci a vite déchanté quand il a appris que c'est le chauffeur personnel du maitre des lieux qui a été victime de cet incident, d'où la prompte réaction.

Cette anodine pétition devient le « cauchemar » des gestionnaires, non pas pour ce qu'elle a de revendicatif, mais bien plus que çà. Elle est interprétée comme un acte « antirévolutionnaire ». Ingrats, les pétitionnaires ne se rendent pas compte des efforts que consentent les responsables et à tous les niveaux de la chaine de décision. Habitués à la diatribe des laudateurs, et Dieu sait s'ils sont nombreux, l'amour propre des ronds de cuir est écorché dans le vif. On répondra à la doléance par le mépris, mais on fera en sorte d'y répondre par une manière détournée car sait-on jamais, la hiérarchie pourra toujours les interpeller sur le sujet. Quant à espérer recevoir une diligente réponse d'une quelconque administration, il y aura lieu de recourir aux rituels de la magie blanche. Cette posture dominante est, souvent, le fait d'une revanche prise sur la vie qui a malmené les uns et les autres. On se dit en son for intérieur, la vie ne m'a pas fait de cadeau ; ils n'ont qu'à trimer comme je l'ai, moi-même, fait. Ce travers est très répandu dans le corps des commis de l'Etat territoriaux. Ils prennent souvent leur second pour une tête de Turc, sachant pertinemment qu'un jour ou l'autre, celui-ci occupera les mêmes fonctions. Cette auto-phobie ou haine de soi, est probablement la résultante de brimades encaissées tout au début de la carrière. Serait-ce la longue nuit coloniale, ponctuée de sévices et autres brimades qui a forgé une mentalité où l'humiliation est admise comme fait sociétal aussi bien par celui qui l'inflige que par celui qui la subie ?

Ces images de patience et pourquoi pas de soumission, sont malheureusement délivrées jusqu'à ce jour. Les chaines télévisuelles privées et dont certaines sont traitées de « voyeuses », dénudent et à bon escient, parfois, des situations sidérantes. Dans le cadre du mois sacré du Ramadan, comme on aime à le répéter, certaines collectivités locales prennent plaisir à inviter les caméras comme pour mieux humilier, les démunis justiciables d'une aide alimentaire appelée pompeusement « couffin du Ramadan ». La collectivité locale en question n'a pas mieux choisi que la cour d'une école et une journée des plus caniculaires.

Ils étaient là, à attendre sous un soleil de plomb. Soudain c'est la bousculade, les gourdins de la police anti-émeute pleuvent sur la masse. Piteuse image que donne cette action dite caritative. La cohue est soudain traversée par un gaillard enlaçant un sac de farine qu'il met, prestement dans le coffre arrière d'une voiture apparemment récente. Les gens restés sur le carreau, n'eurent droit qu'au micro de la chaine de télévision qui avec un malin plaisir recueillait leur « chikaya ». Certains d'entre eux, dénonçaient la « « chippa », d'entre la « ma3rifa » et d'autres, plus humbles, disaient qu'ils n'avaient plus rien à donner à manger à leur couvée familiale. Ceci nous renvoie à cette voix off du générique du feuilleton « Dar Sbitar », déclamatoire et lancinante qui disait : « Un peuple dont le seul souci était sa frénésie à se procurer son pain quotidien ». (traduction approximative)

L'option couffin de Ramadan, lancée dans les années quatre vingt dix du siècle dernier, venait en appoint au Filet social que le gouvernement lançait pour éviter la marginalisation de pleines cohortes fragilisées par la récession économique d'alors. Ce couffin justement, devait se substituer aux restos de la Rahma qui eux, s'adressaient plus aux sans-logis et les voyageurs en transit. Il fallait éviter aux familles l'humiliation des longues chaines d'attente. Présentement c'est devant les caméras de télévisions qu'on exhibe la déchéance socio économique de citoyens, somme toute, légataires d'un même patrimoine commun.

La charité ne peut être administrée, elle est le fait d'hommes ou de femmes du culte ou d'agents bénévoles car cette catégorie, fait de l'acte du bénévolat un devoir de charité humaine et non pas un point d'honneur à inscrire sur les tablettes d'une administration en mal de reconnaissance obligée. Ces situations dégradantes pour la dignité humaine tendent à devenir anodines au vu de leur fréquence. Admises et tolérées, elles ne peuvent que renseigner sur le peu de cas fait de ces dérives méprisantes.