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Novembre, l'éternel

par El Yazid Dib

Que ceux, de l'autre bord, qui pourraient se réjouir de nous voir décrire nos controverses, nos problèmes quotidiens collectifs, nos soucis libertaires, nos fossés politiques, enfin notre marmelade intérieure, se ravisent et se mettent dans la tête que Novembre est tout un peuple.

Ses amours sont-elles fanées ? Ou bien le temps a t-il avachi leur fragrance ? Il ne reste que quelques souvenirs d'histoire chez certains, une affaire occasionnelle chez d'autres. Mais en somme, Novembre est eternel. Ni la puérilité de Macron et ses sosies, ni la sale gueule de Zemmour et ses néo-lepénistes n'auront à pouvoir ébrécher la moindre touffe de cette auréole qui trône sur la tête haute et fière de tout un peuple. Contrairement aux sens que peut provoquer la lecture d'un manuel scolaire, le sentiment fouineur et extasiant de l'histoire dépasse en long et en large la simplicité d'un fait ou d'un évènement. L'histoire est donc une succession d'apparition. Tout se déterminera par l'usage que l'on voudrait faire des faits authentifiés comme tels.           

Ainsi l'histoire est une et unique. Elle vous pourchassera ou vous comblera. L'Algérie a vaincu la France coloniale. Parfois ce seront les décisions silencieuses des hommes qui auront à façonner le canevas de l'histoire, quand ce ne serait plus l'exigence circonstancielle, commandant la présence d'hommes exceptionnels ; à décrire l'homme d'histoire. Le dilemme est toujours de mise. Qui de l'histoire et de l'homme crée l'un ou l'autre ?

Dans la vie des cités, la référence demeure celle évidemment relative à l'attache ancestrale au même titre que l'individu. Le premier Novembre chez nous est-il exclusivement une date particulière, une journée chômée et payée que les gouvernants tentent à chaque échéance d'en donner le maximum d'éclats par des manifestations culturelles, sportives et autres ? Ou serait-il un arrêt mémorial que l'on devait observer chacun à sa façon mais tous par la même intonation intérieure. Le vivre en silence, par pensée, résurrection, simulation, errance et voyage en arrière du temps ne suffit-il pas pour que l'on puisse en faire un menu, d'une soirée folklorique, d'un visionnage de film ou d'un tournoi footballistique ? Ce premier Novembre, la grille télévisuelle n'accrochait pas d'innombrables adeptes vers les affres scéniques de quelques documentaires sans débats sur la thématique du jour. Ainsi dans nos boulevards, nos quartiers et nos villes, un premiers Novembre s'annonce par les couleurs des fanions et autres guirlandes que la mairie le plus souvent sous l'impulsion traditionaliste du wali tend à mettre en exergue. Il leur est un programme. Fêter et faire fêter le premier Novembre ou toute autre « fête » nationale par sa population est devenu une mission tout aussi banale que celle d'attrouper les éternels constants invités en la circonstance.

Loin dans les méandres de la douleur algérienne, le soleil ne brillait que par touches d'espoir rattaché au bout d'un fusil ou d'un mauser subtilisé voire d'un poing nu mais décidé à briser à jamais le joug colonial. Dans les rues, dans les campagnes, les monts et les douars ; l'heure n'était qu'une question d'hommes, de circonstance et de farouche volonté.    

