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Le FLN serait-il, tout comme une personne de grand âge, en déshérence ?

par Farouk Zahi

« La vieillesse nous transforme tous en caricatures » (P.D James- écrivaine britannique)

Le récent appel des 14 moudjahidine et moudjahidate pour l'expurgation du FLN de certains responsables, connaitra-il le même sort que celui du groupe dit des « 19 » ou sera-t-il suivi et appuyé par d'autres moudjahidine et l'opinion publique selon ses initiateurs ? A l'inverse du premier, ce deuxième groupe est homogène, du moins en apparence, constitué exclusivement de moudjahidine et de moudjahidine authentiques, il n'a qu'un seul objectif : Libérer le Parti de l'emprise de son Secrétaire général actuel.

Grande entreprise s'il en est, car en dépit de la grande notoriété des personnages, les militants du parti, piqués dans le vif, ne se laisseront pas conter du fait même de la définition étymologique du vocable militance. Le référent révolutionnaire exigé pour les hautes fonctions de l'Etat ou électives, s'arrête à l'année de naissance du postulant qui doit être avant 1943. Cet écueil dépassé par la majorité, ouvrait la voie à l'adhésion massive, notamment à la veille d'échéances électorales. D'ailleurs, la réaction fulgurante du SG par intérim (le titulaire en congé), ne s'est pas faite attendre et ne fait pas dans le détail, renseigne, un tant soi peu, sur le peu de respect du aux figures historiques de la nation.

Il lance sa première banderille par : « Nous ne sommes pas ceux qui ont constitué des fortunes sur le dos du FLN !...nous ne sommes pas sous le coup de poursuites judiciaires pour des affaires d'escroquerie et autres forfaitures? » (El Khabar du 01/8/2016). A peine voilée, cette allusion renvoie à la figure de proue du groupe, le commandant Azzedine, dans l'affaire qui l'opposait aux Boubnider (Sawt el Arab) rapportée en son temps par la presse.

Le reproche amical que nous pouvons faire à nos ainés et dont le mérite d'avoir participité avec ceux qui ont consenti le sacrifice suprême à libérer le pays et son peuple de la spoliation coloniale, est à jamais inscrit au panthéon des grandes œuvres du siècle dernier, c'est d'avoir confié à la garde des cadets, issus d'un deuxième lit, le père géniteur. Le réveil ne peut être que brutal pour le reste de la fratrie ; elle se sent spoliée de son droit d'ainesse et de sa légitime filiation. Avec l'âge, les souvenirs lointains s'estompent et ne laissent place, souvent, qu'aux événements récents ou à l'image délivrée en boucle par les médias lourds. C'est, certainement, caricatural mais pas loin de la réalité des choses. Pour la génération qui a vécu la tourmente guerrière imposée par le fait colonial, vous étiez de sublimes héros ; pour ceux qui n'ont pas vécu le contexte d'alors, vous n'êtes que des reliques historiques que le temps rangera dans ses géodes mémorielles si ce n'est pas déjà fait. Vous avez mené une lutte acharnée par les armes pour imposer un Front politique qui pendant, longtemps après son épopée guerrière, a inspiré Guevéra, Mandela et autres Chissano. L'ile de beauté, au cœur même de l'empire colonial, a adopté pour son mouvement national, ce sigle lumineux. Mais en même temps, grisés par l'euphorie de glorification, vous n'avez su ou pu le prémunir des convoitises des entristes ou, plus grave encore, des manœuvres postcoloniales revanchardes. Vous avez fermé les yeux sur les égratignures portées « innocemment » par des plumes aux ordres des nostalgiques de la rive nord de la Méditerranée, pour qu'un demi siècle après la fin des hostilités, on exige la repentance du FLN pour « ses crimes ». Et dans une sorte de syndrome de Stockholm collectif, des voix çà et là font des « massacres perpétrés par le FLN en 1962 » une antienne, plus proche du conte de la fantasmagorique Arlésienne qu'un fait bien établi et documenté. D'abord, que faisaient-ils chez-nous, eux, qui n'arrêtent pas de pérorer sur l'an de grâce 732 à Poitiers et le martyre de Roland à Roncevaux ?

