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Les recherches de
critères de commensurabilité entre les sociétés et les époques sont nombreuses
et nombre d'entre elles (sans doute à raison) sont discutables. La plupart de
ces critères relèvent de l'économie (production de richesses, consommation
d'énergie ou de matières premières, équipements des ménages?).
Il est parfois fait référence à des critères de différenciation temporels. Classerait-on les sociétés selon le degré de précision de l'usage qu'elles font du temps ? Toutes et à diverses époques n'évoluant pas à la même vitesse (sous toutes les réserves qu'il convient de prendre dans la manipulation de ces notions), la mesure du temps utile à leurs activités sociales, économiques, culturelles, cultuelles? implique des instruments (critères de protocolarité) de précision variable et adaptés aux exigences des hommes selon leurs lieux et leurs? temps. La seconde, la minute ou l'heure, voire le jour et la semaine ne devaient pas (en toutes circonstances) revêtir une importance équivalente, si l'on s'en tient aux sociétés européennes, de Moyen Âge, du XIXème siècle et d'aujourd'hui. Il en est sûrement de même en toutes sociétés et à toutes époques. Nous savons que les sciences très tôt ont peaufiné les horloges, conditions essentielles de mesure des phénomènes naturels. Des pas de géants ont été accomplis depuis Galilée qui utilisait les battements de son cœur pour mesurer la vitesse de déplacement ou la chute des mobiles, aux horloges atomiques qui détectent des nuances du monde de la matière dans des fractions infinitésimales du temps. En passant par la théorie de la Relativité qui associe l'espace et le temps comme dimensions constitutivement insécables du monde physique. Le temps habite aussi l'économie et la plupart de ses paramètres, tels le travail et sa productivité. Penchons-nous un instant sur les « exubérances » en cours sur les marchés financiers que rapporte une dépêche de l'AFP (S. 27/11/2010, 15:16) à propos des transactions boursières, on voit à quel degré de sophistication les activités humaines sont parvenues dans la précision du temps. Ces prouesses n'empêchent malheureusement pas ces marchés de menacer gravement la stabilité de l'économie mondiale. S'alarmant jeudi dernier de l'extension de la pratique du « trading à haute fréquence », très courante aux Etats-Unis et en plein essor en Europe, où elle représente près de 35% des échanges, la ministre française de l'Economie Christine Lagarde a estimé qu'il fallait l'interdire ou l'encadrer. Il en est des marchés financiers comme des autres marchés : on sait au fond la stérile et vaine velléité de rendre compatible capitalisme et régulation. La mondialisation effrénée a échappé aux Etats et à leurs réglementations. L'Irlande aujourd'hui, comme la Grèce hier et peut-être la France demain mesure la puissance des marchés et sollicite leur soutien, tout en s'appliquant à céder fidèlement à leurs injonctions. Chacun a pu observer à quel point le concept de « souveraineté nationale » ne trouve plus preneur à la cote en ces temps de crise. Le trading à haute fréquence est né de l'intrusion croissante de l'informatique dans le traitement des ordres boursiers, de la mondialisation sans réglementation contraignante des marché financiers et de l'émergence de nouveaux acteurs boursiers - les plateformes électroniques nées de la directive européenne Mifid en 2007 comme Chi-X (devenue cet été la deuxième plateforme boursière européenne) et les « dark pools » où les ordres de taille importante sont exécutés dans l'anonymat. Ce qui a pour conséquences préoccupantes l'iniquité entre opérateurs sur les marchés et des risques croissants sinon de créer des bulles spéculatives, du moins de les rendre plus difficiles à gérer. « En moins de cinq ans, la vitesse d'exécution d'un ordre de Bourse est passée de 2 secondes à environ 150 millionièmes de seconde. (?) « Avoir quelques microsecondes de moins que son concurrent pour voir le marché et déclencher des arbitrages est primordial », affirme Jean de Castries d'Equinox Consulting. Il s'ensuit que « la vitesse est devenue un argument commercial pour les plateformes alternatives, qui gagnent des parts de marché face aux opérateurs historiques ». Et ce qui est vrai de la performance différentielle des opérateurs, il n'est pas aberrant de la transposer (avec les précautions qui s'imposent) aux relations internationales. Il serait intéressant par ailleurs d'indexer cette observation sur tout ce que cette différence d'exactitude suppose dans le domaine des transferts de technologies, dans les transactions financières et commerciales internationales ou dans la gestion délocalisée des processus industrielles (IDE) lorsqu'elles se produisent entre sociétés à références culturelles dissemblables. On ne peut tenir pour polémique l'observation ordinaire et distanciée du gaspillage des ressources (naturelles, économiques et humaines) dans notre pays. La culture de la préservation et de l'entretien du patrimoine, en particulier du patrimoine commun, ne paraît pas, malgré l'effort des éducateurs, investir le comportement de la majorité de nos concitoyens. A peine construits, les édifices sont laissés à l'abandon et à la dégradation des usagers et des phénomènes météoriques. Le plus préoccupant est que cela ne semble pas préoccuper ceux qui sont en charge de l'intérêt public, notamment à l'échelle la plus accessible : la commune. Il est une autre ressource, peut-être plus précieuse, que nous avons certes en abondance mais que nous gaspillons sans retenue : le temps. Cette dimension, par son manque de maîtrise précisément à la hauteur de l'approximation que requiert son usage dans le monde d'aujourd'hui, révèle le niveau déplorable de notre développement. Il est des sociétés qui ont des canons et il en est d'autres qui ont des chronomètres. N'est-il pas raisonnablement prudent de craindre celles qui disposent de l'intelligence des deux ? «Vous avez des montres, nous avons le temps », dit-on sur l'autre versant du monde. Peut-être? |
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