Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les Rohingya, un holocauste à petit feu

par Mourad Benachenhou

C'est un fait certain que les Rohingya appartiennent au peuple du Myanmar. Ils sont nés au Myanmar. Ils ont vécu pendant des siècles au Myanmar avec les autres groupes ethniques; ils ont participé à l'histoire politique et culturelle du Myanmar. Ils ont souffert de la même oppression et des mêmes violations des droits de l'homme que les autres habitants du Myanmar. Ils méritent maintenant de prendre part à cette unique opportunité d'édification de la paix, de la démocratie et du respect des droits de l'homme.

Tomas Ojea Quintano, rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme au Myanmar.

1ère partie

Les médias internationaux présentent la Birmanie comme un Etat dont les dirigeants auraient, depuis ces quatre dernière années, définitivement choisi la voie de la démocratie.

LA BIRMANIE, UN ETAT PRESQUE «COMME LA FRANCE?»

Tout récemment encore, TV5-Monde, l'outil de propagande officiel de quatre états francophones, a diffusé un reportage sur ce pays, qui en présente une image visant à faire croire que la classe au pouvoir aurait enfin trouvé le chemin de la rédemption à la fois politique et culturelle, qu'elle aurait embrassé sans réserve les concepts des droits de l'homme, qui constituent la fierté de l'Occident, qu'elle permettrait à son peuple de jouir de tous les bienfaits de la liberté individuelle, et que sa jeunesse croquerait à grosse bouche aux fruits défendus de la modernité.

Mais, hélas! Ce reportage n'est rien d'autre que de la pure fiction journalistique, dont la diffusion répond plus à des considérations de politique étrangère, motivées exclusivement par des intérêts économiques puissants, au vu des bénéfices que retirent Total et d'autres multinationales de leurs investissements dans ce pays, qu'à l'intention affichée de donner une image objective d'une contrée, qui est loin d'être gouvernée par un Etat-modèle quasi-idyllique où tout un chacun vivrait presque «à la française.»

L'OUVERTURE DEMOCRATIQUE EN BIRMANIE, UNE GROSSIERE MYSTIFICATION

Car, comme le rappellent Julia Bowling et Neda Said, dans un article publié par la revue « Prospects,» et en conclusion d'une étude dirigée par le Dr. Jorge Mongay, de l'Université autonome de Barcelone:

«En dépit des récentes réformes démocratiques, la Birmanie est gouvernée par une des dictatures les plus brutales du Monde. Elle occupe la 180ème place -parmi 182 pays- pour ce qui est de la corruption et est le pire des pays du monde pour les aspects suivants: participation démocratique, efficience du gouvernement, reddition de comptes, droits humains, stabilité politique et état de droit. «Il est prouvé que le gouvernement viole, brûle et tue ses propres citoyens, y compris les enfants, de manière systématique et quotidienne. On sait que le génocide ethnique est en marche dans ce pays divers sur les plans culturel et ethnique. La junte militaire qui contrôle le pays dépense des milliards de dollars en armes et munitions alors qu'elle investit une moyenne de 50 cents (55 dinars algériens, nda) par personne dans la santé. La majorité de la population vit dans des conditions terribles, sans accès à l'eau courante, à l'éducation ou aux médicaments.»

LES ROHINGYA, UNE MINORITE ETHNIQUE ORIGINELLE DE LA BIRMANIE

Cet article des deux chercheurs a été écrit en 2012. Mais, en dehors de l'appui de moins en moins réservé de la part des grandes puissances à ce «Myanmar Nouveau,» rien n'a changé depuis.

La meilleure preuve en est donnée par le sort réservé aux Rohingya, minorité musulmane de langue proche du birman, dont la présence dans l'ouest de la Birmanie est historiquement attestée depuis le 11ème siècle. Prétextant que cette minorité serait en fait composée de descendants d'émigrés originaires du Bengale qui se seraient installés en Birmanie dans la foulée de l'occupation anglaise à partir de 1823, les autorités birmanes ont, depuis 1962, mené contre elle une politique d'élimination physique, dont le caractère génocidaire ne saurait être nié.

Pourtant, pendant près de quarante quatre ans et en dépit de la répression qui les frappait au même titre que les autres minorités ethniques non mongoloïdes, les droits nationaux des Rohingya ne furent jamais mis en cause; ils étaient reconnus, en vertu d'une loi promulgué en 1948, comme citoyens birmans et comme minorité faisant partie intégrante du peuple birman et jouissant de tous les droits de la nationalité birmane, y compris le droit à une carte d'identité birmane, le droit de participer aux élections et d'être élus, et même bénéficiant d'émissions de la radio publique dans leur langue.

En 1951, une loi birmane définissant les conditions d'obtention des cartes d'identité nationale permit aux Rohingyas de l'obtenir. Tous comme les autres minorités,- dont 17 avaient pris les armes sur les 136 reconnues par l'Etat birman, et dont certaines sont jusqu'à présent en rébellion contre le gouvernement central- les Rohingya avaient tenté en 1948 de créer une entité autonome en usant des armes, mais avaient renoncé à la violence en 1951. Bien que continuant à être sujets à des mesures discriminatoires arbitraires de la part des autorités officielles, les Rohingya avaient accepté de s'intégrer totalement et pacifiquement dans la vie politique et sociale du pays en conformité avec le mode de gouvernance des autorités militaires birmanes, au pouvoir à partir de 1962.

