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L'objet de cette contribution
est d'analyser l'opérationnalité du financement non conventionnel retenu en
Conseil des ministres du 14 juin 2017 qui constitue une application de la
théorie keynésienne applicable à une économie de marché concurrentielle
structurée en sous emploi alors que l'Algérie souffre
de rigidités structurelles d'où le risque d'un processus inflationniste par la
planche à billets.
1.- Le fondement du financement non conventionnel Le Conseil des ministres a retenu ce mode de financement. Il est donc utile de préciser sa nature. Le financement non conventionnel qui est une recette néo-keynésienne anticipant sur l'accroissement de la demande à terme (investissement et consommation) mais en cas de rigidités structurelles et de non dynamisation du tissu productif, il accélère le processus inflationniste. Le financement non-conventionnel a été utilisé mais dans une économie de marché structurée ayant un potentiel de création de valeur ajoutée envisageable dans le cas d'entreprises en croissance ou d'entreprises en restructuration ; utilisé lorsque le financement traditionnel ne permet pas à l'entreprise de se développer pleinement, ou lorsque le financement n'est simplement pas disponible. En fait, lorsqu'une entreprise a des actifs et/ou génère un flux monétaire (cash-flow), des options de financement non-conventionnel s'ouvrent à elle en complément au financement traditionnel. Les banques centrales occidentales ont utilisé ces mesures non conventionnelles qui peuvent prendre la forme de mesures d'assouplissement de certaines normes de la politique monétaire conventionnelle ou d'injections massives de liquidités dans le système financier dans des circonstances qui les justifient, notamment lors d'apparition d'un risque de déflation, un krach boursier ou obligataire, faillite d'un établissement de crédits de taille importante et crise de confiance du secteur financier. Ainsi, la Banque d'Angleterre a lancé en juillet 2012 le Funding for Lending Scheme (FLS) afin d'encourager les banques et les sociétés d'épargne/logement à prêter davantage aux ménages et aux sociétés privées non financières britanniques. Ce dispositif a permis aux établissements de crédit de refinancer des prêts à long terme en apportant en contrepartie une gamme élargie de collatéraux. Ce programme à également inspiré l'opération de refinancement à long terme ciblé (TLTRO) de la BCE. Plus précisément, les mesures non conventionnelles sont des mesures de politique monétaire temporaires dont l'objectif est le rétablissement des canaux de transmission de la politique monétaire et in fine un soutien au crédit bancaire et à la liquidité sur le marché monétaire. Les mesures non-conventionnelles se regroupent en trois catégories. -Premièrement, les mesures d'assouplissement quantitatif (ou quantitative easing, QE) sont des mesures par lesquelles la banque centrale propose une quantité illimitée de monnaie aux banques commerciales. La saturation de la demande de monnaie de celles-ci doit conduire à ce qu'elles dépensent les encaisses excédentaires, c'est-à-dire qu'elles octroient à nouveau des prêts bancaires aux ménages et aux entreprises. -Deuxièmement, les mesures d'orientation des anticipations des taux futurs consistent pour la banque centrale à s'engager sur la trajectoire future de ses taux directeurs contribuant à abaisser les taux d'intérêt à moyen et long termes et à les rapprocher du taux directeur de la banque centrale. Elles prennent la forme d'engagements explicites en faveur du maintien à un niveau très faible ou nul le taux directeur pendant une période de temps significative. -Troisièmement, des mesures d'assouplissement du crédit (ou credit easing). Celles-ci tendent de contourner le blocage du canal du crédit provoqué soit par le phénomène de «trappe à liquidité», soit de tensions sur certains segments-clefs des marchés financiers. La banque centrale agit alors comme un «intermédiaire de dernier ressort» en finançant directement l'économie. De facto, un assouplissement des critères d'éligibilité conduira les banques à moins hésiter dans leur prise de risques, et donc à accorder davantage de prêts à des entreprises de taille moyenne ou petites. 2.