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Les bras m'en sont tombés !

par Bouchan Hadj-Chikh

« C'est quand le 1er Novembre » deman-da la petite fille ? Je l'ai regardé, esto-maqué, un sourire crispé sur les lèvres. Alors j'ai dis : « C'est tous les jours le 1er Novembre. Depuis 1954.Ou ça aurait dû l'être. C'est tous les jours un matin de rêves et de projets, un matin de défis, où tout est possible. Même l'impossible ou ce que l'on croyait être. Depuis le 5 juillet 1830 ». Je fais une pause et j'ajoute : « Depuis Jugurtha, Massinissa, Missipsa etTacfarinas. Depuis toujours, quoi ».

Elle a continué de me fixer comme si elle attendait un oracle. Je me suis tu. Oui, bien sûr. Le 1er Novembre n'est pas la fête de tous les Saints, ni la fête des morts, comme on dit. Cette date, pour nous, c'est celle des vivants.Ceux qui ont fait mentir Jean Jaurès ou Léon Blum - dont on nous bassine avec leur « humanisme » - qui déclaraient, le premier, en 1884, parlant de nous et d'autres hommes et femmes, que « ces peuples sont des enfants » qui ont besoin de « quelques notions très simples de langue et d'histoire française, de commerce, de christianisme». Cet homme qui défendait« le droit certain de la France à s'ouvrir un débouché, de l'Afrique centrale vers le Nil ».Ou Léon Blum, qui déclarait, du haut de la tribune de la chambre des députés, « le droit et même le devoir de ce qu'on appelle les races supérieures ?d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture ».

« Le 1er Novembre, c'est une claque à tous ceux-là ».

Je lui ai dis cela tout en sachant qu'elle n'était pas en âge de tout comprendre. Au fond, je me demande si je m'adressais vraiment à elle, espérant qu'elle retienne, pour plus tard, quelques mots clés pour la soupe qui la nourrira dans la vie qui l'attend, ou si ce discours était une piqure de rappel pour moi. Une interprétation du regard que j'ai croisé, ceux des enfants qui visitent leslieux de mémoire célébrant les actions des moudja-hidine. Ceux que l'on voulut momifier. Que l'on appela « ancien moudja-hidine » au lendemain de la proclamation de l'indépendance, pour en faire des pièces de musée. Référence à l' « ancien combattant » des guerres mondiales auxquelles nous fûmes contraint d'y participer et à y verser notre sang pour libérer « l'autre », celui, justement, qui ne nous recon-naissait ni identité ni désir de vivre libre.

Les moins jeunes, se souviennent, sans doute, de cette « Organisa-tion des anciens moudjahidine » dont l'appellation fut dénoncée dans une chronique publiée dans le quotidien « La République » d'alors? il y a si longtemps - qui réfuta ce label neutralisant ceux qui avaient un desseinpa-triotique et de l'ambition pour leur pays.

Le terme « ancien » fut effacé. Au terme du congrès qui suivit. Parce qu'il était dit que la libération était également économique et poli-tique. Et que tout restait à faire. Que la libération n'était pas formelle seu-lement. Elle était également économique.

Mais le mal était fait cependant. Le terme « Moudjahed » garda ce cachet passéiste, de « has been », comme on dirait aujourd'hui. Il fut étouffé, habillé en patron de bar, qu'ils ne surent, faute de formation, gé-rer ? comme nous l'écrivions tantôt ?. C'était leur « solde de tout compte ». « Solde de tout compte » également pour les personnalités de haut vol de cette révolution, agréées pour obtenir des licences d'importations afin de s'enrichir ? à bon compte. Et se taire. Et laisser faire. A défaut de raviver, mobiliser leurs esprits pour concrétiser leurs rêvespour lequel ils étaient prêts à donner leurs vies, on rabaissa leur pa-triotisme au niveau de leurs portefeuilles, si près, pourtant, de leurs cœurs qui cessèrent de battre à l'unisson de la vie espérée.

Moudjahidine trompés par les mirages,défroqués de leur titre de vigile.Qui ontenfanté les hommes d'affaires d'aujourd'hui. Ou qui croient l'être. Qui se sont pas des capitaines d'industrie. Encore moins des tra-ducteurs d'idées en réalisations. Qui n'en sontque les sous produit. Qui recourent aux compétences étrangères pour, disent-ils, développer le pays quand nous ne faisons que nous soumettre au « savoir faire » étranger démobilisant. Un ancien premier ministre ? qui ne cesse de concocter un avant projet ou projet de Constitution Nationale depuis des mois - quali-fiait un de ces ministres de forcené de consultations de firmes étrangères pour tout embryon de projet. Avant de les classer sans suite.

Je cite ses propos de mémoire.

Le 1er Novembre est peut-être à venir.

Lui aussi est devenu un projet.

Nous n'avons que ce pays.

Une RépubliqueDémocratique et Populaire. En devenir.

Le 1er Novembre. Minuit. Pensez-y.

Le 1er Novembre 1954, c'est tous les jours, depuis le 5 Juillet 1830, depuis la nuit des temps, en fait, et tous les jours qui suivront le 1er Novembre 2014. En espérant que les ingrédients rappelés ici serviront à relever également la soupe pour les édentés des dérives de l'histoire à qui on a tordu le bras.

Et si vous êtes de ceux qui allument des bougies du souvenir, avant de craquer l'allumette, regardez la boite et cherchez où elle a été produite. A quel pays devons-nous l'emprunter pour éclairer notre voie.

Elle attendait toujours ma réponse. Avant de s'éloigner en sautil-lant, elle lança :

« Alors, grand père, tu me diras quand ce sera le 1er Novembre ? »

« Non. C'est toi qui me le diras, mon trésor ».

Elle sourit. Dans son regard j'ai cru voir une étincelle.