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Colloque : les élections françaises vues par la presse étrangère

par Pierre Morville

C'était l'intitulé d'un récent colloque du journal le Monde. Et le Quotidien d'Oran était invité

Chers amis lecteurs, votre très modeste « Chroniqueur de Paris », a été invité par le quotidien Le Monde, à un débat organisé par la « Société des lecteurs de ce même journal », puissance tutélaire qui est également l'un des principaux actionnaires du quotidien français.

Invité au titre du Quotidien d'Oran, j'y'ai bien sûr défendu hautement les grandes couleurs de notre quotidien.

D'autres journalistes y étaient conviés, parmi lesquels dans une 1ère conférence, parrainée par Erik Israelewicz, patron du journal parisien, figuraient notamment, Florence Aubenas, grande reporter au Monde, Agil Khalil, journaliste azerbaïdjanais, Massoud Hamid, journaliste syrien et Christophe Deloire, président de « Reporters sans frontière » ; la seconde conférence sous la houlette de Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale du Monde sur le sujet « la campagne électorale française vue par des correspondants de presse étrangère en France », faisait intervenir Jonathan Fenby (ancien dirigeant de l'Observer, du Guardian et de l'Independant) , Alberto Toscano, journaliste italien, président du club européen de la presse -, Eric Chol, directeur de la rédaction courrier International et Pierre Morville, chroniqueur au quotidien d'Oran . Et je vous donne en pâture mon intervention orale.

LE QUOTIDIEN D'ORAN EST UN SACRE JOURNAL !

« Lorsque j'ai reçu un appel de la rédaction du Monde m'invitant à me joindre au débat « les élections françaises vues par la presse étrangère », j'ai immédiatement rappelé que j'étais citoyen français, vivant à Paris, responsable syndical dans une grande entreprise, n'étant plus professionnellement journaliste depuis longtemps, et donc peu qualifié sur le sujet. D'autres correspondants de la presse algérienne sur Paris auraient été plus appropriés? Mais pourquoi bouder cet honneur ? Il est vrai que je tiens, depuis dix ans, une chronique dans un quotidien algérien, le « quotidien d'Oran », l'un des plus importants tirages de la presse francophone en Afrique, et certainement l'un des titres les plus sérieux.

Cette Chronique s'appelle la « Chronique de Paris » où je traite notamment la vie politique française, en tentant d'expliquer à nos lecteurs les arcanes compliquées de la vie politique française, et où j'ai été amené à couvrir et commenter la récente campagne présidentielle.

De nombreux confrères et consœurs de la presse française et algérienne ont noté le vif intérêt du public algérien sur ces élections. Le scrutin du 6 mai a même éclipsé les élections législatives algériennes qui se sont déroulées le 10 mai dernier. Pourquoi cet intérêt et la sympathie non dissimulée de beaucoup d'observateurs algériens pour le candidat socialiste devenu depuis le 7ème président de la Vème République française ?

Tout d'abord parce que les liens historiques et géographiques restent très puissants. La francophonie est une réalité en Algérie, TF1 est sans doute la chaîne de télévision la plus regardée par les Algériens, malgré la nouvelle concurrence d'El Djazira, et le public algérien possède une connaissance infiniment plus précise des rouages de la politique française que le public français a de la réalité algérienne. Enfin, la vie politique algérienne étant depuis quelques années d'une très grande, voire extrême stabilité, c'est le moins que l'on puisse dire, il est possible que l'intérêt public manifesté ici, par beaucoup pour l'alternance française, ait pu servir un peu de substitut.

Dans un registre plus sérieux, le fait que, vu d'Alger, les élections françaises ne sont pas un scrutin international comme un autre, trouve sa première explication dans un phénomène ancien et permanent, l'immigration algérienne en France. D'après les chiffres ministériels des deux pays, la France abrite 700 000 citoyens algériens. Les Français d'origine algérienne sont beaucoup plus nombreux, trois à quatre millions peut-être. Les mariages mixtes étant très nombreux dans cette communauté, il est très difficile de chiffre le nombre de Français qui ont un rapport familial avec l'Algérie, au bout de la 2ème, 3ème, voire 4ème génération. Les premières traces notifiées d'immigration algérienne date de 1870. Sans compter, ne les oublions pas, les Pieds-Noirs...

