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1ère partie
Monsieur Abdellatif Benachenhou a le grand mérite, très pédagogique d'ailleurs, d'intervenir de temps à autre pour aborder quelques questions relatives au fonctionnement de notre économie. Il titille un peu ce que l'on peut appeler «la conscience de l'économie nationale» et c'est bien ainsi. Quand nous voyons, à l'occasion de la crise financière qui sévit actuellement, les grands chantres de l'ouverture économique pure et dure rentrer dans leurs pénates et appeler à acheter américain pour les uns, souhaiter la protection et même le retour des entreprises anciennement délocalisées dans les ex-pays de l'Est sur le territoire d'origine pour les autres, et j'en passe. Nous sommes en devoir de voir de plus près ce qui se passe chez nous dans notre espace économique. Il est clair, aujourd'hui, que les dominants, après avoir engrangé privativement les gains de la période d'expansion, sont en train de «socialiser» les pertes constatées et prévisionnelles au détriment de leurs contribuables et sur notre dos, à travers la baisse généralisée des prix des matières premières et d'autres pratiques commerciales. La crise n'est pas pour tout le monde, TOTAL par exemple vient de faire en 2008 un bénéfice record de 20,5 milliards de dollars! Il est loin de notre esprit d'appeler à une quelconque fermeture à l'échange international, ni même au repli, mais il est bon de plaider pour une ouverture consciente, régulée et contrôlée. Il est certain que l'ouverture aux échanges procure des gains pour l'ensemble de l'économie si elle est bien gouvernée, mais il ne faut pas négliger la juste répartition des gains et des coûts au motif que des politiques correctives à mettre en oeuvre seraient en mesure de remédier aux inégalités. Tout comme nous n'avons pas le droit de nous «déshabiller» pour adhérer à l'OMC, le tout est question de négociation intelligente et bien menée (on ne nous fera pas de cadeau) et beaucoup de diplomatie. Mais là n'est pas notre propos pour cette intervention. Ce qui parait important à discuter en premier lieu à partir du discours développé par Mr Benachenhou réside dans les quelques points suivants: KEYNES EST MORT ? Il a été déjà répondu à cette affirmation que Keynes devait plus que jamais être le recours. Peut-on simplement interférer dans le sujet en nous posant la question «Keynes mort ou vivant est-il de notre monde ?». Jean Tinbergen, qui eut en 1969 le premier prix Nobel d'économie dans l'histoire pour ses travaux sur la politique économique, disait justement qu'une conclusion s'imposait pour un pays qui souffre de chômage par manque de capital et d'investissement : il est inutile de relancer la demande en augmentant la dépense publique, c'est-à-dire que la politique budgétaire est inopérante» (1). Selon donc Tinbergen, la relance par la demande reste «un produit à la carte» et ne se le paye pas qui veut. Il faut pouvoir. La «Policy mix» (politique budgétaire/politique monétaire) suppose des données que nous n'avons pas et l'incertitude qui affecte l'offre et la demande de biens et celle qui concerne le marché de la monnaie peut être incontrôlable. Une politique de relance dépend de conditions fondamentales. D'autre part, et sans rentrer dans le fond de l'approche keynésienne, le multiplicateur, outil central de cette analyse, ne peut manifestement pas jouer dans un environnement marqué par la désarticulation et toutes les discontinuités d'un univers sous-développé. Une expansion budgétaire induit une demande d'importation qui réduit le multiplicateur, effet particulièrement sensible dans les pays en développement. UNE QUESTION ENCORE PLUS PROFONDEElle consiste à poser le problème de l'économie en tant que science. Le modèle englobant, universel, ne manque pas, de par la méthode de la science, de nous interpeller sur le passage de l'énoncé général vers le particulier. Non seulement la translation de l'aspect théorique vers l'aspect pratique - surtout qu'il s'agit d'une science humaine, ne l'oublions pas - n'est pas chose aisée. Mais beaucoup plus