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Nouvelle Constitution : Un président omnipotent, sans contre-pouvoirs

par Abed Charef

La nouvelle Constitution met en place une confrontation inutile entre Premier ministre et Parlement. Le président, de son côté, garde tous les pouvoirs, mais il n'a de comptes à rendre à personne.

Commençons d'abord par les miettes que la nouvelle constitution va distribuer aux seconds couteaux. A tout seigneur tout honneur, tamazight sera langue nationale et officielle. Les journalistes n'iront plus en prison pour des délits commis à travers leurs écrits. Le patronat se voit promettre une amélioration du climat des affaires, les avocats seront plus respectés, les protagonistes des années 1990 verront leur passé définitivement absous, et Mme Louisa Hanoun obtient l'interdiction, par voie constitutionnelle, de ce qu'elle appelle le nomadisme politique. L'opposition n'est pas oubliée, puisque sa revendication d'une commission indépendante chargée de superviser les élections est non seulement validée, mais inscrite dans la constitution. Quant à l'opposition parlementaire, elle obtient une immense faveur : une fois par mois, les deux chambres du parlement vont discuter d'un ordre du jour proposé par l'opposition.

Nombre de ces dispositions n'ont pas leur place dans une constitution. Même pas dans une loi. A peine pourraient-elles être citées dans une résolution politique, quand elles ne sont pas tout simplement contraires à certains principes énoncés dans la même constitution. Mais qu'importe. Pour valider un projet supposé aplanir les difficultés dans la gestion des affaires courantes, le président Abdelaziz Bouteflika est disposé à aller très loin. Y compris transformer la constitution en un fourre-tout dans lequel on distribue des promesses sans rapport avec la vie constitutionnelle.

UN PREMIER MINISTRE TRANSPARENT

Le discours de M. Ahmed Ouyahia sur les nouveaux attributs du parlement ne change rien aux faits. La nouvelle constitution consacre une situation en vigueur depuis des années. Elle concentre l'essentiel des pouvoirs entre les mains du président de la république, qui n'est responsable devant aucune institution. Dans le même temps, pour créer une sorte de jeu politique, la constitution organise une confrontation, sans but ni enjeu, entre deux partenaires n'ayant aucun pouvoir, le premier ministre et le parlement. Le premier ministre n'a pas de programme, il a un «plan d'action». Il le présente à un parlement qui peut le refuser. Mais si le parlement rejette deux gouvernements de suite, c'est l'Assemblée Nationale qui est dissoute. Le président, lui, reste au-dessus de la mêlée. Pourtant, c'est lui qui forme le gouvernement. Le premier ministre n'est que consulté.

Le parlement peut, certes, s'opposer au premier ministre. Mais face au président de la république, il n'a aucun pouvoir. Le chef de l'Etat peut rejeter une loi adoptée par le parlement. Il la soumet à une seconde lecture. Dans ce cas, il faut qu'elle soit adoptée à la majorité des deux tiers. Problème : le président dispose d'une minorité de blocage au Sénat, qui lui permet de faire face.

Le nouveau texte donne l'impression de reprendre les mécanismes de la constitution de 1989, ce qui est complètement faux. Dans la première constitution instituant le multipartisme, le chef de gouvernement avait de vrais pouvoirs. Il définissait sa propre politique, et formait son gouvernement. Il était logique qu'il en assume la responsabilité devant le parlement. N'ayant, aujourd'hui, ni programme propre à lui, ni la faculté de former le gouvernement, il devient absurde de le voir engager sa responsabilité devant le parlement comme le prévoit la nouvelle constitution.

PUNCHING-BALL

Pourquoi tous ces efforts pour faire adopter une constitution sans intérêt? A chaque révision de la constitution, le président Bouteflika a réglé un problème le concernant, ou concernant le pouvoir. Une première fois, il a érigé tamazight langue nationale pour calmer les esprits après les évènements de Kabylie. En 2008, il a supprimé la clause sur la limitation des mandats, s'ouvrant la voie d'un troisième mandat. Cette fois-ci, il veut régler des questions liées au fonctionnement du pouvoir, sans avoir à nommer un vice-président, comme on le lui suggère depuis des années.

En raison de son état de santé, le président Bouteflika n'est pas en mesure d'organiser le travail quotidien de l'exécutif, ce qui se fait sentir dans un pays en crise. Il délègue donc au premier ministre le soin de «présider les réunions du Gouvernement», selon l'article 85, alinéa 2bis. Cela permet à la mécanique de continuer à fonctionner, sans toucher en rien aux pouvoirs du président de la république. Pour le chef de l'Etat, cette formule a l'immense avantage d'évacuer l'idée de créer un poste de vice-président, dont on ne sait sur quoi elle peut déboucher. Elle met en place des mécanismes de gestion sans ambigüités : le premier ministre sait qu'il n'a aucune marge de manoeuvre, et qu'il peut être remercié à tout moment. Le rôle le plus important qu'il ait à jouer est de servir de punching-ball au parlement et à l'opposition. Ce qui permettra au président Bouteflika de terminer tranquillement son quatrième mandat. Et de se préparer pour la suite.