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Pour en finir avec le féminisme misislamique

par Habiba Chabou

A la suite de Frantz Fanon[1], le monde d'Elisabeth Badinter est un monde manichéiste, reposant sur la déshumanisation des musulmans de France, essentialisés et doublement aliénés, socialement et religieusement ; un sentiment qui trouve une certaine continuité avec celle des " indigènes " en situation coloniale.

Une circonstance aggravante

Laurence Rossignol, s'est montrée outrée à grand renfort d'arguments (civilisationnels), non des conditions de travail difficiles des ouvriers de Dacca, visant à sensibiliser consommateurs, professionnels et pouvoirs publics au label WhoMadeMyClothes (initié notamment par Stella McCartney), ou encore des conséquences (in)humaines du outsourcing, mais bien plus du marketing autour de la 174mode pudique» : la pudeur désigne donc pour la ministre française des Familles, de l'Enfance et des Droits des Femmes un gros mot ; une qualité dont il faudrait avoir de l'aversion !

A bien des égards, la stratégie offensive des firmes transnationales du «fast fashion» en direction de la femme musulmane s'inscrit moins dans la cadre d'un prosélytisme cultuel que dans celui d'une politique de bas salaires et de bas coûts aux dépens des pays-ateliers comme le Bangladesh où le 24 avril 2013 l'effondrement des ateliers de confection du Rana Plaza a fait plus de 1 100 morts et 2 500 blessés, dont un grand nombre de femmes.

En France, le seul fait d'être musulman est devenu une circonstance aggravante, pas seulement depuis le double attentat de Paris de janvier et novembre 2015, eu égard au caractère euphémistique du traitement médiatique des actes misislamiques, qui ont pourtant augmenté de 223% entre 2014 et 2015.

Il est insupportable pour les musulmanes voilées comme non voilées, dont les happy few politico-médiatiques nourrissent, à plus d'un titre, un ressentiment misislamique, d'entendre les mêmes antiennes ordurières sur la supposée infériorité de la femme en islam. A preuve, dans son édition du mercredi 6 avril 2016, le journal La Croix titrait en Une : " Sur la piste du salafisme. Manuel Valls estime que des groupes salafistes " sont en train de gagner la bataille culturelle ".

C'est, à l'évidence, dans une logique électoraliste que le strident premier ministre français s'obstine dans l'injure et l'outrecuidance en déclarant lors d'un colloque le 4 avril 2016 : " Ce que représente le voile pour les femmes, non ce n'est pas un phénomène de mode, non, ce n'est pas une couleur qu'on porte, non : c'est un asservissement de la femme [?] Il faut faire la distinction entre ce qu'est un voile, un fichu porté par les femmes âgées, et la revendication d'un signe politique qui vient confronter la société française ". Ici, Manuel Valls reprend la ligne grotesque de l'extrême droite pour rameuter large un électorat acquis aux idées nationalistes.

De même, la primatie politique de l'islam soulignée par le premier ministre français se justifie par la crainte réelle ou fantasmée de la menace musulmane en Occident dans la mesure où l'islam implique aussi la réalisation d'un projet politique de dimension planétaire, au-delà du Dar al Islam. Dès lors, la présence en France des musulmans et surtout des musulmanes, portant étendards de l'islam (par le truchement de leurs couvre-chefs), tend à réactiver l'idée de croisades chez les néo-latins et, par la même, la trichotomie entre le Dar al Islam, le Dar al Sulh et le Dar al Harb. Plus encore, depuis la mise sous tutelle de l'Eglise par le pouvoir temporel, l'islam n'est plus en concurrence avec le christianisme, lui disputant alors le leadership sur son propre terrain, mais avec le capitalisme, nouvelle religion des élites mondialisées.

Pseudo-féminisme

Cette cristallisation autour de l'islam et de la femme musulmane est incarnée par le féminisme misislamique, porté par la très polémiste Elisabeth Badinter ou encore un Manuel Valls aux aboies, tous deux partisans d'une " laïcité combative " ; ce qui n'est finalement pas si différent des relents racistes de " chiens de garde "[2] cultivant à l'envi l'arrogance et la cuistrerie des néo-croisés. Ce prétendu féminisme oblige à lever le voile sur la nature vorace des pseudo-défenseurs des droits des femmes dans le monde : une gesticulation hideuse qui peine à cacher la haine viscérale à l'égard de l'islam et des musulmans. En ce sens, pour les féministes dits misislamiques seules les musulmanes, par essence infériorisées, méritent toute l'attention médiatique, dont l'efficacité se mesure à l'importance de la polémique.

Mais quid du rôle de Fatma N'Soumer dans la deuxième lutte de libération de l'Algérie entre 1847 et 1857 ? Quid ensuite du sort des Occidentales alimentant les réseaux mondiaux de trafic de personnes ? Quid encore des Françaises plus que précaires, sans domicile fixe, errant dans les rues de l'hexagone à la recherche de solidarité notamment féminine ? Quid enfin des fashionistas inféodées au diktat capitaliste de la mode toujours plus mortifère à mesure que progresse la modernité ? Cette aliénation de la femme-marchandise occidentale au capitalisme de l'après-guerre ne fut-elle pas traitée de manière acerbe par l'essayiste Guy Debord dans son bel essai (1967), puis dans son célèbre film documentaire, La société du spectacle (1973). Les intentions pernicieuses ainsi que le soi-disant intérêt pour le sort de la femme musulmane est en fait du déjà-vu. En effet, en 1989, " l'affaire du foulard " à Creil avait suscité une première polémique mettant à nu le racisme néo-colonial du monde politico-médiatique français, comme en témoigne le film documentaire de Jérôme Host, Un racisme à peine voilé (2004).

Il reste qu'il convient d'en finir avec toute forme d'ingérence extérieure visant à réformer et, partant, à séculariser à tout prix l'islam à l'exemple du judaïsme et du christianisme. En effet, ces tentatives occidentales d'uniformisation culturelle, au nom de principes supposément universalistes comme le démontre le post-modernisme[3], invitent finalement à une lecture diffusionniste et occidentalo-centrée de l'histoire.

Comment en cela en finir avec l'exotisme colonial et l'un de ses corollaires le féminisme misislamique autrement qu'en manifestant sinon de la politesse[4] du moins de l'incompréhension face aux thuriféraires du laïcisme radical ?

La pudeur devrait, en d'autres termes, envahir ces néo-latins en lutte contre l'islam authentique au nom de la défense des valeurs républicaines jugées supérieures, en réalité fantasmées et hypertrophiées comme le furent les préjugés de couleur et les poncifs coloniaux sur la prétendue " infériorité des races "[5].

En somme, les musulmanes voilées, qui ne sont jamais invitées à participer à la grand-messe médiatique autrement que par contumace, assistent, dignes, à cette agitation politico-médiatique d'une grande indigence intellectuelle, tandis que des gentlemen's agreement aux braiements infâmes scellent leur sort par des projets de loi liberticides.

1- «Le monde coloniale est un monde manichéiste », reposant sur la déshumanisation des colonisés. FANON Frantz, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961.

2- NIZAN Paul, Les chiens de garde, Paris, Rieder, 1932.

3- Le post-modernisme est incarné par les philosophes français, Jacques Derrida, Gilles Deleuze ou encore Michel Foucault.

4- SAYAD Abdelmalek, L'immigration, ou les paradoxes de l'altérité, Louvain, De Boeck Université, 1992.

5- Au sens de Jules Ferry.