Ce Novembre avait été, le recouvrement de la liberté le prouve ; un assaut final à toute les péripéties du mouvement nationaliste qui sans symbiose unitaire retardait la résolution finale d'en terminer à jamais la souffrance contraignante qui s'abattait depuis plus de cent trente années sur le peuple algérien. Avant durant et peu après ce versant décisif de l ?épopée national, la solidarité ne se limitait pas dans la gestion de diar errahma, ou maedat ramadan ou dans les générateurs d'oxygène. L'un fut le frère de l'autre. Le lien sanguin ou parental ne donnait pas aussi l'identité familiale. Tout fut une famille. La misère les unissait. Il ne s?agissait pas d'une exception ou d'un excès de soutien de l'un vers l'autre. L'on pouvait partager un rien. Pourvu que l'on ait ce désir ardent de pouvoir et d'accepter de l'effectuer sans coup férir. Les qualités intrinsèques dont jouissait la population ponctuelle d'alors provenaient justement du besoin commun entretenu dans la structure mentale de chaque « citoyen ». Il n'y avait que des citoyens français. Puis franco-algériens ou musulmans. Sans savoir, sans culture sans instruction, avec toute une niaiserie, des espoirs et de fortes sensations, cette population aimait, sans la connaître la liberté, adorait sans l'avoir exercée l'indépendance. Pour rendre apte aux étapes d'une concrétisation, l'ensemble des aspirations enfouies mais consensuelles, la providence devait dégager des hommes, un commando de choc, la révolte, Ce furent l'OS, les six, les vingt deux ...le CRUA, le CNRA, le GPRA...la RADP. le conseil de la révolution... la Présidence, le HCE...le CNT, le RND...le FLN et ses redresseurs et la valse continue.

L'Algérie est libre et indépendante nonobstant l'aigreur d'une certaine nostalgie d'Algérie française. De qui et à l'égard de qui ? Elle est libre non pas par rapport à la France, puissance toujours coloniale en termes de nouvelle définition économique du colonialisme. Car la mondialisation est le pire des colonialismes. A vrai-dire. Cette liberté est encore l'otage d'autres considérations politiques autochtones. Faudrait-il pour cela réengager la révolution de Novembre en intra-muros ? Que manque-t-il en fait pour que cette chère liberté puisse s'éclore, s'épanouir, se développer, toucher tous les cœurs, toutes les initiatives ? On n'est pas libre si l'inégalité différencie l'un et l'autre. Les Etats comme les êtres ou la presse n'ont d'indépendance que dans la liberté qu'ils ont de pouvoir animer et fonctionner librement leur muscles, paroles, engins et rotatives. Alors que dire qu'après plus d'un demi siècle « d ?indépendance » l'on ait pu faire un semblant de comparatif de l'état de l'esprit qui prévalait cependant avec celui qui prédomine en ces temps actuels. A l'époque dans chaque maison, maisonnette, chaumière ou gourbi ; l'emblème national « nedjma ou hlel » en constituait le principal et sacré ornement domestique. On le faisait brandir à chaque occasion. Ces drapeaux fusaient de partout à lors des fêtes nationales. Même dans les écoles postindépendance l'ensemble des travaux scolaires manuels étaient conçus tel que faire des calots, des insignes et tous ce qui peut signifier clairement des signaux forts du nationalisme, exprimait ardemment et innocemment l'amour de la patrie. 2021, cet étendard semble t-il, est en passe de devenir une exclusivité de l'Etat et de ses collectivités. Pour preuve, que l'on n'a pas habitude de voir, en dehors des festivités officielles, des trucs, des jouets, des gadgets, de la nourriture, du yaourt ou du fromage made in chez nous arborer fièrement le schéma de l'emblème national. Même nos officiels, ne portent pas de cravates bariolées aux nuances des couleurs nationales. Ils préfèrent pour la chemise un bleu moins bleu que celui de la France. En France, au 14 juillet tout est à la faveur du bleu, du blanc et du rouge. Idem en ex-URSS, où la faucille et le marteau planaient au dessus de toutes les têtes. En Amérique, le 11 septembre a rassemblé les éléments dispersés par le crime, le sida et le chômage de la bannière étoilée. Ainsi seule l'équipe algérienne est apte à faire jaillir des milliers de gosiers les (1.2.3. viva l'Algérie !) Elle est l'unique force nationale, sans parti et sans idéologie qui sait faire sortir des millions d'algériens manifestant en bout de drapeau cet amour perdu et subitement retrouvé le temps d'un match.