-Fondements et limites de la théorie keynésienne Les «stratégies» politiques de relance keynésienne se fondent sur l'importance du rôle de l'Etat régulateur et non Etat gestionnaire dans l'économie, ne croyant pas à l'autorégulation de l'économie par les mécanismes naturels des lois du marché. L'Etat doit donc intervenir en tant qu'agent régulateur, car le capitalisme livré à lui-même ne peut que conduire à des crises chroniques. C'est à l'Etat d'intervenir pour relancer la demande de biens de consommation et de biens d'investissement. Keynes a en quelque sorte été l'artisan du développement de l'Etat providence après la Seconde Guerre mondiale. Le sous emploi des facteurs de production est, selon Keynes, dû au fait que les entrepreneurs ont des anticipations pessimistes et sous-estiment la demande effective, le salaire n'étant pas seulement un coût mais un déterminant important de la demande. Pour Keynes, en période de récession seul l'Etat est en mesure de stimuler la demande lorsque celle-ci est insuffisante. En effet, en période de crise les agents économiques ne dépensent pas et les entreprises n'investissent pas. L'investissement ne peut donc «repartir» que si les anticipations des entreprises sont positives. Il s'agit de redonner confiance aux consommateurs, de mettre en œuvre des moyens de répartition des richesses permettant aux agents économiques qui ont la propension moyenne à consommer la plus élevée (c'est-à-dire les catégories sociales les plus «défavorisées») de dépenser pour mieux relancer la machine économique ; de baisser les taux d'intérêts pour stimuler le crédit à la consommation et aux investissements et enfin d'engager une politique de grands travaux publics qui provoqueront un effet multiplicateur de revenus et accélérateur d'investissements. Le rôle de l'Etat consiste donc à injecter des revenus pour «doper» la machine économique. La reprise de la consommation entraînera une augmentation des investissements, donc la situation de l'emploi s'en trouvera améliorée, et ce grâce au multiplicateur de revenus. Le cadre du modèle keynésien est la propriété privée des moyens de production se fondant une économie fermée. Lié à cet aspect, c'est un modèle de court terme, l'Etat n'intervenant que transitoirement en période de crise, donc se situant dans le cadre d'actions conjoncturelles postulant l'élasticité des facteurs de production, équipement, travail qualité disponibles. Aussi, la théorie keynésienne se refuse à toute vision à long terme de l'économie, contrairement aux théories classiques de David Ricardo, de Karl Marx ou de Joseph Schumpeter qui intériorise la dynamique des institutions et la dynamique des groupes sociaux. Or, avec la crise actuelle nous avons besoin d'un modèle dynamique à moyen et long termes tenant compte de l'interdépendance des économies, du nouveau défi écologique et de cette dualité insupportable entre le Nord et le Sud, la responsabilité étant partagée, la gouvernance de bon nombre de dirigeants du tiers-monde étant la plus discutable. À l'heure actuelle, l'internationalisation croissante des économies constitue une sérieuse limite au modèle. Si elle peut être applicable dans les pays développés, le crédit à la consommation redynamise l'économie par la consommation il l'est à certaines conditions : premièrement, il n'est pas si aisé d'agir sur le niveau de consommation globale car la consommation dépend de facteurs économiques et psychosociologiques qui ne sont pas toujours facilement identifiables ni maîtrisables. Deuxièmement, le paradoxe consommation -épargne constitue également une limite au keynésianisme: les entrepreneurs n'investissent que si le coût du capital est faible donc si les taux d'intérêt sont faibles car la rentabilité du capital doit être supérieure au taux d'intérêt. Dans le cas contraire, les entrepreneurs n'investissent pas. Or, les taux d'intérêt faibles supposent une épargne abondante et une épargne abondante est incompatible avec une forte consommation. Ainsi, à la lumière de l'expérience algérienne, le modèle keynésien est difficilement transposable du fait de la faiblesse de la production locale et de la faiblesse du pouvoir d'achat. 3.