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Réimaginer l'intégration mondiale

par Olivia White1 Et Jonathan Woetzel2

SAN FRANCISCO - Le commerce mondial évoque encore des images de porte-conteneurs géants. Mais notre monde a changé. Le transport de biens physiques à travers les frontières n'est plus le seul, ni même le principal moteur de l'intégration mondiale. Au contraire, nous sommes de plus en plus connectés par des flux de biens immatériels, de services et de talents. Qu'il s'agisse des applications basées sur le cloud que les entreprises utilisent pour gérer leurs relations avec leurs clients ou des recherches qui ont conduit à la mise au point des vaccins contre la COVID-19, c'est la connaissance qui est le ciment de notre monde actuel.

Comme nous le montrons dans un nouveau rapport, les flux mondiaux associés au savoir-faire ont pris le relais des produits manufacturés, des ressources et des capitaux, qui représentaient les principaux moteurs de l'interconnexion jusqu'à la fin des années 2000. Entre 2010 et 2019, le commerce international des services, de la propriété intellectuelle et de l'éducation a augmenté deux fois plus vite que le commerce des marchandises. Les flux de données transfrontaliers - le carburant de l'ère numérique - ont explosé, augmentant à un taux annuel de 45 %. En ce qui concerne le commerce des services, les catégories à forte intensité de connaissances - notamment les services professionnels, les services publics, les services informatiques et les services de télécommunications - connaissent la croissance la plus rapide.

Les spéculations selon lesquelles le monde serait en train de se démondialiser ne tiennent pas la route. A l'ère numérique, l'intégration mondiale évolue, mais ne recule pas. Chaque grande région du monde importe 25 % ou plus (en termes de valeur ajoutée) d'au moins un type important de ressource ou de produit manufacturé dont elle a besoin, et souvent beaucoup plus.

La diffusion du savoir-faire immatériel a une influence palpable sur de nombreux secteurs. En particulier, la recherche et le développement impliquent désormais beaucoup plus de coopération transfrontalière. Dans le secteur automobile, la part de la R&D réalisée dans des sites délocalisés est passée de 5 % à 15 % entre 2000 et 2018. Il en va de même pour l'industrie pharmaceutique : les multinationales basées en Europe et en Asie utilisent la R&D réalisée en dehors de leur pays d'origine pour plus de la moitié des innovations qui produisent de nouveaux brevets.

De même, les talents hautement qualifiés - l'un des intrants les plus importants dans tous les secteurs - sont mobiles à l'échelle mondiale. Prenons l'exemple de l'industrie des semi-conducteurs. On estime que 40 % des chercheurs en semi-conducteurs hautement qualifiés travaillant aux États-Unis sont nés dans d'autres pays et que les travailleurs nés à l'étranger sont à l'origine de plus de 80 % des brevets en semi-conducteurs.

Les multinationales sont des acteurs essentiels du commerce mondial, puisqu'elles représentent environ deux tiers des exportations mondiales. Elles sont surreprésentées dans les secteurs où les biens incorporels sont les plus importants. Par exemple, elles représentent environ 80 % des exportations dans certaines des industries les plus innovantes, notamment les transports, les produits pharmaceutiques et l'électronique.

Dans les chaînes de valeur mondiales à forte intensité de connaissances, les biens incorporels créent des actifs hautement évolutifs qui peuvent être déployés à l'échelle mondiale à un faible coût marginal. Cela permet de réaliser d'importantes économies d'échelle et de créer un cycle auto-renforçant de rendements plus élevés, concentrant les parts de marché et les performances dans un petit nombre d'entreprises superstars qui contrôlent une part disproportionnée de l'activité économique. D'où l'étroite corrélation entre les multinationales dominantes et les biens immatériels.

Les multinationales ont la possibilité d'exploiter de nouvelles sources d'avantage concurrentiel en investissant davantage dans les actifs incorporels, en particulier ceux qui sont susceptibles de circuler au-delà des frontières. Un exemple est MELLODDY, un partenariat public-privé coordonné par la société Owkin, spécialisée dans l'IA appliquée au domaine de la biotechnologie. Le projet utilise des données décentralisées provenant de dix grandes entreprises pharmaceutiques pour affiner les modèles qui prédisent le comportement des molécules, dans l'espoir d'accélérer le processus de découverte de médicaments. Dans certains cas, l'investissement dans les biens immatériels pourrait permettre aux multinationales de mettre en œuvre de nouveaux modèles d'entreprise dans des secteurs qui étaient auparavant moins axés sur les flux de connaissances.

Selon une étude réalisée par MGI, les grandes entreprises sont bien placées pour surpasser leurs concurrents lorsqu'elles maîtrisent le déploiement de l'investissement dans les actifs incorporels. En effet, les entreprises du premier quartile de croissance de la valeur ajoutée brute investissent 2,6 fois plus dans les actifs incorporels que les entreprises des deux quartiles inférieurs. Cela laisse entrevoir de nouvelles sources de croissance pour les entreprises confrontées à une incertitude économique et géopolitique croissante. Néanmoins, il y a de la place pour tout le monde dans ce train de l'immatériel en pleine évolution, des plus grandes multinationales jusqu'aux plus petites micro-entreprises, qui peuvent avoir une présence transfrontalière grâce à la technologie numérique.

Les entreprises à la recherche d'opportunités de croissance feraient également bien de considérer le commerce des services, qui semble prêt à s'intensifier et à s'étendre. De plus en plus d'économies sont en train de passer aux services, et il y a beaucoup à gagner d'une libéralisation plus poussée, car les barrières commerciales affectant la plupart des services sont de deux ou trois ordres de grandeur plus élevées que celles des marchandises. En outre, de nouvelles avancées technologiques pourraient rendre ces flux plus fluides - le « tout à distance » de l'ère de la pandémie a contraint les entreprises à fournir des services virtuels, une pratique qui est devenue la norme pour de nombreux services.

La perturbation généralisée des chaînes d'approvisionnement causée par la pandémie et l'invasion de l'Ukraine par la Russie a donné lieu à une nouvelle narration sur la mondialisation qui serait en recul. Toutefois, si l'on considère l'ensemble des flux, il apparaît que l'intégration mondiale est là pour durer et que la connaissance et le savoir-faire sont désormais des éléments importants pour la croissance future. Les entreprises devront reconfigurer les chaînes de valeur afin de capitaliser sur le potentiel de croissance des services, des biens immatériels et des talents.



1- Senior partner au bureau de San Francisco de McKinsey & Company - Est membre du comité de direction du McKinsey Global Institute.

2- Senior partner chez McKinsey - Ddirige la Cities Special Initiative de McKinsey et est membre du comité de direction du McKinsey Global Institute.