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![]() ![]() ![]() ![]() Suite à l'appel
pour une caravane de solidarité pour le Jbel Chaâmbi (réunion du samedi 12 décembre 2015 et conférence
de presse du lundi 21 décembre au café théâtre Saula,
41, rue d'Iran, quartier Lafayette à Tunis), une organisation s'est mise en
place sur le plan logistique et intellectuel.
Conformément aux débats qui ont jalonné les préparatifs, il était entendu que cette action devait éviter de faire croire à une visite de charité et donner à la solidarité un sens concret. Se rendre à Kasserine c'est effectivement visiter une région pauvre où les femmes, les hommes et la nature souffrent particulièrement du terrorisme. Ce n'est pas la seule en Tunisie mais la zone étant un théâtre d'action médiatisé par la violence terroriste, l'idée était de contrecarrer cette opinion, de dire qu'il n'y a pas que ça. Le slogan Faire la fête à Chaâmbi / a semblé important à traduire en actes. Une campagne d'appel aux dons a été lancée. Les Tunisien/nes donnent beaucoup depuis 2011 et cette fois ci aussi les réponses ont prouvé un sentiment de solidarité infaillible, nourri de l'expérience des cinq dernières années. Sentir un élan, voir que les gens ne sont pas blasés, croient à l'entraide et concoctent des cadeaux « intelligents » a constitué un véritable liant autour du trio initiateur du projet : Tahar Saula, Raja Ben Slama et Abdelmajid Dabbar. Les dons ont été pensés, récoltés et transmis avec efficacité et discrétion (livres pour enfants, jeux, vélos, couvertures, fleurs, pâtisseries...) pour soutenir le moral des kasserinois/es et chercher avec eux les moyens de résister à la peur. On sentait le besoin d'aller sur place pour que les militaires et les civils ne se sentent pas seuls en cette fin d'année 2015 : être ensemble, réfléchir et faire la fête, tels ont été les mobiles d'action. Des contacts ont été pris avec les autorités diverses de la région et la société civile locale qui ont, de leur côté, coordonné l'accueil d'une façon remarquablement efficace. Arrivés sur place dans la soirée du 30 décembre, les arrivants ont commencé à mesurer l'ampleur des efforts fournis pour accueillir la caravane et faire de ces deux journées des moments de joie partagée, inoubliables. Le dîner de bienvenue a été suivi par une soirée musicale animée par le luthiste Slim Aloui et le jeune guitariste Anas Missaoui. Réfléchir ensemble : conjurer la peur et l'ignorance du phénomène terroriste Deux thèmes de table ronde ont été choisis pour la matinée du 31 décembre : les médias et l'environnement face au terrorisme. La première partie, modérée par Raja Ben Slama a été consacrée à réfléchir au traitement médiatique du terrorisme. Le rôle des médias face au phénomène est une des entrées à étudier, en lien avec les professionnels du secteur. Si le fait terroriste est un fait médiatique, quel serait le rôle des médias, s'est demandé RBS ? La violence véhiculée par les médias et l'absence d'écoute des populations ont été les principaux axes de quatre interventions : Essia Latrous, journaliste à Essabah : Pour que le terrorisme ne se transforme pas en canaux de blanchiment du phénomène ; Hédi ?Aloui, sociologue : L'impact du terrorisme sur l'équilibre psychologique de la femme et de l'enfant dans les régions montagneuses ; ?Adel Khidhr, directeur de la Foire Internationale du Livre de Tunis 2016, Le terrorisme et la nouvelle guerre des images ; Belgacem Naddari, psychologue : Le comportement des habitants des confins de Kasserine avec le terrorisme. Le débat (cinq intervenants) a insisté sur la nécessité de recourir aux méthodes d'approche psychologiques et de réfléchir à la façon dont les médias peuvent contribuer à lutter contre les tensions sociales. Plusieurs remarques ont mis sur le tapis les questions du statut de l'intellectuel (organique ou pas, son rôle est de coller au réel), celle du monopole de la violence détenu par l'Etat (et donc de ses devoirs), de l'âge des candidats au terrorisme (adolescence), délaissés par les pouvoirs publics. La deuxième partie de la table ronde modérée par Laroussi Amri a été consacrée aux questions de l'environnement de la région de Kasserine, zone de ressources considérables et lieu exemplaire pour traiter des défis symboliques que la Tunisie doit affronter. Elle a tourné autour de quatre interventions qui ont sonné l'alarme écologique pour la région : Monia M'hamdi, militante associative, Le coût environnemental du fait terroriste ; Hassine Ouled Ahmed, conservateur des deux parcs de Chaâmbi (2003-2011) : Les réserves naturelles et le terrorisme ; Abdelmajid Dabbar, militant associatif : L'exclusion ; Ameur Jridi, enseignant et militant associatif : La défense et la sécurité, fondement de la ?durabilité'. Le débat (7 intervenants) est revenu sur l'absence de volonté politique dans une région qui recèle 1/5 des vestiges archéologiques du pays. La suppression des gardes forestiers, dont la portée politique est capitale, est jusqu'à aujourd'hui non abordée : on veut savoir pourquoi et comment la décision a été prise. Sans revenir à des discussions partisanes, il est essentiel de comprendre les besoins de la jeunesse et de veiller à lui assurer les moyens de vivre sur place. Pour clore les deux tables rondes Kmar Bendana a renouvelé les remerciements des visiteurs