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![]() ![]() ![]() ![]() La « Course » est
le meilleur moyen d'accéder au pouvoir. Il ne s'agit évidemment pas de la
course des chevaux ni celle des voitures mais plutôt de cette ancienne activité
maritime plus ou moins illégale mais fort lucrative pour tout le monde.
Cette époque féérique des Frères Barberousse s'avère à maints égards très instructive. Elle nous enseigne qu'il importe peu que vous soyez issu d'une noblesse quelconque, d'avoir suivi un cursus en sciences politiques, ni d'avoir un passé de militant au sein de l'une des chapelles qui s'entretuent pour la prise du pouvoir. Peu importe que vous soyez ménestrel ou fan de derbouka , que votre mère soit cartomancienne ou péripatéticienne, que vous êtes un faux-moudjahid, un harki reconverti ou un égorgeur amnistié. Il vous suffit seulement d'avoir de l'audace, quelques appuis financiers, la garantie d'être coopté par les pugilistes en place et surtout l'assurance sinon d'être soutenu ou adoubé par les militaires au moins de ne pas susciter leur désapprobation et de promettre à ces derniers des privilèges exorbitants en signe de reconnaissance et d'allégeance. L'Etat Algérien est précisément né de cette grande aventure, ou plutôt de cette odyssée fantastique. Voilà comment de simples corsaires venus débarrasser le pays de la menace espagnole ne tarderont pas à prendre conscience que les terribles guéguerres intestines qui façonnaient l'identité de cette terre ne pouvaient constituer en fin de compte qu'une véritable aubaine : La prise du Pouvoir pendant le chaos. La Politique n'est-elle pas précisément l'art du possible. Les roitelets du pays légitimes ou autoproclamés seront tous liquidés pour les besoins d'une nouvelle ère où prévaudra désormais un Etat central qui sèmera la culture de l'obéissance et de la soumission, consenties ou imposées, une pacification globale au service d'un progrès durable. L'ère de l'assassinat pour raison d'Etat prendra effet avec la liquidation de notre Roi d'Alger , Sélim Toumi , qui sera vulgairement étranglé ( sort qui sera réservé bien plus tard à Abane Ramdane , Krim Belkacem?) par un tandem assez particulier qui réunissait sous le même turban plusieurs personnalités à la fois : moitié affairistes , moitié samaritains , il furent malgré tout pour certains les sauveurs d'une terre constamment menacée beaucoup moins par un ennemi extérieur que par cette satanée prédisposition qu'avaient nos tribus belliqueuses à vivre en dissidence et en guerre contre tout et n'importe quoi. Et c'est ainsi que nos deux Albanais débarqués pour un bivouac de quelques semaines, le temps d'en découdre avec les infidèles, finiront par troquer leur attirail de corsaire contre le caftan d'un Raïs d'un autre genre, pas le Raïs d'une simple galiote mais celui d'un pays tout entier. Ce qui est sidérant dans cette chronique tumultueuse, ce sont les similitudes frappantes avec notre présent chaotique. Nos anciens corsaires devenus chefs d'Etat nous ont légué de formidables traditions en matière de Politique : La passion irrésistible pour la course?au butin, la collusion entre le milieu des affaires maffieuses et celui de la politique, la préservation du trône au moyen d'une armée chargée de tous les équarrissages (gommer les dissidences et adouber nos princes) C'est d'ailleurs ce que la providence réservera invariablement à cette terre. De la régence d'Alger à la gérance de l'Algérie, le chemin parcouru n'est pas tout à fait glorieux. Des sauveurs qui finiront toujours par se transformer en usurpateurs/oppresseurs. Le pays verra passer et trépasser sous-traitants, occupants et locataires d'origines diverses mais tous motivés par le butin ou l'instinct de survie, Etat et population confondus. Débarqués à Sidi-Ferruch le temps qu'était censé prendre une brève opération de « pacification restreinte » emplie de bonnes intentions, voire de nous débarrasser du raquetteur turc, voilà que le colon trahira tous les serments et traités paraphés pompeusement devant des autochtones éberlués et bernés?et qui adoptent d'ailleurs jusqu'à ce jour la même posture comitragique. Le FLN viendra à son tour nous affranchir d'une très longue période d'oppression innommable. Majestueux, unique et indéboulonnable, il régnera en maître absolu pendant des décennies ; il aura succombé lui aussi aux mêmes chants des sirènes. L'ivresse et la folie qui guettent ceux qui prônent le pouvoir absolu feront en sorte que ce parti glorieux qui portait en lui même tant de promesses et de rêves servira plus tard (pour certains) de repaire à brigands, de fonds de commerce, de blanc-seing pour n'importe quoi et d'absolution pour toutes les impérities. Une sacro-sainte légitimité presque de droit divin que nul ne pourra remettre en question. Une idéologie politique (post-indépendance) insensée conjuguée à des pratiques quasi-mafieuses préfigurait déjà ce chaos censé inexorablement ressurgir un jour pour servir encore une fois de prétexte à de nouveaux messies. C'est à des fondamentalistes cette fois que sera légué le sort de cette terre. Ils essayeront à leur manière d'affranchir le peuple de la tyrannie des monarques et des oligarques algériens. Hélas, en guise de délivrance, le pays sera plongé dans une longue nuit d'horreur et de barbarie. En face, nos apprentis sorciers tapis dans l'ombre tenteront l'impossible pour empêcher l'Algérien de continuer à égorger son frère et à bruler tout ce