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Non, l'Arabie Saoudite ne se fera pas la guerre à elle-même !

par Arslan Lehmici*

A l'évidence, l'annonce par Riyad de la constitution d'une « coalition islamique » de 34 Etats en vue de combattre Daesh en Irak et en Syrie, a de quoi surprendre?

Car loin d'être un secret d'Etat, le soutien du régime wahhabite aux différents groupes djihadistes sunnites officiant au Proche orient, au Yémen, au Maghreb, en Somalie et ailleurs a constitué jusque-là, une ligne de conduite presque constante du Royaume saoudien dans sa politique extérieure.

D'ailleurs pour les spécialistes avertis, on imagine assez mal comment le régime saoudien, pourrait se décider à faire la guerre au monstre qu'elle a enfanté et qu'elle a nourri au lait de l'extrémisme religieux wahhabite. Et en l'occurrence, c'est peu de dire que le projet totalitaire de Daesh, comme celui des Talibans afghans, correspond en tout point au modèle de société religieuse intolérante promue partout par l'Arabie Saoudite.

Pour autant, il est vrai que durant l'été 2014, sous les effets conjugués des pressions de ses partenaires occidentaux et la crainte de voir son image directement associé aux exactions de Daesch, Riyad a décidé de prendre officiellement ses distances vis-à-vis de l'organisation terroriste et de couper ses principaux canaux de financement. Mais malgré cela, il n'en reste pas moins que la fourniture en sous-mains d'armements et de matériels de communication sophistiqués n'ont en réalité jamais cessés. Preuve en est encore de la livraison clandestine très récente via la Turquie à la rébellion syrienne, de systèmes mobiles anti-chars américains TOW. Des armes qui ont fait un véritable carnage sur les blindés de l'armée nationale syrienne et ont eu pour conséquence de fortement ralentir sa contre-offensive malgré le soutien de l'aviation russe.

Dès lors, faut-il comprendre l'annonce en fanfare de cette nouvelle coalition anti-Daesh comme un véritable revirement doctrinal de la part du régime saoudien ou tout simplement d'une manœuvre tactique visant à occuper les terrains syrien et irakien d'une autre façon?

Pour le comprendre, il faut d'abord mettre en relation cette décision avec la montée en puissance d'un discours interne de plus en plus critique à l'égard du régime, notamment au sein même de la famille royale où de nombreux princes n'hésitent plus à exprimer leur mécontentement par voie de presse à l'égard d'une politique étrangère qu'ils jugent irresponsable et surtout dangereuse pour la stabilité et l'avenir du pays.

Dès lors, peut-on analyser cette évolution comme la résultante d'une défiance montante à l'égard du roi Salmane et son positionnement très ambigu, pour ne pas dire complice, vis à vis des groupes terroristes engagés contre l'armée nationale syrienne?

Cette hypothèse ne manque pas d'intérêt. Surtout dans un système monarchique caractérisé par un principe de collégialité relativement bien ancré, notamment sur les questions de succession ou pour les grandes orientations stratégiques du pays.

Ainsi, en l'absence de consensus fort, le scénario d'un réajustement dicté par l'évolution des équilibres politiques au sein des différents clans qui composent la famille royale n'est pas à écarter. Le précédent de la déposition du roi Saoud Ben Abdelaziz pour mauvaise gestion au profit de son frère Fayçal en 1964 est d'ailleurs là pour nous le rappeler.

Pour autant, cette nouvelle donne ne saurait en cacher un autre? celle du terrain diplomatique. Car avec l'adoption à l'unanimité par le Conseil de Sécurité de l'ONU, d'une véritable résolution de sortie de crise pour la Syrie, c'est toute la stratégie de soutien saoudien aux groupes armées qui tombe à l'eau.

Du coup, le régime saoudien ne pouvait trouver de meilleure solution qu'un engagement direct au sol pour occuper le terrain. Ainsi, une fois Daesh vaincu ou relocalisé ailleurs pour aller faire djihad comme en Libye, l'Arabie Saoudite serait en mesure d'empêcher la reconquête des territoires syriens et irakiens perdus par les armées nationales syriennes et irakiennes face à ce même Daesh. Au final, l'Arabie Saoudite parviendrait de cette façon à acter la division de la Syrie et de l'Irak et finalement exaucer ce vieux rêve américain de voir se créer entre le Tigre et l'Euphrate, un nouvel Etat sunnite sous contrôle saoudien. Bref, un Etat islamiste wahhabite comme Daesh mais qui ne s'appellerait plus Daesh.

*Consultant Politique