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Tout le monde émarge en commissions et rétro-commissions : Le Monsieur Algérie de Saipem devant les juges

par Salem Ferdi

L'ancien directeur de la division ingénierie et construction de la société italienne Saipem, Petro Varone, arrêté le 28 juillet dernier dans le cadre de l'enquête menée par le parquet de Milan sur le versement de pots-de-vin pour l'obtention de contrats en Algérie, passe devant la cour de justice, demain lundi.

L'affaire ne porte pas seulement sur des commissions versées aux Algériens via «l'ami nécessaire» Farid Bedjaoui, il y a également une rétro-commission de 10 millions de dollars qui serait «revenue» à l'ancien directeur de la division ingénierie de Saipem. On est dans le classique de la corruption nord-sud. Les rétro-commissions sont des pratiques illégales où le vendeur -en l'occurrence Saipem- offre plus de commissions que nécessaire à un intermédiaire -ici le sieur Farid Bedjaoui- pour en récupérer une partie par la suite. Avec les rétro-commissions, l'argument cynique de la «corruption nécessaire» pour obtenir des marchés est mis à nu. Tout le monde émarge? Le seul perdant dans l'histoire est l'Etat algérien. Dans le cas des «affaires» de Saipem avec l'Algérie, les sept contrats d'un montant cumulé de 8 milliards d'euros conclus entre 2007 et 2010 ont donné lieu, selon la justice italienne, à un versement de commissions de 197 millions de dollars. Ce qui donne un pourcentage de commission de 2,5% ! Des versements effectués à la société, Pearl Partners Limited, basée à Hongkong, qui appartient à Farid Noureddine Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères. Dans la presse italienne, Farid Bendajoui est crédité du nom du «jeune» qui faisait l'intermédiaire avec les entreprises étrangères en travaillant en cheville avec le «vieux», alias Chakib Khelil, le grand patron du secteur pétro-gazier algérien pendant une longue décennie.

Avant d'être arrêté, Pietro Varone, suspendu à titre «préventif» de la direction de Saipem, avait confirmé aux juges que Pearl Partners et Farid Bedjaoui, c'est «kif-kif». La justice italienne a d'ailleurs manifesté l'intention de saisir l'argent sale détenu par Farid Bedjaoui sur des comptes à Singapour et Hong Kong. Selon le quotidien Corriere della Sera, «plus de 100 millions de dollars (75,3 millions d'euros) se trouveraient à Singapour sur des comptes contrôlés par M. Bedjaoui et 23 autres millions de dollars (17,3 millions d'euros) seraient à Hong Kong», selon la même source.

CORRUPTION DANS LES DEUX SENS

L'affaire avait contraint le patron de Saipem, Pietro Tali, à démissionner. Mais il semble clair que Pietro Varone était le «Mister Algérie» du système de pots-de-vin mis en place pour obtenir des contrats. La corruption n'a pas fonctionné dans un seul sens comme semblent le confirmer les poursuites engagées contre lui sur la rétro-commission de 10 millions de dollars perçue par Pietro Varone. La justice italienne est très entreprenante dans cette affaire. Le jour même où Pietro Varone a été arrêté dans le secret le plus total, le parquet de Milan a lancé un mandat d'arrêt international contre Farid Bedjaoui qui circule avec un passeport français. Selon l'acte d'accusation, évoqué dans la presse italienne, les pots-de-vin de 197 millions de dollars ont été répartis entre Chakib Khelil, des membres de sa famille, des membres de la direction de Sonatrach, Pietro Varone et l'ancien PDG de Saipem Algérie, Tullio Orsi, et, bien entendu, Farid Bedjaoui. Pietro Varone, le seul personnage détenu dans cette affaire, aurait, selon le juge, agi pour faire disparaître les preuves.

Par ailleurs, le régulateur boursier italien, Consob, a contesté les comptes de Saipem sur huit contrats entraînant une chute de l'action de la compagnie. Une procédure a été engagée qui pourrait conduire à des réajustements à propos d'inexactitudes comptables dans les contrats. La Consob dit avoir détecté des risques de pertes de 173 millions de dollars sur trois contrats qui devaient être inclus dans les résultats de 2012. Saipem, où le groupe Eni détient 41%, a perdu presque la moitié de sa valeur de marché en 2013 suite à deux avertissements de la Consob sur les résultats et aux affaires de corruption en Algérie.