UNE LOI SUR LA CITOYENNETE DESTINEE A EXCLURE LES ROHINGYA DE LEUR CITOYENNETE!

En 1982, une loi sur les nationalités est unilatéralement édictée par la junte birmane dont le chef était alors le général Ne Win.

Comme l'explique Greg Constantine, dans un livre consacré au drame des Rohyngia et intitulé :» Exiled to Nowhere, Burma's Rohingya,» (2014) (voir résumé dans www.exiledtonowhere.com) cette loi a l'étrange caractéristique d'exclure de la citoyenneté une partie des habitants de la Birmanie. Il écrit à ce propos:

«Les nations à travers le monde ont une législation qui définit les critères sur les bases desquelles une personne acquiert une citoyenneté. Mais la signification de la loi sur la citoyenneté promulguée en Birmanie n'était pas la définition des critères d'appartenance, mais des critères d'exclusion de la citoyenneté. Une fois le texte entré en vigueur, quelques huit cent mille Rohingya du gouvernorat du nord Rakhine, (Arakan) se retrouvèrent apatrides. La loi sur la citoyenneté ne faisait que formaliser la politique d'exclusion dont avaient souffert les Rohingya de la part de la junte militaire depuis 1961, lorsque le général Ne Win prit le pouvoir à la suite d'un coup d'Etat, et instaura «la voie birmane vers le socialisme.»

LE NASAKA, TRADUCTION DE «GESTAPO» EN BIRMAN

En 1992, les autorités militaires birmanes mettent toute la région nord-ouest du pays, où sont concentrés les Rohingya, sous administration militaire.

Sous le sigle de «NaSaka,» une unité spéciale est créée, regroupant des forces de police et des unités de l'armée. Déjà soumis à des mesures d'exclusion et de répression arbitraire, qui forcent des centaines de milliers d'entre eux à se réfugier dans le pays proche du Bengladesh, les Rohingya connaissent alors une brutale détérioration de leurs conditions de vie.

Les unités du NaSaka, sous le couvert d'éviter les attaques de la population majoritairement bouddhiste - menées par des prêtres eux-mêmes instrumentés et protégés par ces forces de sécurité, -mènent alors une campagne de confiscation de propriété, de destruction et de pillage des biens des Rohingya, qu'ils soumettent à des restrictions de déplacement, et qu'ils parquent peu à peu dans des camps spéciaux, leur enlevant tout moyen de gagner leur vie, et les privant de l'accès aux écoles et aux soins.

LES ROHINGYA, INTERDITS DE MARIAGE, DE NAISSANCE ET FINALEMENT D'EXISTENCE

En 1994, les autorités birmanes cessent de délivrer des certificats de naissances aux nouveaux-nés Rohingya, et soumettent les membres de cette minorité à une autorisation spéciale de mariage, donnée par le NaSaka. Les mariages musulmans ne sont plus reconnus. Toute violation de cette interdiction de mariage sans autorisation préalable est punie d'une amende, de poursuites judiciaires et de peines de prison; Même les relations sexuelles non autorisées préalablement sont soumises à cette réglementation.

La «démocratisation» de la Birmanie proclamée et applaudie à l'échelle internationale n'a pas eu d'effets bénéfiques sur le sort des Rohingya, qui continuent à subir des violences au quotidien. On peut même affirmer que cette ouverture politique a donné des résultats contraires à ceux qui étaient attendus d'un régime prétendument sur la voie du progrès quant au respect des droits de l'homme. Le nouveau parlement birman a confirmé en 2011 toutes les législations visant à éliminer la minorité Rohingya.

Le recensement de la population birmane, opération lancée en juillet 2014, et qui a bénéficié de l'appui financier et technique de la part de l'ONU, comme de certains pays occidentaux, ne reconnaît pas l'existence des Rohingya, et oblige ceux qui sont membres de cette minorité soit à se déclarer «Bengalais,» soit à mentionner qu'ils sont autres que les 135 minorités officiellement reconnues. Quatre lois, sous le titre générique de « Protection de la race et de la religion nationales» ont été votées en mai 2015 par le parlement birman; elles visent à officialiser les mesures de limitation du droit au mariage des Rohingya et de leur droit d'avoir des enfants. Toutes ces lois, faut-il le faire remarquer, sont les exactes répliques des lois raciales du Troisième Reich, et c'est ce que souligne un rapport de l'Institut d'Auschwitz, (www.auschwitzinstitute:org) qui s'est donné pour mission de dénoncer toutes les tentatives de génocide de minorités à travers le monde. Finalement, pour qu'aucun doute ne subsiste quant à la disparition officielle des Rohingya de la liste des minorités birmanes, le parlement national Birman a adopté le 14 novembre 2014 à l'unanimité une motion urgente objectant à l'utilisation par le secrétaire général de l'ONU du terme «Rohingya» qui, selon cette motion, fait référence à «un peuple qui n'a jamais existé officiellement.» Il n'y a pas plus clair que ce message qui ne fait qu'exprimer une réalité quasiment acquise sur le terrain: le génocide des Rohingya est consommé ! Là aussi, on constate une absence totale de réaction de la «communauté internationale.»

A suivre