Un appel des plus stridents se laisserait entendre par ceux-là même qui ont pu embryonner la genèse de Novembre, pour exalter que le nationalisme n'est pas une profession de foi ni un engagement dressé par devant étude notariale. A la limite de la foi il n'est non plus un droit de détention d'un bout d'une CNI ou d'une attestation de participation à une guerre. C'est un comportement, un esprit, une pieuse pensée et une profonde réflexion. On appelle ca, aujourd'hui la citoyenneté. Novembre à l'instar de tant d'attributs historiques nationaux doit être remis à qui de droit. Véritable ayant-droit, la population en ces multiples facettes de représentativité devrait récupérer la solennité des hauts faits de la nation. Novembre n'est pas une affaire de wali. C'est l'affaire de tous. Mais faisons-nous des confidences ; si l'administration se retirait de l'organisation de ces fêtes, il n'y aurait que des jours et des jours qui se ressemblent. Le premier Novembre ou le 5 juillet, si match n'y est pas, ne serait qu'un autre temps d'un autre jour à perdre encore dans l'anonymat le plus entier de la chronologie. Donc par utilité culturelle faites-le, messieurs les organisateurs au bon endroit, à bon escient et pas à l'envers de l'objet du message. L'oubli et la désuétude.

Il ne peut y a voir de Novembre sans parler de ceux qui l'on rendu aussi prestigieux et vénéré. Ce sont « les fils de la toussaint ». Mais autrement. Les martyrs ne reviennent pas chaque veillée de Novembre. Ils sont toujours parmi nous. Chaque rue, par son appellation rappelle un nom, un groupe de noms. Si le peuple est toujours le seul héros, l'on peut dire qu'il ne peut exister un peuple sans référentiel de guidance. Benboulaid fut ainsi le façonnier de la liberté et de l'indépendance, il était aussi l'artisan de bombes, l'amoureux de l'explosif. La déflagration, la sienne ; conduisait dès 1953 vers l'insurrection armée. Le pays entier y fut entraîné. Il imaginait, je l'imagine ; la guerre comme un langage affectueux pour la paix, le fusil, comme une rose pour la gloire des libertés. 38 ans est un âge pour les héros. A cet âge il prend le rôle de catalyseur de toutes les opérations militaires. De cénacle en cénacle il défait les soucis logistiques, pourvoit au poste de commandement et organise l'exploration transfrontalière. Ce qui lui valut une reconnaissance posthume des grands symboles de la lutte internationale des peuples. Che Guevara se prosterna, en 1963 par devant « la tombe du maître » à Nara sur les flancs du « mont bleu » djebel lazrag près de Batna. Les chemins de Nara étant impraticables, le « pèlerinage de Che » se fit par hélicoptère. Il était en compagnie de feu Benbella. L'on ne défraye les chroniques, l'on ne brise les siècles que par la saga et la fable. La stature de l'homme s'assimilait à celle d'un illustre libérateur. Le lien s'est fait entre Benboulaid et Okba bnou Nafaa. « Si le compagnon du prophète (qsssl) a libéré l'Afrique du nord... Benboulaid l'a libérée des français » rapporte Adjal Adjoul, l'un des compagnons de Mostefa Benboulaid en date du 03 mars 1985. Son témoignage est cité dans l'ouvrage « Mostefa Benboulaid et la révolution algérienne ». Et maintenant comment fête-t-on Novembre, Benboulaid et autres icones nationales ? Allez voir, qui se trouve sur la placette publique à 00 heures de chaque nuit de ce jour qui a terrifié l'OTAN et rassemblé tout un peuple. L'on ne trouve que des officiels. Que l'ANP. Ce peuple, l'héritier de l'autre peuple dort. Il se réveille le lendemain pour scruter le décor urbain pavoisé et guirlandé. Pas plus. Est-ce la faute au manque de « transmission de flambeau » tant prônée ? Ce flambeau devait être transmis avec ses ardeurs et ces cendres. Comme une flamme olympique, appelée à passer de relais en relais, il est vraiment temps, à peine d'extinction totale qu'il soit confié harmonieusement à cette génération qui saura le glorifier pour l'éterniser davantage. Nous ne sommes plus à l'heure des bilans, pour ne pas laisser loin et pas trop loin les chicaneries des uns et autres. nos problèmes internes sont les nôtres, sans pour autant qu'ils arrivent à ébrécher cette flamme consensuelle qu'allume encore et toujours novembre. L'histoire va bientôt se rouvrir. Voyons plutôt dans quel monde va évoluer cette Algérie novembriste. Les défis sont nombreux et diversifiés. Une jeunesse en masse qui n'attend que l'opportunité des commandes au lieu et place des bons de commande de l'ANSEJ. Elle a sa propre perception du monde qui l'entoure. Il se peut fort bien qu'elle ne partage pas le même angle de vison de leurs ainés. Ceci n'est pas en soi une tare. Les mobiles de comparaison ne sont plus identiques notamment sur le plan économique, social ou relationnel. Pourvu que cette fibre sensationnelle de tout ce qui est légende et histoire ne se lasse pas au fil des temps. Car si l'amour réjouit les amants, il fatigue à la longue. Sauf s'il est régulièrement entretenu par cette douceur réciproque et cette mutualité de destin. A bien des égards, cette formidable jeunesse avec ses imperfections et son élite doit réinventer le premier Novembre. Il est certes une date-phare et doit avoir cette ardeur capable d'animer le cœur de nos enfants comme elle le faisait pour le cœur des enfants que nous étions.

