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Où nous emmène la politique économique américaine ?

par Mohamed A. El-Erian*

CAMBRIDGE – À peine écoulée de moitié, 2025 s'annonce déjà dans les livres d'histoire comme une année d'extrême instabilité induite par les mesures politiques, non seulement sur les marchés financiers, mais également en termes de discours économique et de relations internationales. Reste à savoir où elle nous conduira. Sommes-nous en train d'assister à la fragmentation de l'ordre intérieur et international façonné par les États-Unis, ou simplement à une phase mouvementée en direction d'une reconfiguration bénéfique sur ces deux plans ?

Le S&P 500 est quasiment entré en marché baissier (chutant de 20% par rapport au sommet précédent), pour ensuite reprendre des couleurs et finir par s'élever à un niveau globalement inchangé cette année. Les rendements obligataires n'ont cessé de fluctuer, notamment en raison de perspectives macroéconomiques d'une volatilité vertigineuse. La probabilité d'une récession aux États-Unis s'élevait en dessous de 10% en début d'année, puis elle a explosé jusqu'à atteindre 70% au mois d'avril, pour retomber sous les 40% à peine un mois plus tard.

N'oublions pas la chose suivante : les États-Unis ne sont pas seulement la plus grande économie au monde. Forts d'institutions matures, de marchés financiers structurés, et en tant qu'émetteur de la monnaie de réserve mondiale, les États-Unis sont le pays auquel les autres confient leur épargne et leur richesse. Ce qui se produit aux États-Unis ne se limite pas aux États-Unis. Il n'est donc pas surprenant que les «indicateurs d'incertitude» relatifs aux entreprises et aux ménages atteignent des sommets cette année. Comme l'a exprimé Justin Fox, chroniqueur chez Bloomberg, «l'incertitude n'a jamais semblé aussi incertaine». La cause immédiate de cette situation réside dans la politique américaine des droits de douane, qui provoque des réactions de la part d'autres pays d'importance systémique. Ce n'est toutefois pas seulement le commerce qui intervient ici.

Les États-Unis et d'autres pays ne cessant de repousser les limites de la dette et des déficits, les «justiciers obligataires» ont été tirés de leur sommeil. Dès lors, les corrélations traditionnelles entre actions américaines, obligations et monnaie ont été mises à mal, et les récentes tentatives de réduction ou de réforme du secteur public semblent avoir abouti à davantage de questions que de réponses. Dans ce contexte, les professionnels de l'économie formulent une spectaculaire multitude de points de vue. Certains considèrent par exemple que le récent dégel des relations commerciales entre les États-Unis et la Chine marque un changement fondamental dans l'approche de l'administration Trump (laquelle aurait pris conscience d'un risque de rayons vides dans les magasins), tandis que d'autres y voient seulement une pause temporaire, qui sera suivie par de nouvelles difficultés. Il en va de même pour les relations commerciales entre les États-Unis et l'Europe. Certains considèrent la menace formulée par Trump, consistant à imposer des droits de douane de 50% sur les importations en provenance de l'Union européenne, comme le début d'une escalade de mesures réciproques, vouée à impacter directement et indirectement les deux économies ainsi que le reste du monde. D'autres, notamment depuis le report de l'échéance initiale, y voient le signe supplémentaire d'une stratégie américaine d'«escalade en vue d'une désescalade».

En toile de fond de ces différents points de vue, la principale interrogation est la suivante : l'économie américaine et l'économie mondiale sont-elles en phase de réorganisation fondamentale ? Sommes-nous parvenus à la fin d'un paradigme, ou est-ce que les turbulences actuelles équivalent davantage à un épisode de type COVID-19, à l'issue duquel nous retrouverons une organisation habituelle ?

Cinq questions seront déterminantes pour la suite des événements, à commencer par les droits de douane. Il se pourrait que les derniers rebondissements traduisent une volonté des dirigeants politiques américains de mettre avant tout en place un système commercial plus équitable, à travers une approche d'escalade visant la désescalade. Si tel est le cas, il faut s'attendre à ce que cet objectif l'emporte finalement sur certaines des autres priorités (contradictoires) affirmées : engranger d'importantes recettes, et rapatrier significativement la production manufacturière.