que cela, les univers sociaux, ici et là, sont chacun formaté par son historicité. Ne s'agit-il pas d'un travestissement de tout ce qui est spécifique pour une immersion dans le modèle économique général, malgré notre incapacité à reproduire sa dynamique dans sa totalité et nous le savons. Entre faits économiques et théorie économique, il y a la société dans toute sa complexité et les correspondances ne relèvent malheureusement pas «du prêt-à-porter». Nous ne voulons surtout pas revendiquer une quelconque science dérivée ou nationale, le «Jdanovisme» est une injure à la pensée humaine. La science est une, elle est universelle, et seul l'esprit scientifique sait en manipuler les outils quand il travaille sur une réalité.En science dure il y a le «delta d'erreur», quelle serait notre marge en science économique quand nous travaillons sur l'aspect concret des choses ? Devant une pathologie avérée, la recette universelle de l'économie peut-elle prescrire un remède certain ? LA QUESTION DU «AQL» ET NON LE «NAQL» Pour en rester à Keynes, il a «vraiment été un homme de son temps au sens où il a pris position sur la plupart des grandes questions économiques en Grande-Bretagne, à la suite de quoi il a fondé la «révolution Keynésienne (1)». Il avait établi le diagnostic dans sa «théorie générale» et il avait une vision pessimiste du vieux capitalisme. Il va donc en fournir une vision renouvelée. Saurons-nous méditer cet exemple au lieu de nous chamailler sur la capacité de telle théorie ou de telle autre à résoudre quelques-uns de nos problèmes économiques ? Jadis, dans le monde de l'Islam, une bataille philosophique s'était engagée entre les partisans du «AQL» et ceux du «NAQL», fallait-il plagier et reprendre intégralement ou interpréter et faire ou agir. Une tête bien faite est préférable à tout point de vue à une tête bien pleine. Quand on lit le surnombre de placages qui font office d'analyse du réel ici et maintenant, on ne baigne pas dans l'optimisme pour la science économique en Algérie. De même la perception de l'économie comme des agrégats de comptes nationaux - toute indispensable et nécessaire qu'elle est - ne peut mettre entre parenthèses l'analyse économique fondamentale proprement dite. Un peu plus par-ci et un peu moins par-là ne peut expliquer les conditions réelles de fonctionnement de l'ensemble économique, tout comme ceux qui, avec des pourcentages, pensent avoir trouver le fil à couper le beurre et croient pouvoir comparer des situations forcément différentes et faire la démonstration scientifique qui s'impose. Les progrès à effectuer par une économie en développement sont multidimensionnels et ne peuvent être cadrés dans un tableau de bord et encore moins dans des pourcentages invoqués comme arguments explicatifs. Si la sémantique économique est en question dans les sociétés pour lesquelles est née la science économique, la mission de l'économiste chez nous n'en est que plus ardue. Refusant l'effort on simplifie par le plagiat. Il est urgent de recommander l'installation d'une chaire de «l'économie du développement» en Algérie, pour éclairer notre vision dans le chemin que nous avons emprunté depuis l'indépendance et qui reste encore long. Mais de grâce, il nous faut une «vraie chaire» avec de vrais chercheurs de vrai rang magistral. On n'évoluera pas en faisant comme si ! QUE S'AGIT-IL D'ANALYSER EN FAIT ? Il faut aller au fond de nos problèmes économiques et probablement faire apparaître les lois qui semblent gouverner le comportement des agents, pourquoi sont-ils ainsi et voir le monde tel qu'il est. Le Docteur Mohamed Seghir NEKKACHE, homme de science et d'expérience, disait, «tu parles comme un livre. Sois le livre si tu veux mais explique-nous notre monde». Notre économie a été moulée dans le «prendre» et refuse «l'entreprendre», pourquoi ? Un détour à travers l'exemple de la Corée du Sud peut éclairer le sujet. Il est à méditer. Le «Success story» de la Corée du Sud est à interroger : ce pays le moins inégalitaire et le plus développé des «Dragons» a, à quelque chose près, démarré le processus de son