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L'image de la victime de
«la mafia politico-financière», une de ses formules devenue célèbre, éclipse
les autres dimensions de feu Mohamed Boudiaf, président du HCE (Haut Conseil de
l'Etat) assassiné, le 29 juin 1992, lors d'un meeting au théâtre d'Annaba.
Celui qui a commencé à rétablir la confiance dans les institutions de l'Etat,
en l'espace de six mois d'exercice des responsabilités, dans une conjoncture
fort compliquée et complexe, s'est révélé fin analyste, doté d'une grande
capacité d'écoute et surtout fidèle au Serment de Novembre. C'est ce qui
ressort de ma proximité avec lui, en en tant que proche chargé de la
coordination entre la présidence de la République et la primature et en ma
qualité de conseiller de Sid-Ahmed Ghozali. Nous
avions pris l'habitude de nous voir, quotidiennement, à partir de 17h, pour
faire le point des missions qu'il me confiait notamment.
Ainsi, la veille de son déplacement à Annaba où le triste sort l'attendait, je lui ai présenté le compte-rendu de la visite d'une délégation d'hommes d'affaires américano-vénézuéliens, venue prospecter les possibilités d'investissement dans le cadre de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, initiée par Sid- Ahmed Ghozali, chef de gouvernement, à l'époque. Pour rappel, la loi n°91-21 du 4 décembre 1991. De l'avis des spécialistes, 80% de la production nationale des hydrocarbures de nos jours sont tributaire des associations avec les firmes étrangères réalisées dans le cadre de cette loi. Pour dire son importance. Après mon exposé, le Président Boudiaf tenait à connaître les points de vue du chef de gouvernement, de Noureddine Aït Laoussine, ministre de l'Energie et de Abdelhak Bouhafs, patron de la Sonatrach. Laissant s'exprimer son humilité, le président donnera son accord de principe en me disant «je ne suis pas plus patriote qu'eux d'une part et je ne suis pas plus compétent qu'eux surtout dans ce domaine». Et d'ajouter «à mon retour de Annaba, je réglerai ce dossier». Signalons, au passage, que ce groupe de pétroliers américains a manifesté sa disposition à accorder un milliard de dollars, à titre de dépôt, à la Banque Centrale pour lui faciliter l'accès aux marchés internationaux à une époque où l'Algérie, surendettée, traversait une crise financière aigüe. Lors de la même séance, j'ai présenté à Boudiaf un compte- rendu sur la visite de Daniel Leandri, un émissaire de Charles Pasqua, sénateur et président de la région de Haute Seine. Cet envoyé devait préparer le déplacement, à Alger, du futur ministre de l'Intérieur de la République française. Une visite déjà précédée par celle de Raymond Barre, de Jacques Barreau et celle de STASI. Persuadé que la France s'achemine, sans détour, à une cohabitation entre la droite et la gauche, Boudiaf a entamé un travail de rapprochement avec les différentes composantes de la droite, en invitant ses ténors, dans la perspective d'atténuer les pressions exercées sur l'Algérie par François Mitterrand, l'équipe de l'Elysée et surtout Jean Audibert, ambassadeur de la France à Alger. L'envoyé de Pasqua qui n'a pas été reçu par le chef du gouvernement bénéficiera d'une invitation informelle de la part du Président Boudiaf. Autour d'un café, ce dernier lui lancera «je suis sûr que toi aussi t'es Corse. Pasqua ressemble aux Arabes. Il s'entoure des hommes de sa région». Il remettra un livre dédicacé par Pasqua à son hôte. Quelques jours avant sa visite à Annaba, décidée et préparée dans la précipitation, il faut le signaler, Boudiaf a présidé la finale de la Coupe d'Algérie, au stade municipal d'Oran, rebaptisé ?Ahmed Zabana'. C'est lui qui a tenu à donner ce nom à cet équipement collectif de la ville d'Oran. «Pour que les générations futures n'oublient jamais le nom de ce chahid» m'expliquera t-il pour justifier son choix. Le jour même de cette prise de décision, j'ai contacté Mme Leila Aslaoui, ministre de la Jeunesse et des Sports, dans l'équipe de Ghozali de la volonté de Boudiaf. Le lendemain, elle se déplacera en personne, pour s'enquérir de l'état de la pelouse du stade devant recevoir la finale de la Coupe d'Algérie, opposant l'ASO Chlef à la JSK. Lors de son bref séjour à Oran, Boudiaf décidera de se séparer de la délégation officielle l'accompagnant pour dîner en privé avec un groupe d'amis dont Mahi Bahi, ancien ministre de la Justice et actuel sénateur ; Kaddour Ben Yahia, Snouci Noureddine, et d'autres. Lors de ses retrouvailles avec ses anciens amis, empreintes de convivialité, le président était détendu. Profitant d'un moment d'aparté, il me confiera son intention d'effectuer un grand changement qu'il annoncera, à l'occasion du 5 Juillet, notamment dans l'équipe gouvernementale. Cependant, l'absence de Mohamed Ben Ahmed dit Commandant Si Moussa a, quelque peu, gâché les joies de ces retrouvailles. Lors de cette soirée, Boudiaf relatera une discussion que nous avions eue en 1982, concernant l'Iran et sa révolution. Sur le plan diplomatique, l'une de ses premières mesures a été la rupture des relations diplomatiques avec ce pays. Pour ce, il s'est référé à des rapports qu'il avait exigé des institutions concernées. Durant ses six mois au Palais présidentiel, Boudiaf recevait chaque jour du monde, ce qui lui a permis de s'imprégner des réalités profondes du pays et d'esquisser les grandes orientations à venir. A celles ou ceux qui lui laissaient une bonne impression, il leur demande de me remettre leur CV dans la perspective de faire appel à leur compétence dans le cadre des changements qu'il mûrissait. Parmi cela, citons Abdelaziz DJERAD, l'actuel Premier ministre, Khan, le Pr Henni, le magistrat Boualem Boualem. Probablement, Boudiaf comptait garder Sid- Ahmed Ghozali à la tête de la chefferie du gouvernement. SAG jouissait de son entière confiance. Pour preuve, il a refusé de mettre fin à ses fonctions lors de son installation à la tête du HCE. C'est SAG lui-même qui avait fait la proposition au nouveau chef de l'Etat. Aussi, Boudiaf a exprimé son soutien à son chef de gouvernement, victime de deux campagnes médiatiques à quelques semaines d'intervalle. Il obligera tous les membres du HCE à se démarquer ouvertement par rapport aux détracteurs de SAG qui visaient en fait le président lui-même. Dans ses prévisions, il voyait en son chef de gouvernement un potentiel présidentiable. Quand je lui ai proposé de prendre part au Sommet mondial sur le Climat, devant se tenir à Rio du Janeiro, il a rejeté la proposition sans appel en désignant Ghozali pour représenter le pays. «Je n'irais pas parce que je ne suis pas un chef d'Etat élu» rétorqua-t-il. Abordant avec lui le projet de la mise sur pied du parti RPR (Rassemblement pour la République) et des présidentielles, Boudiaf me confiera sa décision de ne pas se porter candidat à ces joutes électorales, si elles auront lieu. «Je suis là pour aider mon pays à sortir de l'impasse dans laquelle il se trouve» répliqua-t-il. Concernant la presse, Boudiaf n'a pas du tout apprécié l'incarcération de feu Abderrahmane Mahmoudi, directeur du défunt l'Hebdo Libéré. Dès qu'il a eu vent de cette incarcération, il m'a chargé de «régler cette affaire». C'est l'unique fois où Boudiaf me téléphone directement sans passer par son secrétariat. «Je veux sa libération immédiate» m'ordonna-t-il. Au bout de deux jours de démarches, Mahmoudi retrouvera sa liberté. Aussi, il intercédera contre le limogeage de Malika Boussouf, animatrice de l'émission «Chauds Débats» de la Chaîne 3. Dans le cadre de son émission, elle a révélé que le fils d'Ali Ben Mohamed, ministre de l'Education nationale est détenteur d'une bourse d'études à Strasbourg. Le ministre qui ne partageait pas le point de vue du président sur l'état des lieux de l'Education nationale, a entrepris des démarches auprès de son directeur pour la sanctionner. Mais Boudiaf, mis au courant de l'affaire, a interdit qu'on «touche à la journaliste». Dès sa prise de ses fonctions, il a manifesté un intérêt particulier à l'école et la nécessité de sa réforme. C'est à lui qu'on doit la formule «école sinistrée». Pour envisager la réforme de cette institution stratégique, un projet qu'il n'a pas eu le temps de réaliser, il a fait appel à l'expertise de Mustapha Lacheraf et Djebbar. Le premier, éminence grise avérée, a participé à la rédaction de la Charte de Tripoli et qui avait déjà occupé le poste de ministre de l'Education nationale. Boudiaf avait de grands projets pour son pays. Rappelons-nous ses dernières paroles avant d'être criblé de balles : «Les autres pays nous ont devancés par la science et la technologie. L'islam...» On ne saura jamais la fin de cette phrase mais nous sommes convaincus qu'il portait bien son surnom de guerre : Si Tayeb El Watani. |
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