Le père géniteur de la Révolution portant le flamboyant acronyme F.L.N a reçu une première estocade à Tripoli, lors du congrès éponyme et n'arrêtera pas de subir, plus tard, les contre coups de l'Eté 1962, de la Charte d'Alger, de son congrès extraordinaire de janvier 1979 du compromis, d'Octobre 1988 où l'on faisait, vainement appel à ses militants pour défendre leurs kasmas livrées au saccage. Et c'est, assurément, au lendemain, de ces douloureux événements que le lustre du parti a été durablement entamé. Paradoxalement, au lieu de quitter comme de coutume le navire qui prenait l'eau, les rongeurs se tapirent au fond des cales de l'épave qui resta à flot en dépit de la tempête. Dépouillé de ses oripeaux de l'Etat providence au lendemain d'Octobre, on lui faisait porter le chapeau pour la crise économique structurelle du pays de l'époque. Il rongera son frein pendant qu'il mangeait son pain noir jusqu'à la veille des élections présidentielles de 1995 où on lui faisait convoquer le reste de ses troupes jusque là terré dans une discrétion inaccoutumée. Vilipendé, ensuite carrément honni par la grande majorité de la population, il fut une proie facile à la désacralisation que permettait l'ouverture politique du début des années 90' pour enfin, lui assigner le rôle de lièvre devant le nouveau parti conquérant et dont le référent, n'est plus l'attachement à la patrie, mais à Dieu, le Créateur de l'univers, par l'entremise de nouveaux prophètes. Viscéralement croyante, une majorité du peuple algérien faisait vite son choix. Dès lors, ce qui était sacrilège pour le patriote authentique, à savoir la collaboration connue avec l'ennemi d'hier ou l'enrôlement dans ses rangs était absout dès qu'il montrait patte verte. Beaucoup d'élus de la nébuleuse étaient soit, des descendants, soit des collatéraux d'anciens supplétifs de l'armée d'occupation. Un certain juin 1992, l'un des pères fondateurs de ce même FLN est assassiné en live. L'impact se voulait massif et psychologiquement mortifère pour marquer définitivement les esprits. Le régicide, cependant, ne sera pas l'œuvre d'ennemis connus ou supposés, mais d'un ancien cadet de la révolution que tout prédisposait à faire partie de la relève future de la vieille garde.

Bien avant le déclenchement des violences armées, la descente aux enfers du vieux parti aura commencé par le conclave (c'est le mot) de Sant ?Egidio, qui constituera pour l'histoire la cerise sur le gâteau. Le reste, n'est qu'une suite logique d'un processus fait de compromissions et parfois même de lâchetés non assumées. Aussi, sommes nous tentés d'affirmer, que la machine qui s'est à nouveau emballée a, par un effet centripète, mis en marge les militants historiques de la vieille garde politique pour les substituer par les tenants d'un sang nouveau qui n'est, ni plus, ni moins une occultation consciente ou subconsciente des valeurs de Novembre 1954. Bien sûr, on mettra la forme en désignant à quelques postes clés des enfants de chouhada et de moudjahidine qu'on aura choisis avec grand soin. Et pour marquer, même de manière subliminale les esprits, on hébergera le parti qui a fait, jadis, de l'Appel du 1er Novembre 1954 son bréviaire, le quartier le plus, bourgeoisement, huppé de la capitale. Demander, présentement, l'exonération du FLN de ses tares actuelles, demeure pour le moins un vœu qu'il serait difficile, sinon impossible de satisfaire ; mais exiger la restitution du sigle au nom de tous les moudjahidine et moudjahidate et leurs ayants- droits, peut être envisagé sous couvert d'une fondation nationale qui pourra alors se rapproprier aussi bien la paternité que le palmarès historique. La mise en lice avec d'autres formations politiques dont certaines n'ont que leur bureau exécutif comme base militante, participe d'une volonté délibérée de nanisation ou de rapetissement de la valeur symbolique de l'homérique organisation révolutionnaire. A travers la fédération des acteurs de cette même révolution à une fondation, chacun des membres de la communauté nationale pourra s'y reconnaitra à travers un père, un frère, un oncle ou une tante, victimes expiatoires d'une expédition punitive menée, pendant plus de 130 années, à un peuple qui n'aspirait qu'à la liberté. Cette option si elle venait à être concrétisée, ne fera que soustraire un pan entier de la mémoire collective à la surenchère des mercantiles lobbys et des faussaires. Il reste, toutefois, que les voies du ?Front de libération nationale demeurent impénétrables.