développement en même temps que nous. Il est la onzième puissance économique mondiale aujourd'hui. La guerre de Corée avait, elle aussi, coûté 1,5 million de morts et détruit 40 % des installations économiques. La Corée était l'un des pays les plus pauvres au monde (à peine 70 dollars par tête d'habitant au début des années 60). Il était marqué par le manque de ressources naturelles et l'étroitesse de son marché intérieur. Grâce à : - Une politique de développement tournée vers l'extérieur et axée sur l'expansion des exportations - La stabilité macroéconomique - Des investissements en capital physique et humain - L'entreprendre sans faille - Et une gouvernance avisée Son développement économique a été parmi les plus rapides et les plus durables au monde. - L'investissement a été financé pour l'essentiel par l'épargne intérieure, les capitaux étrangers ont représenté moins de 10% de la FBCF de 1962 à 1990. - Mais pour combler ses déficits, la Corée du Sud a bénéficié de l'apport des ressources extérieures. L'aide américaine avait débuté en 1946, trente années après, elle s'élevait à 13 milliards de dollars dont 7 pour l'aide militaire et 6 en aide économique, 70% des importations étaient financées par ce soutien et près de 80 % de la FBCF. - Les dépenses locales des militaires américains étaient pratiquement la seule source de devises. Durant la guerre du Vietnam, le contingent coréen envoyé sur place avait fait rentrer un peu plus de 500 millions de dollars à la Corée, les soldats étaient rémunérés en Won. - Le principal de l'aide américaine concernait des objectifs de court terme (produits agricoles, intermédiaires et dérivés du pétrole). - Le financement des grands projets d'investissement (transport, énergie électrique, et secteur manufacturiers) n'a représenté que le cinquième du total de l'aide. - L'endettement international va alors être d'un poids conséquent et secondairement les IDE. La part de la FBCF financée par les ressources en devises tourne autour de 40 %. - Le rapport investissement/PNB sera de 9,7 % en 1961-1962 et passera à 30,8 % en 1987-1988. - Jamais il ne fut permis aux IDE de porter atteinte aux intérêts des entreprises locales exportatrices, ni ceux qui pouvaient provoquer des tensions au niveau de l'offre et de la demande de matières premières et biens intermédiaires. - Les investissements dont le seul but fut d'apporter du financement à des entreprises coréennes furent interdits. - Le déterminant essentiel reconnu par une majorité d'experts qui ont analysé «le miracle coréen» fut un nationalisme constructif basé sur une philosophie d'osmose entre personnalisme et collectivisme à l'exclusion de tout individualisme, la règle économique était de rigueur. - Aucun groupe social ou régional n'est resté à l'écart de la croissance. - L'Etat a de tout temps manifesté sa volonté politique d'orienter l'économie. Il sera présent à 87 % en 1972 dans le secteur financier. - La Banque centrale a contrôlé étroitement le marché monétaire jusqu'en 1978 (économie d'endettement). - Avec la Bourse de Séoul (l'économie de marché financier) l'institut d'émission se contente depuis 1980 du maniement du réescompte et des interventions d'open-market. L'étude du développement de la Bourse avec le soutien de l'Etat peut servir d'exemple. - La construction de l'économie coréenne repose sur des entreprises puissantes et efficientes, la moitié des exportations coréennes sont le fruit de ces structures très concentrées (les CHAEBOLS) telles Hyundai, Lucky Goldstar, Samsung ou Daewoo. - L'Etat a dès de début des années soixante décidé que la richesse consistait à soutenir des entreprises privées à l'aide de crédits soigneusement canalisés et de subventions. - A la tête de ces entreprises, les fondateurs étaient de véritables créateurs, le Président du groupe Hyundai était un ouvrier devenu propriétaire d'un chantier naval le plus important du monde, au sommet de Daewoo c'était un commerçant. - Il fut convenu et entendu que le gouvernement avait droit de vie et de mort sur les chaebols. La complicité de ce dernier avec les