- La théorie keynésienne à l'épreuve de l'expérience algérienne de la dépense publique Environ en 2016, 97/98% des recettes en devises proviennent directement et indirectement des hydrocarbures bruts et semi-bruts, 83% du tissu productif est constitué de petits commerce/services, le secteur productif étant marginal, le secteur industriel moins de 5% du PIB et sur ces 5%, plus de 95% de PMI/PME peu innovantes. Donc existe une part incompressible des importations nécessaires à la population et aux segments productifs, 70% des entreprises publiques et privées ?taux d'intégration inférieur à 15%, fonctionnant avec des inputs importés. En cas de non dynamisation du secteur productif entre 2017/2020, en s'en tenant au financement interne par nos propres moyens, l'on ira forcément à l'épuisement des réserves de change. Comme les réserves de change tiennent la valeur du dinar déjà coté officiellement à plus de 120 dinars un euro et plus de 190 dinars sur le marché parallèle, un montant de réserves de change de 10/20 milliards de dollars entraînera forcément une cotation officielle à plus de 200 dinars un euro, un processus inflationniste avec forcément le relèvement des taux d'intérêt. A un cours de 48 dollars les recettes de Sonatrach seront inférieures à 30 milliards de dollars et pour un cours du Brent 50/55 dollars, les recettes de Sonatrach, représentant 98% des entrées de devises, seraient entre 30/34 milliards de dollars (à soustraire 20% de coût), pour une sortie de devises biens-services transferts légaux de capitaux variant 2016/2017 entre 55/60 milliards de dollars. Car entre 2000/2016, on constate une mauvaise programmation, une surestimation des dépenses et de longs retards dans l'exécution des projets, de très importants dépassements de budget au niveau de différents projets dont l'existence d'un décalage entre la planification budgétaire et les priorités sectorielles, l'absence d'interventions efficaces dues à un morcellement du budget résultant de la séparation entre le budget d'investissement et le budget de fonctionnement, des passifs éventuels potentiellement importants, de longs retards et des surcoûts pendant l'exécution des projets. Ceci, témoigne de la faiblesse de la capacité d'exécution des organismes d'exécution et que ni les ministères d'exécution, ni le ministère des Finances n'ont suffisamment de capacités techniques pour superviser la qualité de ces études, se bornant au contrôle financier, le suivi technique (ou physique) exercé par les entités d'exécution étant inconnu ou au mieux insuffisant. De nombreuses faiblesses trouvent leur origine dans l'urgence qui accompagne la préparation des projets notamment la myriade de demandes spécifiques auxquelles les projets sont supposés répondre avec des chevauchements des responsabilités entre les diverses autorités et parties prenantes (des dizaines de commissions ministérielles et commissions de wilaya) ce que les économistes appellent les coûts de transaction, et ce faute d'une organisation institutionnelle non optimale. Dès lors, nous aurons (04) impacts de l'inefficacité de la dépense publique: -a- sur la valeur des importations, car le gonflement est dû essentiellement à la dépense publique; -b- sur le processus inflationniste qui est à l'origine pour partie de l'inflation et très accessoirement les salaires qui représentent moins de 25% rapportés au produit intérieur brut ; -c- sur la balance des paiements du fait que le doublement de la valeur des services entre 2002/2016, 10/11 milliards de dollars/an concerne essentiellement le poste infrastructures (assistance étrangère) renvoyant à la dévalorisation du savoir ; -d- sur le taux de croissance global et sectoriel. Là aussi il faut replacer les chiffres dans leurs véritables contextes, car les hydrocarbures irriguent l'ensemble de l'économie et le segment hors hydrocarbures l'est à plus de 80% sur le total des 5/6% hors hydrocarbures de taux de croissance invoqué par les officiels ( moyenne 2000/2016), restant aux seules véritables entreprises une participation réelle inférieure à 10% du total du produit intérieur brut (PIB) comme le montrent depuis plusieurs années les exportations hors hydrocarbures (environ 3% du total). La question centrale qui se pose et qui devrait interpeller les plus hautes autorités algériennes au plus haut niveau est comment avec une dépense publique sans précédent depuis l'indépendance politique, les résultats sont-ils si mitigés ? D'où l'urgence d'une quantification précise des capacités d'absorption de ces dépenses, car tout divorce entre les objectifs et les moyens nationaux limités, dont la solution de facilité est le recours forcément aux entreprises étrangères avec des réalisations clefs en main limitant forcément l'accumulation du savoir-faire technologique et organisationnel interne sans compter les réévaluations permanentes? Doit-on continuer dans cette trajectoire où les dépenses ne sont pas propositionnelles aux impacts, où les réserves de change sont dues à des facteurs exogènes ? 