pour l'accueil chaleureux et pour la teneur et la franchise des débats. Elle inscrit les idées qui ont émané des enquêtes de terrain et des discussions animées comme pistes de travail à approfondir par d'autres rencontres, de traits d'union humains et cognitifs pour la suite. En réponse aux remarques sur l'immobilisme et le rôle des intellectuels, elle estime que le déroulement de cette manifestation est un signe, mineur certes mais significatif : les choses continuent à évoluer depuis 2011 et le « processus révolutionnaire » ne s'est pas arrêté, malgré tout. Faire du terrorisme un objet d'étude constitue une double thérapie : contre l'ignorance et contre la peur. Aux participants d'investir les espaces de fraternité et d'échange pour travailler ensemble à briser les barrières et pour faire avancer la connaissance sur nous et entre nous. La matinée a été un moment consacré à cela, une raison supplémentaire de remercier les hôtes kasserinois de l'avoir rendue possible. Faire la fête : l'hymne à la vie Un bruit de fond a accompagné les travaux des deux tables rondes : celui des préparatifs de la fête (dressage de tentes et installation d'une scène de spectacle) puis de son déclenchement avec l'arrivée de 150 enfants des écoles des montagnes environnantes. Clowns et amuseurs maquillés et colorés ont animé la première partie des festivités. Civils (familles, parents d'élèves, enseignants et responsables d'éducation) et militaires ont assisté au spectacle de cette kermesse en l'honneur des écoliers/res vêtus des tee-shirts Touche pas à ma Tunisie préparés pour l'occasion. Ensuite est venu le moment d'entendre les élèves de l'école de Boulaâba (village de montagne) chanter des airs patriotiques. Vers 14h, alors que les adultes ont été invités à passer à table sous les tentes dressées pour l'occasion, l'animateur ?Am Radhouan a entamé un programme de chants et de jeux qui a subjugué la foule enfantine, pas pressée de manger les sandwichs prévus pour leur repas de midi. Une atmosphère de fête foraine régnait cet après-midi et même si certains enfants étaient déçus de ne pas avoir pu gagner à l'un des jeux, ils n'ont perdu ni leur tonus ni leur joie de vivre pour la suite de l'après-midi. On attendait le deuxième convoi de la caravane tandis que des visiteurs ont eu le privilège d'explorer en compagnie des militaires les abords de la montagne et de mesurer les efforts des militaires mobilisés pour conjurer le danger. Vers 16h, l'arrivée du convoi (un deuxième bus et des voitures particulières) tant attendue a eu lieu. Il fallait se dépêcher pour l'hommage à l'armée avant le coucher du soleil. Arborant une rose chacun, les enfants sont partis dans un assaut de baisers aux militaires alignés devant l'horizon. La lumière, l'émotion partagée et la retenue qui ont caractérisé cette scène seront difficiles à oublier par les présents. Dans la cohue et les cris d'enfants flottait un air de fraternité et de connivence : des photos et des vidéos ont commencé à circuler. Elles traduisent un peu de la joie qui régnait mais pas toutes les marques individuelles que cette cérémonie a pu imprimer chez les grands et les petits. Après la distribution des gâteaux pour la soirée du réveillon en famille, les élèves sont repartis avec parents et enseignants, pendant que les préparatifs du repas battaient leur plein dans la cuisine d'une maison de jeunes, dont on se demande si elle déjà reçu autant de monde à la fois. La foule rassemblée (des Kasserinois/es se sont joints à la fête) est estimée à plusieurs centaines et prévoir un repas pour les 700 convives environ était un défi pour le comité d'organisation. ?Am Radhouan a repris son service et fait chanter et danser les présents sur le répertoire festif familier. Sur les airs, orientaux ou tunisiens, profanes ou sacrés, complaintes d'amour ou chansons comiques, l'assistance criait Tahya Tounès[Vive la Tunisie], faisant danser les drapeaux ou les endossant comme des châles, scandant la musique avec les fanions rouge et blanc. Les militaires, astreints à la discipline, appréciaient par le sourire et les yeux l'ambiance autour d'eux. Les gens ont dîné par vagues, sans que la musique s'arrête, un second orchestre ayant enchaîné à l'intérieur, dans la salle de conférences transformée en restaurant. A l'approche de minuit, l'assistance s'est déplacée pour admirer le gâteau de la soirée, allumer des bougies, se préparer au feu d'artifice, danser et chanter encore, entonner l'hymne national Houmat al hima observer une minute de silence (la deuxième de la journée). Le coup de canon de minuit a été suivi par une série de bouquets colorés dans le ciel, accompagné des mêmes cris Tahya Tounès... Le gâteau partagé et une partie des invités ayant rejoint leur hôtel à Sbeïtla, la fête a continué à l'intérieur avec l'orchestre, avec les habitants du lieu. Les feux se sont éteints vers 2 h du matin. Un air de légèreté planait. Pour les militaires, cela a dû être un soulagement d'arriver avec zéro faute au bout d'une organisation minutieuse. Les enfants se sont sûrement endormis rapidement après une journée si fatigante. Pour tous les participants, ce 31 décembre 2015 restera gravé dans les mémoires, comme une soirée de gaîté et de folie, un moment de grâce, peut-être aussi d'espoir. |
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