La deuxième question concerne le marché obligataire. Le retour des justiciers obligataires a d'ores et déjà entraîné une forte augmentation des rendements sur les obligations d'État – ceux du Japon atteignant des sommets historiques. Compte tenu des implications potentiellement perturbatrices, la hausse des rendements obligataires pourrait agir comme une forme de discipline préventive ; dans l'alternative, les marchés et les économies pourraient devenir encore plus vulnérables à des bouleversements soudains du coût de l'emprunt pour les États, les entreprises et les ménages.

La troisième réside dans le conflit entre les aspects économiques et les considérations de sécurité nationale. Derrière l'imbroglio des droits de douane intervient en effet un bras de fer entre, d'un côté, les dirigeants économiques conciliants, favorables à la conclusion d'accords, et de l'autre les dirigeants économiques intransigeants, qui estiment nécessaire de souffrir à court terme pour améliorer la sécurité des États-Unis – notamment en contrecarrant le développement de la Chine. Lequel des deux camps l'emportera ?

La quatrième question concerne la manière dont les autres pays réagiront. La volatilité provoquée par les politiques américaines actuelles en conduit certains à s'interroger sur leur adhésion de longue date à un système de commerce et de paiements centré sur les États-Unis. Dans quelle mesure la confiance de base a-t-elle été érodée, et la perte de crédibilité de l'Amérique pourrait-elle accélérer le développement de systèmes alternatifs ?

La dernière question réside dans le comportement des entreprises. Les PDG se contenteront-ils d'exploiter cette période pour renforcer leurs stocks, ou procéderont-ils à des changements plus profonds ? Sont-ils confiants dans leur capacité à répercuter les coûts des droits de douane sur les consommateurs ? Leur point de vue sur les dépenses d'investissement a-t-il fondamentalement changé ?

Si nous étendons l'analyse au-delà de cette année, nous sommes confrontés à des interrogations plus vastes encore. Plutôt que de considérer la volatilité induite par les droits de douane comme la principale cause d'incertitude économique, ne devrions-nous pas y voir un accélérateur de changements structurels plus importants ? Certains outils économiques traditionnels étaient déjà mis à mal par des bouleversements structurels dans le système commercial international, par la diversification des chaînes d'approvisionnement, et bien souvent par la priorité accordée à la résilience plutôt qu'à l'efficacité. Les considérations de sécurité nationale et intérieure prenaient déjà le pas sur les considérations économiques.

La confiance dans les institutions, aussi bien nationales que multilatérales, était déjà érodée. Il est important d'adopter cette vision globale, dans la mesure où elle renforce la notion selon laquelle l'économie mondiale suit une trajectoire agitée vers une destination incertaine. Peut-être nous orientons-nous vers la récession, la stagflation et la fragmentation des systèmes mondiaux de commerce et de paiements. Ou peut-être vivons-nous les premières phases d'une reconfiguration façon Ronald Reagan ou Margaret Thatcher, qui apportera en fin de compte des gains de productivité plus importants, un potentiel de croissance plus élevé, une dette et des déficits moins périlleux, un ordre commercial plus équitable, et un système de paiements plus stable. Bien entendu, même les plus optimistes doivent admettre qu'il s'agit au mieux d'un jeu à pile ou face. En attendant, faisons tous preuve de la résilience nécessaire pour endurer une incertitude prolongée, et de la souplesse requise pour nous préparer à des scénarios futurs très différents.



*Auteur de l'ouvrage intitulé The Only Game in Town : Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse (Random House, 2016), et coauteur (avec Gordon Brown, Michael Spence et Reid Lidow) de Permacrisis : A Plan to Fix a Fractured World (Simon & Schuster, 2023). Président du Queens' College de l'Université de Cambridge, et professeur à la Wharton School de l'Université de Pennsylvanie