patrons réside dans l'incitation à la compétitivité. C'est ainsi que la Corée est passée du textile et de l'acier à l'aérospatiale, les semi-conducteurs et les télécommunications. - Tout ceci est conduit par une administration de qualité. En 1976, 10 % des fonctionnaires avaient été éliminés violemment pour corruption. - L'investissement en capital humain n'est pas en reste dans ce tableau. Les dépenses au titre de l'éducation ont atteint 10% du PIB. En 1994 déjà 100.000 étudiants coréens poursuivaient des études à l'étranger essentiellement à leurs propres frais. - La rencontre entre ce niveau de formation et l'investissement physique a induit le transfert de technologie par appropriation collective. Dans les années 1970, la priorité fut donnée à la recherche, les dépenses de R.D sont passées de 125 millions de dollars en 1976 à un milliard de dollars en 1983; 2% du PIB sont consacrés à la recherche. - C'est sur la base de la fabrication de produits manufacturés à haute technologie et forte valeur ajoutée et en considérant que le coût de la main-d'oeuvre compte moins que sa qualité que ce pays s'est imposé. Avec un peu d'argent il a fondé son capital et son système capitaliste tel qu'il l'a voulu. Là est toute la question. L'ALGERIE : LA TRANSFORMATION BLOQUEE DE L'ARGENT EN CAPITAL L'Algérie est en butte à ce problème depuis son indépendance. La monnaie ne se transforme pas en capital. Or, le capitalisme est justement le processus de transformation de l'argent en produit et du produit en quantité d'argent plus grande que la première mise. La fin organisatrice de cette expansion doit être définie, acceptée et gérée. Sans cela, la théorie démontre que la mise initiale se dissout en matériaux nécessaires (à la reproduction) mais non suffisants pour donner au capital sa vitalité reproductrice. Plus concrètement, nos «investissements» en milliards de dollars sont restés stériles, car sans la logique systémique qui lie l'entrepreneur, le marché, la concurrence, la banque et l'entreprise et la science autrement dits, les éléments dynamiques de la transformation. C'est cette trame systémique et ce réseau infini de réciprocités qui fonde le fonctionnement de cette machine composée de formes organisationnelles (toutes les institutions) génétiquement apparentées au système général accepté. Les Américains de la théorie des organisations parlent d'un «mapping» (un formatage cartographié) qui renferme tous les instruments nécessaires, et suffisants pour faire de l'argent du capital. Nous avons hélas suivi une autre voie, par notre refus de l'entreprendre et nous avons mis en marche le «prendre». Cette démarche a induit la rupture du cycle de transformation de la monnaie en capital. Tout investissement générait des matériaux qui, combinés de façon difforme, obstruaient le chemin du surplus et nous mangions pour ainsi dire notre capital. Aucune ressource ne se transformait en capital, ni la ressource humaine en capital humain (que de déperditions de compétences à ce niveau), ni la ressource argent en capital. La preuve est que la valeur de l'entreprise demeure aléatoire quelle que soit la méthode de calcul utilisée. L'évaluation des actifs a toujours posé problème, les écarts entre le prix du marché et la valeur nette comptable approchée plus ou moins ont été constatés partout. Dans la plupart des expertises il ressort que la structure de ce que l'on désigne comme capital dans l'entreprise est fortement déséquilibrée et on aboutit à des sous évaluations ou à des surévaluations. Les savoirs et des savoir-faire à leur tour ne se transformaient pas en capital technologique. L'entreprise est prise alors dans ce cercle vicieux (au lieu du chemin vertueux), on l'assainit financièrement de période en période et cela constitue des coûts privés nuls et des coûts sociaux qui font notre dette publique. Comment pouvait-il en être autrement dans un ensemble bâti sur le «prendre». a suivre *Universitaire Bibliographie: 1) Jean Tinbergen : "A propos de la théorie en politique économique". 1952. |
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