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Belgique : Charité bien ordonnée

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Le gouvernement belge refuse d'encaisser 700 millions d'euros d'impôts dus, par des multinationales. Il va même se battre contre lui-même devant la Cour européenne de Justice pour perdre cet argent. C'est une vraie histoire belge.

Etrange attitude que celle du gouvernement belge de refuser d'encaisser un reliquat fiscal de 700 millions d'euros dus par 35 sociétés multinationales que la Commission de l'Union européenne (UE) lui «offre». Plus étrange, le gouvernement belge projette d'interjeter appel, par devant la Cour européenne de Justice, pour annuler cette décision européenne à son profit. Raison : cette anomalie fiscale accordée aux multinationales et grandes entreprises est basée sur un contrat de plein gré, entre le gouvernement belge et les multinationales, depuis les années 2000, sous le gouvernement de Guy Verhofstadt (libéral). Le gouvernement belge craint de faire fuir les investisseurs si cet «arrangement» fiscal est rompu avec les grosses entreprises. Or, la Commissaire en charge de la concurrence de la Commission européenne a clairement indiqué, lors d'une conférence de presse, donnée lundi, en fin de journée, que le système fiscal belge au profit des multinationales est illégal au regard du droit fiscal européen. Ce système dit «Ruling» permet aux grosses sociétés et multinationales de garder la totalité de leurs surplus de bénéfices déclarés, sans payer un seul euro d'impôt. Cette facilité enfreint les règles de la concurrence, très surveillées par la Commission européenne, puisque d'autres pays tels le Luxembourg et la Hollande ont été déjà rappelés à l'ordre, ces dernières années, en les obligeant à supprimer ces cadeaux fiscaux faits aux multinationales. Au-delà de cette prise de bras entre la Belgique et la Commission européenne, c'est toute l'absurdité du droit fiscal européen, empêtré dans un maquis de règlements, droits, conventions, accords spécifiques entre certains Etats et le monde financier et industriel qui ressort, à la surface. De là à réussir une harmonisation fiscale européenne que tous les Etats de l'Union appellent de leurs vœux, il faut une overdose d'optimisme pour y croire. A l'inverse, la prise de pouvoir du capital financier privé, sur le monde politique, est, clairement, illustrée par le cas belge. L'Etat belge, comme, d'ailleurs, presque tous les Etats de l'Union, répète depuis la crise financière internationale de 2008 qu'il est vital de réguler les flux financiers, équilibrer les assiettes fiscales du pays, notamment par un impôt plus juste, partagé au regard des bénéfices dégagés, etc. Huit ans, plus tard, les grandes sociétés multinationales et les marchés boursiers ont repris du poids et pèsent plus qu'avant la crise, sur les politiques publiques des gouvernements. En revanche, ce sont le monde des travailleurs, les classes moyennes et même les retraités qui contribuent, le plus, aux politiques publiques et par le jeu de transferts budgétaires complexes au soutien d'activités privées (culture, sport par exemple). Le drame dans cette histoire est que le gouvernement belge a de fortes chances de gagner la partie en se battant pour perdre ces 700 millions, tant tous les Etats européens gardent chacun et jalousement leur «souveraineté» sur leurs politiques fiscales. Cependant cette histoire de dette que le gouvernement belge refuse d'encaisser aura un coût politique de taille sur l'actuel gouvernement de droite, conduit par le libéral Charles Michel. L'opposition (socialiste, humaniste et les Verts) a interpellé, dès lundi soir, le gouvernement pour l'appeler à se conformer à la décision de la Commission européenne, mais pas seulement, puisque elle remet, dans le débat national, la question de la justice fiscale et de l'orientation globale de la politique de l'actuel gouvernement. Ce même gouvernement qui a décidé de réduire de près de 620 millions d'euros sur 5 ans, le budget de la Société publique ferroviaire (SNCB). Ce qui a provoqué une suite de grèves chez les cheminots. Ou encore de réduire les subventions au monde associatif et de freiner l'alignement de l'indice salarial sur le taux d'inflation, hypothéquant ainsi, le pouvoir d'achat des ménages. En refusant de percevoir l'impôt sur le «surplus» des bénéfices des multinationales et grandes sociétés, il risque de provoquer une vraie cassure, au sein du système économique national, porté par l'important réseau des TPE , PME, les travailleurs et les classes moyennes. Qu'importe, les élections législatives sont encore loin. Dans quatre ans.