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Comment les autorités publiques peuvent-elles aider les laissés pour compte ?

par Claire Hutchings*

NEW YORK - Nous sommes à mi-chemin dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable (de 2015 à 2030), mais il reste la moitié du chemin avant de les réaliser. En fait, dans la plupart des domaines cruciaux - de la pauvreté à la sécurité alimentaire - le terrain gagné a été perdu ces dernières années en raison de crises majeures en cascade. Dans cet environnement difficile, les autorités nationales doivent, sans plus attendre, renouer leur engagement envers les ODD, notamment leur promesse implicite de ne laisser personne de côté.

Le défi est immense. Prenons le premier ODD de la liste, qui vise à éliminer la pauvreté sous toutes ses formes. Selon le Partenariat pour l'inclusion économique de la Banque mondiale, les programmes gouvernementaux de réduction de la pauvreté ont dû mettre les bouchées doubles en 2021. Or, pour rejoindre ceux qui accusent le plus grand retard, il faut que ces programmes reconnaissent l'enchevêtrement de contraintes qui garde les gens pris au piège de la pauvreté et ils doivent en tenir compte.

Comme le met en évidence l'indice mondial de pauvreté multidimensionnelle, la pauvreté englobe le dénuement et l'exclusion sur de nombreux plans, comme la nutrition, l'hygiène, la santé et l'éducation. Les facteurs comme le sexe, l'invalidité et le déplacement des populations contribuent également à garder les gens dans la misère. Des recherches récentes, fondées sur l'expérience du Bangladesh rural, indiquent qu'en dessous d'un certain seuil de revenu ou d'actif, la capacité des ménages d'accéder aux ressources qui pourraient augmenter leur revenu est très limitée. Elles démontrent également que d'importants transferts de ressources ou d'assistance qui créent de meilleurs emplois pour les populations démunies leur donnent des moyens efficaces d'échapper à la pauvreté à long terme.

Il est donc crucial de connaître les différentes contraintes et barrières auxquelles sont confrontées les personnes qui vivent dans l'extrême pauvreté dans chaque contexte particulier pour permettre aux autorités gouvernementales d'élaborer et de cibler des interventions optimales.

La chose est plus facile à dire qu'à faire. Les personnes vivant dans l'extrême pauvreté sont souvent isolées et figurent rarement au recensement ou aux registres d'autres institutions publiques déterminant si elles ont droit de recevoir une assistance sociale continue. Elles n'ont peut-être pas les documents officiels adéquats ou même les connaissances de base ou les aptitudes pour réclamer des prestations (leur mobilité est peut-être réduite ou bien elles sont illettrées). C'est ainsi que ceux qui ont le plus besoin d'aide finissent le plus souvent par être exclus complètement des programmes publics, ou incapables d'accéder aux avantages sociaux auxquels elles ont droit. Un rapport de juin 2020 signalait que 79 % du quintile le plus démuni de la population des pays moins nantis ne recevait aucune aide sociale.

Mais il y a des mesures que l'État peut prendre pour améliorer les cibles et la portée des programmes. En premier lieu, ils peuvent recourir davantage aux registres liés aux programmes actuels ciblés sur la réduction de la pauvreté. L'État tunisien le fait déjà. À l'aide des registres de son programme national d'allocations en espèces, les autorités recensent les ménages qui sont à la fois vulnérables sur le plan socioéconomique et climatique. Les facteurs comme le revenu mensuel, la capacité de production de la main-d'œuvre, l'accès à l'eau et la dégradation du climat sont considérés et également si l'on trouve une femme à la tête du foyer.

Il peut être également efficace de jumeler les données des autres registres gouvernementaux ou des bases de données avec d'autres registres sociaux. L'État colombien a concilié les données du Registre unifié des victimes avec un registre social utilisé pour un programme d'aide sociale qui recense les victimes des conflits qui recevaient déjà des prestations. L'État a pu ainsi inciter les bénéficiaires à investir leurs prestations dans des projets pour améliorer leur condition et leur capacité d'adaptation aux aléas de la vie.

Les renseignements inscrits aux registres sociaux peuvent également être vérifiés, mis à jour et améliorés au moyen de sondages des ménages ou d'«analyses locales de vulnérabilité», ce qui peut aider à définir l'ensemble particulier de risques et de privations auquel sont confrontés les groupes particuliers de personnes vivant dans l'extrême pauvreté. Les instances peuvent également étendre les registres sociaux, à l'aide de mécanismes consultatifs faisant appel à la participation des collectivités qui répertorient les ménages non inscrits ou mal représentés dans les bases de données officielles.

Dans l'État indien du Bihar, le programme Satat Jeevikoparjan Yojana (SJY) vise à renforcer le « capital humain des ménages les plus démunis et les plus marginalisés par un soutien à la consommation et aux moyens de subsistance, à l'épargne et à la formation». La méthode de ciblage complexe et longue utilisée pendant la période pilote a été grandement simplifiée pour pouvoir déployer le programme à plus grande échelle. La méthode simplifiée - notamment des études de repérage et des cartes géographiques des ressources basées sur des renseignements produits par les organisations villageoises - s'est avérée des plus efficaces. À date, ce programme a aidé plus de 136      000 foyers vivant dans l'extrême pauvreté dans tous les 38 districts du Bihar.

Le projet d'inclusion sociale et économique du Kenya - une autre initiative multidimensionnelle - assure la prestation de services essentiels auprès des personnes démunies et vulnérables. Pour faciliter cette initiative, l'État du Kenya a œuvré pour enrichir le recensement actuel en y ajoutant des données accessibles sur les populations marginalisées vivant dans la pauvreté. L'État du Kenya a également intégré un outil ciblant la participation, conçue et entretenue par les partenaires et qui collecte des informations liées à la pauvreté multidimensionnelle, notamment les conditions de logement, les moyens de production, la sécurité alimentaire, l'accès à l'eau, à l'assainissement, à l'énergie et aux programmes sociaux.

Le ciblage ne finit pas avec l'inscription au registre, la sélection et l'adhésion       ; il est encore plus efficace lorsqu'il est envisagé comme un processus permanent, avec des évaluations régulières et des systèmes de rétroaction intégrés à chaque programme pour encadrer les mises à jour, les améliorations et intégrations continues des registres qui en fin de compte faciliteront un ciblage plus précis. En même temps, les autorités nationales et leurs partenaires peuvent faire en sorte que tous les participants aux programmes de réduction de la pauvreté bénéficient également des autres services et réseaux publics.

Aider les populations les plus marginalisées ne sera jamais chose facile. Par contre si les instances tirent le maximum de leurs données et de leurs réseaux, effectuent des évaluations locales multidimensionnelles et ne cessent d'améliorer les méthodes de ciblage, les progrès sont possibles. Et si l'on veut réaliser les objectifs de développement durable, ils sont essentiels.



Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier

*Directrice de l'analyse des données probantes et des formations pour l'initiative BRAC de diplomation des personnes les plus démunies