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![]() ![]() ![]() ![]() DES PIERRES DANS
MA POCHE. Roman de Kaouther Adimi.
Editions Barzakh, Alger 2015, 176 pages, 600 dinars.
L'héroïne va, très bientôt, avoir 30 ans. Elle est d'un niveau d'instruction supérieur. Certes, elle pense qu'elle n'est pas belle, alors qu'elle n'est pas laide du tout («Je suis une barre médiane», dit-elle. «Bien au milieu, pas devant, pas derrière, pas laide, pas magnifique»). Elle a un travail bien rémunéré, un travail qu'elle aime bien. Elle a son propre logement (loué). Elle s'est «libérée» de la famille et de leurs questions d'un autre temps, d'un autre monde? Mais, elle vit loin de son pays natal, l'Algérie. Le père, un papa cool, est décédé. Elle vit à Paris, la ville de ses rêves de jeunesse. Elle jouit de la liberté de pensée et de mouvement. Jusqu'ici, tout va bien. Hélas, elle est encore célibataire et n'arrive pas à trouver «chaussure à son pied», («coincée», dit-elle, «entre Alger et Paris, entre l'acharnement de ma mère à me faire revenir à la maison pour me marier et ma douillette vie parisienne») subissant ainsi un véritable harcèlement téléphonique quasi quotidien de la part d'une maman qui s'inquiète jusqu'à la névrose. Compréhensible lorsque la cadette va bientôt se marier ! Elle s'aperçoit alors qu'aussi bien à Paris qu'à Alger, le célibat (d'une femme qui vogue vers la trentaine) n'est pas chose aisée à vivre. Il y a, en fait, une recherche éperdue, cachée, mais réelle, de l'autre moitié, l'homme. Pour éviter la «mort solitaire». C'est tout cela qu'elle raconte : observation rigoureuse, méticuleuse, des sociétés (algérienne et française) et de leurs travers et humour se mélangent dans un style léger, rapide, clair, délicieux même. Un style qui est spécifique à l'auteure d'autant qu'elle maîtrise parfaitement la langue et l'écriture romanesque. De plus, le roman a une mise en page originale qui facilite la lecture. L'AUTEURE : Née en 1986 à Alger, elle vit et travaille, aujourd'hui, à Paris. Par le passé, elle avait même été, un instant assez court, journaliste à El Watan. Diplômée en lettres modernes et en management des ressources humaines, elle a déjà écrit un premier roman, «Des ballerines de papicha» (éditions Barzakh, 2010, repris par Actes Sud -France- en 2011, sous le titre «L'Envers des autres»). Elle est aussi auteure de plusieurs nouvelles, pour la plupart reprises dans des ouvrages collectifs (ex : «Alger, la nuit»). Plusieurs prix : Prix du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse d'Alger 2008, Prix du jeune écrivain de langue française en 2006, Prix de la Vocation en 2011, Prix du roman de la Fondation France-Algérie 2015? Avis : Un véritable dessert, léger et délicieux. Avec, cependant, une fin (le dernier chapitre) assez tristounette : «Un jour, je reviendrai à Alger seule et ce ne sera pas un drame». Pour déstresser, le livre est très fortement conseillé aux mamans angoissées et aux jeunes filles célibataires de plus de 25 ans. Ou 30. Aux papas cools, aussi. CITATIONS : «Chez nous, la télévision nous sépare en même temps qu'elle nous réunit» (p 39), «Les armées ne devraient être constituées que de femmes. Les batailles, les révolutions, les guerres seraient bien plus épiques, sanglantes et violentes qu'elles ne l'ont été jusqu'à présent» (p 55), «L'Algérie et ses femmes. Les rêves de mariage. Les féministes, les carriéristes, les belles, les riches, presque toutes ont abandonné la cause. Elles veulent un homme, une jouissance, un statut. Elles ont peur de ces mêmes hommes » (p 57), «Les hommes aiment leur mère au point d'avoir peur de la tromper avec leurs femmes» (p 58), «On ne quitte pas l'Algérie comme on quitte un autre pays» (p 85), «Mon premier mot a été : papa. Mon deuxième : maman. Mon troisième : mariage» (p 101), «Un beau lieu à Alger est un lieu vide» (p 160). LE SANGLOT DU CHARDONNERET. Nouvelles de Farid Benyoucef. Casbah Editions, Alger 2015, 158 pages, 500dinars. Sept nouvelles toutes aussi belles les unes que les autres, avec des titres recherchés ne laissant rien deviner de ce que sera l'histoire (assez concentrée comme toute bonne nouvelle) et surtout sa «chute», qualité indéniable, presque inattendue. Une fin qui surprend bien plus que l'histoire elle-même. Sept nouvelles qui racontent plusieurs histoires, liées à l'enfance, à la beauté, à la mal-vie, à l'amour, à la jeunesse, à la famille, à l'Histoire telle qu'elle était enseignée, à la guerre (de libération nationale), au «jeu» médiatique parfois malsain, au pouvoir de l'argent et à l'arrogance des nouveaux riches, à la Palestine? Bref, la vie de tous les jours telle que vécue par un jeune homme? normal? des années 50? et après. La plus émouvante est bien celle dont le titre orne la page de couverture. «Le sanglot du chardonneret» ou l'affection d'un petit oiseau (originaire de Kabylie) qui, apprivoisé par une famille palestinienne, l'aide par son gazouillis à surmonter les épreuves et les peines, et arrive à jouer le rôle de lien épistolaire (et bien plus) entre un mari, à partir de sa prison israélienne et l'épouse (à Ghaza). La plus révoltante (il y en a une autre, la première, «Cold case»), c'est