qui lui passe sous la main (infrastructures, institutions, enfants, femmes et vieillards...) Le dernier président viendra en sauveur éteindre les feux de la « Fitna » (sic) et réconcilier des algériens irréconciliables à cause du butin inéquitablement distribué, il restera vingt ans. Il ne pourra éviter, en dépit de toutes les bonnes volontés qui l'eussent animé, que le règne de la course et de la flibusterie perdure de manière plus impudente encore. Affaibli, vraisemblablement déçu en dépit des réalisations notables dont il aura été l'instigateur, le système qui s'est mis en place à son insu reproduira le même type de gouvernance multiséculaire. De nouveaux énergumènes certes mais qui se réapproprient inévitablement les mêmes méthodes : (Népotisme, clanisme voire tribalisme, clientélisme, ostracisme, affairisme, gabegie et corruption). Le dénouement est proche, des cumulo-nimbus planent dangereusement sur nos cranes. Après avoir crevé le matelas de nos réserves de change, grignoté les fonds de régulation des recettes, Nos espoirs se tournent vers la gigantesque manne accumulée dans l'informel voire le criminel. L'Argent n'a pas d'odeur et surtout lorsque la cigale que nous avons été est en train de crier famine chez les fourmis ses voisines. Il n'est pas de mise de faire la fine bouche quant à l'origine de ces deniers salutaires alors que les déclarations de patrimoine de nos commis de l'Etat et de nos élus sont les plus opaques et les plus louches. Une poignée d'archéopaléontologues (G-19) vont à la recherche du dernier souverain. Les gardiens du temple leur refusent l'accès à la crypte , lieu de tous les pouvoirs et de tous les secrets ,des légendes et des mystifications. Celui qui y est pré-enseveli doit rester à l'abri de tous les regards. Aucune autre conspiration ou inspiration que celles de l'intérieur ne pourra y s'y faire valoir. Il y a déjà assez de muses et d'oracles ! Nos Archéopaléontologues clament leur bonne foi et jurent qu'ils ne sont intéressés que par le bien-être de leur cher souverain. Ils désirent le voir une dernière fois pour lui annoncer qu'il a été lui aussi berné comme tous ces autochtones dont nous avons narré les mésaventures. Il s'en ira peut-être comme le Roi Salomon. Tout le monde découvrira son trépas entier, définitif et irréversible plusieurs années après. Ainsi les démons qui sont aux alentours pourront agir à leur guise. Ça permettra surtout aux « Ghéssalin » de fureter, anticiper, réinvestir et miser sur de nouveaux prétendants. Ce sont les turpitudes de l'Algérien qui empêchent la pluie de tomber parait-il. C'est du moins le diagnostic-leitmotiv unanime qui circule dans toutes les mosquées d'Algérie, lors des prêches hebdomadaires et surtout lors des séances d'invocation (Salat El-Istiskaâ). La colère divine ne fera alors qu'augmenter la facture alimentaire et la fracture sociale, accentuer notre dépendance au container, obérer le budget de l'Etat et siphonner l'escarcelle du magnifique consommateur que fut l'Algérien. Nous allons entamer une nouvelle année faite d'incertitudes, jalonnée par des procès à l'encontre de nos généraux, d'éviction, de mise à la retraite imminente, de restructuration de certains services, à défaut de choper tous les autres flibustiers que recèle cette patrie. Les artisans de l'indépendance s'éclipsent en catimini, Dal-Hocine rentre enfin au pays. Il n'aura plus à affronter ce système démoniaque, incurable et irréductible dont la seule devise aura été « Er-Recham Hmida ? El-Lâab Hmida ». Bientôt nous n'aurons que des bribes de souvenirs pour gonfler notre vanité au sujet de notre passé poreux. Des flashs de souvenirs tellement rachitiques et flous que nous finirons par errer avec la cervelle émiettée d'un Parkinsonien. Nous nous contenterons alors de notre mémoire procédurale ; celle qui nous permettra de continuer à subsister tels des zombies, avec des gestes simples, cherchant désespérément à satisfaire nos besoins les plus élémentaires. Quelle tragédie que celle d'avoir des héros anonymes, méconnus et qui se résignent comme ultime acte patriotique et baroud d'honneur de griffonner à la hâte leurs mémoires approximatives, tarabustés par la sénilité et la mort. La mémoire s'en va subrepticement et avec elle ses secrets, ses vérités et ses mensonges. Nos héros en disgrâce ne regagnent leur mère patrie que pour y être ensevelis, enveloppés dans des linceuls d'amertume. Mais qu'est-ce qu'une mémoire collective en fin de compte sans un substratum commun de souvenirs et d'espoirs fondateurs d'une identité féconde. Nous y pallierons à ce vide mémoriel en y entassant des kyrielles de célébrités aussi déterminantes dans la construction de ce «Moi national » que nous avons malmené et lobotomisé. Nous y caserons dans cette foutue mémoire nos chanteurs de Raï, nos matchs de football, nos soirées Ramadhanèsques et surtout nos exceptionnels scandales financiers. L'Algérie n'est ni la Grèce ni l'Espagne, ni aucun de ces pays frappés durement par la récession économique mondiale. Notre pays recèle d'énormes potentialités qui demandent seulement à être exploités intelligemment, honnêtement et collectivement. Si nous mettons fin à cette politique de la terre brulée que certains persistent à mettre en œuvre en pillant les richesses du pays et en annihilant toutes les bonnes volontés et le génie créateur algériens. Joyeuse et bonne année quand-même. * Universitaire |
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