4.-Le financement non conventionnel doit être ciblé pour éviter l'inflation D'une manière générale, la dépense publique a ses propres limites comme le montre la crise mondiale récente, et le problème fondamental stratégique qui se pose à l'Algérie réside en l'urgence d'une bonne gouvernance renouvelée se fondant sur un Etat de droit et la démocratisation des décisions, l'épanouissement de l'entreprise concurrentielle nationale ou internationale et son fondement la valorisation du savoir, richesse bien plus importante que toutes les ressources d'hydrocarbures. Comment ne pas rappeler que lors de la conférence nationale sur le développement économique et social le 4 novembre 2014 en présence du Premier ministre de l'époque et des membres du gouvernement, reproduite octobre/novembre 2014 dans la presse nationale et internationale ( www.google.com) j'avais proposé d'approfondir les réformes structurelles et mettre en place un large front social face à la chute du cours des hydrocarbures sous le titre «le Pr Mebtoul préconise la création d'un comité indépendant de sauvegarde contre les effets de la crise». Avons-nous été écoutés depuis ? Je ne puis oublier ce jour où la majorité des ministres -pas tous- et des experts affirmaient que le cours allait remonter et rejetaient cette proposition et que le Pr Mebtoul était un oiseau de mauvais augure. Même les experts du Conseil économique et social ont induit en erreur les autorités du pays par des rapports de complaisance entre 2013/2014. La dépense monétaire encourageant les infrastructures qui ne sont qu'un moyen à impact limité pour un développement durable. Aussi, attention pour l'Algérie à une application irréfléchie du financement non conventionnel en donnant la préférence à la planche à billets qui entraînerait l'Algérie dans un processus inflationniste incontrôlé, à l'image de l'expérience vénézuélienne au bord de la faillite bien que ce pays possède la plus grande réserve mondiale de pétrole. Il y a urgence à poser les véritables problèmes, à savoir l'approfondissement de la réforme globale pour un véritable développement hors hydrocarbures, du passage d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures. Seules des réformes internes permettront de modifier le régime de croissance pour atteindre une croissance durable hors hydrocarbures, condition de la création d'emploi à valeur ajoutée, mettant fin progressivement à cette croissance volatile et soumise aux chocs externes, les dépenses monétaires sans se préoccuper des impacts et l'importance des réserves de change, n'étant pas synonyme de développement car fonction du cours des hydrocarbures. Or, paradoxalement, l'avancée ou l'accélération des réformes en Algérie est inversement proportionnelle au cours du pétrole : elle freinée lorsque les cours s'élèvent. Pour l'Algérie se pose cette question stratégique : pétrole bénédiction ou malédiction ? Il faut une nette volonté politique de réformer. ademmebtoul@gmail.com Biographie Keynes, John. M. 1936. Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, Editions Payot, 1969, 387 p. L'évaluation des effets de la dépense publique en Algérie réalisée sous la direction de Theodore O. Ahlers (rapport banque mondiale -n°36270 DZ 15 août 2007- deux volumes), remis aux autorités algériennes montrant clairement, à partir d'enquêtes précises sur le terrain, la faible efficacité de la dépense publique du programme de soutien à la relance économique. -Sous la direction de Abderrahmane Mebtoul l'étude pluridisciplinaire (économistes, sociologues, démographes) les axes de la relance économique face aux mutations mondiales entre janvier 2014 pour les pouvoirs publics algériens (8 volumes 825 pages). *Professeur, expert international |
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