LE FAIT PERMANENT DE L'IMMIGRATION

Les relations se maintiennent donc de façon étroite de part et d'autre de la méditerranéen. Deux indices micro-économiques : l'importance du trafic aérien et maritime entre l'Algérie et la France dans les périodes estivales et le budget des communications téléphoniques a destination du pays dans les familles franco-algériennes. La téléphonie !

Sur les réactions politiques : on a pu noter rapidement dans les commentaires algériens une certaine sympathie pour le candidat socialiste. Ce ne fut pas spontané. Les Algériens gardent un souvenir mitigé de François Mitterrand, qui fut, rappelons-le ministre de Justice pendant la Guerre d'Algérie et coupable d'un certain nombre d'exécutions capitales de combattants algériens (70 environ). Avec le gouvernement de Lionel Jospin, entre 1997 et 2002, les relations ont été tièdes, voire tendues. Malgré l'insistance algérienne, le premier ministre socialiste n'a jamais visité Alger. En revanche, les citoyens algériens ont voué une sympathie certaine à Jacques Chirac, pourtant officier de l'armée française pendant la guerre d'indépendance dont la dernière visite à Alger fut réellement un succès populaire. En décembre 2010, François Hollande lui aussi élu de la Corrèze, a effectué un long séjour en Algérie, à l'invitation du patron du FLN de l'époque, M. Abdelaziz Belkhadem.

Il a notamment rencontré lors de ce séjour l'ancien président Ahmed Ben Bella. Ce déplacement fut très cordialement salué par la presse algérienne et le public algérien a appris à connaître l'élu de ce département rural d'Auvergne, à l'époque sans aucune responsabilité nationale.

La sympathie dont bénéficie aujourd'hui le nouveau président tient certainement à ses qualités intrinsèques. Mais elle doit beaucoup également au rejet de Nicolas Sarkozy, fait souligné par nombre de correspondants étrangers.

L'offre télévisuelle, radio et Internet restant à ce jour faible, la presse arabophone et francophone est très diverse, une vingtaine de quotidiens, et très lue. Outre les éditoriaux, les libres opinions abondent et dans celles-ci, les dénonciations de la politique de Nicolas Sarkozy abondent. Quels étaient les principaux griefs ?

- Le discours anti-immigrés, tout d'abord, rhétorique croissante depuis le discours de Grenoble et qui a fini par polluer la fin de campagne présidentielle et législative au point où l'on ne savait plus qui du FN et de l'UMP était le plus à droite. Mais c'est aussi l'insistance de l'ancien président pour réviser les accords migratoires de 1968. D'autres propos polémiques de Nicolas Sarkozy ont été également mal vécus comme le refus intransigeant et catégorique non d'une certaine repentance mais d'un regard critique et citoyen sur la période coloniale, ou la mise en cause d'une prétendue responsabilité de l'armée algérienne dans l'assassinat des moines de Tibhirine, alors que l'instruction judiciaire n'est pas close..

- Le « Printemps arabe » a touché l'Algérie, dans toutes ses dimensions. Le soutien jusqu'au-boutiste à Ben Ali fut ironiquement souligné en Algérie. En revanche, l'intervention américano-anglo-française fut très diversement appréciée. Cette politique de la canonnière a-t-elle était menée dans l'intérêt du peuple libyen ou pour les intérêts des groupes pétroliers (essentiellement américains) ? On s'interroge encore sur cette question, à Alger comme à Paris.

- Cette intervention précipitant la chute et l'exécution télévisée du « dictateur laïque » Kadhafi, a accru la déstabilisation du Sahel, vaste zone désertique allant de la Mauritanie au Soudan, précipitant une sécession du Mali, une radicalisation des peuples Touaregs, une renaissance de l'Aqmi (Al Qaida du Maghreb islamique) en Mauritanie, au Mali, au Niger, en Libye, dans le sud saharien.