C'est dire encore une fois que le pays vivant l'une des plus complexes phases de son évolution suite au mouvement populaire du 22 février ; n'aura pas à s'offrir malgré tout comme proie d'un mauvais printemps arabe. Il saura se refaire, comme en novembre 1954. Seule cette sacralité historique est apte à fédérer tous les algériens sans égard à quiconque. Il n'y a pas de partis, de courants politiques, de personnes se réclamant de l'opposition installées ici ou à l'étranger qui ne puissent pas s'abreuver de la source de novembre. Il n'y a cependant que ces harkis, ces vendus en vrac et en détail, ces renégats issus d'un enrôlement contre-novembriste qui croient encore que le pays va vaciller en se livrant aux voix ennemies. Les produits actifs des ex- SAS exercent autrement leurs missions. On ne rêve pas, on n'a aucune illusion ni embrigadement lorsqu'on parle de « mains étrangères » et de ?projet de déstabilisation » ou acclamer les forces de l'ANP, garante de l'intégrité du territoire. l'on va dire, qu'il s'agit là d'un discours propagandiste entretenu par le pouvoir en place. Et puis après ? Oui vive l'ANP digne héritière de l'ALN, socle où s'est détruit le mythe de l'invincibilité des hordes coloniales. Pour l'unité du peuple, donc toute propagande est la bienvenue. Ce qui ne détournera pas celui-ci de ses passionnantes ambitions, même à long terme pour un Etat de droit, une égalité sociale, une justice sans téléphone, une liberté d'expression garantie, un bonheur collectif, une société ouverte, moderne et épanouie. S'il n'y a plus de guerres franches au sens militaire ; il y a autre chose. Le jeu malsain de la nouvelle géostratégie. Les adversaires de l'Algérie ne baisseront jamais les bras tant celle-ci persiste à ne pas avoir les siens croisés. Une diplomatie ferme et intransigeante face à une France rancunière saura souder le peuple. C'est cela qui renforce la fierté de l'algérien et s'évite de penser que tout est déjà vendu à l'avance. L'on ne tergiverse pas des sentiments nationaux. Attention !

Monsieur le président Tebboune :

Et si à la veille de ce 1 novembre, à minuit, la levée des couleurs serait organisée sur la grande esplanade du palais du gouvernement ? La manifestation aurait ainsi une puissante charge symbolique et spatiale. C'est d'ici que le général de Gaule avait lancé son célèbre « je vous ai compris » « Algérie française ». Ce serait la première fois que les couleurs nationales seraient levées en cet endroit, en cette nuit, à cette heure-ci si historique. L'on verrait tout le gouvernement, les moudjahidines encore en vie, un échantillon de jeunes, veillant et honorant d'une Algérie algérienne, indépendante et souveraine marquant une minute de silence à la mémoire des martyrs et entonnant à l'unisson l'hymne national. Enfin, exporter, par un direct une telle émouvante image exprimera énormément de choses et qui se saura ailleurs. L'on exportera ainsi Novembre. Gloire à nos martyrs !