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Qui sait ? que
savons-nous ? sur notre horizon sombre,
Que la création impénétrable encombre De ses taillis sacrés, Muraille obscure où vient battre le flot de l'être, Peut-être allons-nous voir brusquement apparaître Des astres effarés. [Victor Hugo] Il y a des arbitraires qui crient plus fort que d'autres, parce qu'ils préviennent contre des dérives et des arbitraires beaucoup plus grands. La mort de Fekhar est de ces morts qui, par leur irruption, chaque Algérien doit gémir à fendre l'âme, parce qu'elle révèle les obstacles et les résistances à accepter encore le changement ; mais elle révèle en même temps les raisons profondes pour lesquels nous devons inexorablement inventer un nouveau «jeu politique», à partir de ces capacités collectives nouvelles dont ce mouvement est l'expression. Ce changement, Fekhar l'a voulu jusqu'à la fin. Aujourd'hui, Fekhar est mort, sans aucun doute, mais sa mort nous invite à conjurer la fatalité : le temps est venu pour nous débarrasser des vieilleries du fatalisme pour construire un Etat de droit, un pays viable, débarrassé de ses vieux démons. Le fatalisme n'a pas d'autre sens, dans pareilles circonstances, que celui de la «complicité». Entre ceux qui ont peur du changement et ceux qui ne veulent pas de changement du tout, la distance est très mince. Nous n'avons pas besoin des discours qui s'inspirent des mécaniques de pensée qui, une fois reçues, ne font que perpétuer la situation dans laquelle nous nous trouvons. Avec ces idées ordinaires, ordinairement construites, l'on se retrouvera fatalement dans des conflits éternels. Nous avons besoin de poser les vrais problèmes ; nous n'avons pas besoin de ressasser les évidences. Les Algériens ont payé de lourds tributs, depuis des décennies, dans l'espoir de connaître un jour le parfum de la liberté et de la démocratie, pour accepter de revenir fatalement à la case départ comme un éternel retour. La mort de Fekhar était un mal évitable, qu'importe à chacun ce qu'il aurait pu/dû faire pour l'éviter. S'il y a quelque chose qu'elle nous fait revivre aujourd'hui comme une sempiternelle ritournelle, c'est bien cette image familière des «morts faciles», des étincelles de vie et des passions éteintes par un coup de décision. Mais elle nous montre le chemin pour construire un vrai Etat de droit dans lequel aucune mort ne doit être indifférente, aucune revendication, aussi petite soit-elle, ne doit passer inaperçue. Elle nous rappelle cependant que la force d'un Etat ne se mesure pas à la force de la répression, mais à la force de ses institutions sociales dont la justice est leur première qualité. Si le monopole de la «violence symbolique» légitime est le propre d'un État, elle ne doit pas être dirigée sciemment contre le citoyen pour l'atteindre dans ses droits civiques, ses libertés. Ce citoyen doit avoir une protection assurée (fondée sur la justice) contre toutes les formes d'exactions, parce qu'être libre dans une société juste, c'est aussi avoir le droit de ne pas être d'accord avec les idées de l'autre, qu'il soit chef d'Etat, président d'un parti ou imam. Ces indications suffisent normalement pour poser le problème crucial de la justice qui s'invite au centre de cette problématique cruciale du changement comme une erreur dans un processus de raisonnement. Car aucune société n'est organisée si elle n'est pas fondée pour assurer le bien-être de la communauté, sur les principes de la justice qui arbitrent les conflits et les différentes visions de ses membres. Il faut donc laisser les prophétismes aux prophètes et chercher plutôt à construire un vrai Etat de droit, en construisant une problématique à partir des vrais problèmes de la réalité politique, économique et sociale (comme celui de la justice). Les analyses politiques ne travaillent pas les évidences, mais les problèmes et les paradoxes. *Docteur en sciences du langage, de l'EHESS, Paris - Chercheur au Laboratoire 3L.AM-ANGERS | UPRES EA 4335 - Langues. Littérature. Linguistique des universités d'Angers et du Mans |
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