bien celle du gars pourri d'argent et de morgue qui, à «tombeau ouvert» dans son 4x4, sur «l'autoroute bovinière», s'octroie le droit de vie et de mort (oui, de mort !) sur tous ceux qui ne lui ressemblent pas, presque sûr de l'impunité. Les traits sont peut-être forcés, mais toutes les nouvelles reflètent bien une réalité : celle d'hier, celle d'aujourd'hui. L'AUTEUR : Né en 1951 à Aïn Oulmène (Sétif), études universitaires à Alger? puis à Denver (Colorado), enseignant à l'Université d' Alger (Economie financière)? et consultant, poète, peintre et collaborateur occasionnel de la presse. Déjà auteur d'un recueil de poèmes et de trois romans («Les amants de Cordoue», «Le festin du Diable», «Il Bleut toujours après»). La nouvelle qui a donné son titre à cet ouvrage a reçu le premier prix au concours littéraire de la ville d'Alger (2014). Avis : Du très bon, du bon et du moyennement bon. CITATIONS : «Dans nos contrées, la rumeur était la pépite d'encens, capable, en un rien de temps, d'embaumer toute une région et de s'insinuer partout, sous les couvertures, entre les draps, installant le soupçon entre amants, le doute chez l'époux, la discorde entre frères, la zizanie dans les quartiers» (p 34), «Même lorsque les membres et le corps sont rompus à coups de pierres, les ailes de l'esprit sont toujours plus hautes que les plus hautes des murailles» (p 76), «Les traîtres sont comme les nains, ils naissent aussi petits» (p 94), « La crainte par la dissuasion, l'arme absolue, secrète et redoutable» (p 113), «Chez nous, les lunettes ne protègent pas du soleil, elles dissimulent les tourments de l'âme» (p 114). Essai sur la mystique musulmane, suivi de l'éloge du vin, la Khamriyyah du Sultan des Amoureux (Sultân al-?Âshiqîn), ?Umar ibn al-Farid. Essai d'Emile Dermenghem, présenté par Abderrahmane Rebahi. Editions Librairie de philosophie et de soufisme, Alger 2015, 222 pages, 1.200 dinars. En réalité, c'est un ouvrage double : d'abord une étude sur le soufisme et ensuite un classique de la poésie arabe. Ne pas se fier au titre accrocheur?, le breuvage annoncé est spirituel «dont l'ivresse mystique euphorisante est enracinée dans les lumières de l'éternité, bien avant la création de la vigne», précise l'auteur de la présentation. Il ne s'agit point de vin mais d'amour divin. La «khamriyyah» (Eloge du vin) est un poème mystique (peut-être le plus grand chef-d'œuvre de la poésie mystique arabe du poète égyptien ?Umar ibn al-Farid : 577/1181-632/1235) présenté au complet en arabe et en français puis présenté vers par vers avec des commentaires de Abdelghani an-Nâbolosi. Et quand ils ont un intérêt particulier, avec certains passages du commentaire de Boûrînî. Dans son essai «admirable», Burckhardt dresse un très fidèle tableau des origines du soufisme, de ses principes fondamentaux et de ses techniques et où se trouvent rapportées diverses paroles édifiantes que l'on met dans la bouche des grands soufis. Bien sûr, l'auteur, profondément marqué par la foi et sa culture chrétiennes, ne manque pas de chercher à justifier le credo catholique au travers d'une intervention, «abusive et tendancieuse», des textes musulmans. L'AUTEUR : Archiviste paléographe diplômé de l'Ecole des Chartes, ancien journaliste, conservateur en chef des archives du Gouvernement général en Algérie (jusqu'à sa retraite en janvier 1962), disciple et ami de Louis Massignon. Il a publié un grand nombre d'ouvrages sur l'Islam, la vie du Prophète, le soufisme, l'hagiographie musulmane, la littérature arabe et plusieurs thèmes qui y sont liés. Il a quitté l'Algérie où il y a vécu 20 ans, en mai 1962, la mort dans l'âme. Décédé en France à l'âge de 79 ans. Avis : Livre de chevet? pour découvrir l'autre monde «que nous ne voyons pas» et pour vous apercevoir que le monde n'est qu'un «assemblage d'apparences dont le moindre phénomène cache une réalité». CITATIONS : «L'esprit doit être naturellement préféré à la lettre et le rite n'est rien sans l'intériorisation du culte» ( p 44), «La purification du cœur mène à la contemplation des réalités divines» (p 39). PS : Le film «Le réveil de la force», nouveau-né de la série à succès mondial «Star Wars» a été projeté à la salle Ibn Khaldoun d'Alger. Pour les jeunes, il faut savoir que cette salle est originellement destinée aux spectacles de music-hall et aux concerts musicaux, aux conférences et, peut-être même, aux représentations théâtrales. Voilà donc où on en est arrivé, à Alger, 53 années après l'indépendance. Presque aucune salle commerciale de cinéma en activité continue, malgré des travaux dispendieux, et à peine un peu moins d'une dizaine de salles dignes de ce nom? à travers le pays. Il est vrai qu'il n'y a pas d'industrie du cinéma. Quelques films co-produits avec (et à) l'étranger, des anciens qui s'escriment à réaliser des films «historiques» (sur commande), des jeunes qui s'essayent au court-métrage et au film documentaire? Heureusement, il nous reste Bedjaoui, Hamina et Rachedi pour nous rappeler, de temps en temps, le «bon vieux temps» et Laskri n'est plus là? et des «festivals» aux appellations parfois bien bizarres et aux invité(e) s décati(e)s. |
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