- Le printemps arabe a fait surgir des espoirs et aura des conséquences à long terme dans l'ensemble des pays de la zone, parfois positifs, parfois négatifs pour les peuples concernés. Les alternances nécessaires ont vu ainsi monter les partis islamistes, seuls mouvements d'opposition réellement structurés. On l'a vu en Tunisie avec la victoire d'Ennahdha, en Egypte ave la montée en puissance des Frères musulmans, au Maroc même, lors des dernières législatives. On pourrait rajouter à, cette liste la Libye, dont on peut s'interroger sur les orientations des différentes composantes actuelles d'un pouvoir éclaté.

- Je sais le peuple algérien musulman et profondément pieux. Mais l'expérience de la longue et sauvage guerre civile fait que les citoyens algériens, bien au-delà des cercles du pouvoir, des partis, des associations de la vie civile, se méfie dorénavant d'un certain islamisme radical militant, surtout quand celui-ci est financé par des puissances fortunées et étrangères.

LE TEMPS DE LA RECONCILIATION

Plus généralement, l'exécutif algérien se retrouve dans une certaine situation d'isolement géopolitique : un Sahel déstabilisé, une Libye explosé, un Mali scindé, sans parler de la Tunisie ou du Maroc, ce dernier pays restant l'éternel vieil adversaire, malgré une normalisation en cours. La situation en Egypte enfin reste incertaine. Par sa démographie, son histoire, son ambition nationale et ses réserves énergétiques, l'Algérie a toujours voulu occuper le rôle d'une puissance régionale, ce que Nicolas Sarkozy lui a toujours contesté, mais ce que le nouveau pouvoir à Paris ne le lui contestera peut-être pas.

 Dans cette période troublée, on peut enfin parier peut-être que le pouvoir algérien cherchera à conforter ses relations avec le Nord de la Méditerranée, notamment avec l'Italie, l'Espagne et la France..

 De ce point de vue après avoir beaucoup critiqué les initiatives de l'ancien président, je crois que pour l'Union pour la Méditerranée fut certes une idée mort-née, mal fagotée dès le début, mais qu'elle reste une bonne idée. A reconfigurer dans l'intérêt commun de tous les peuples de la Méditerranée. Sue le plan des réalités économiques qui peuvent renforcer une coopération durable entre la France et l'Algérie, rappelons pour mémoire qu'outre la réalité durable l'immigration, la France est vis-à-vis de l'Algérie, le 1er exportateur et le premier importateur. Rappelons également que l'Algérie est un rare pays qui soit au monde, un créditeur net. Rappelons que la France dépend aussi de l'Algérie pour ses besoins énergétiques. De nombreux éditorialistes algériens et français partagent cette opinion : le temps de la réconciliation est venu entre la France et l'Algérie. Il nous faut tourner la page de tous nos vieux conflits. Les historiens doivent continuer à faire le travail.

Elle peut même avoir une date, le 5 juillet prochain, 50 ème anniversaires de l'indépendance de ce pays, avec lequel nous avons eu des rapports horriblement compliqués mais qui nous est tellement affectivement proche ».

Bon, fin du discours ; et j'espère bien être à Alger le 5 juillet.

SITUATION FRANÇAISE ; BEAU FIXE AVANT L'ORAGE

Comme nous l'avions pu l'annoncer aux lecteurs du Quotidien, il était prévisible, (sinon bienvenu) que François Hollande remporte successivement l'élection présidentielle, puis l'épreuve des législatives. Ce gars-là semble sérieux et honnête : les électeurs français ont donc décide de lui laisser toute sa chance. Pour le coup, il a aussi tous les pouvoirs : les socialistes sont majoritaires seuls, sans même l'appoint de leurs alliés (écologistes, radicaux, Front de Gauche) à l'Assemblée nationale, ils dirigent déjà le Sénat, les élus socialistes sont très majoritaires dans les conseils régionaux, départementaux, et sont également patrons des principales grandes villes.

Les électeurs ont donc largement donné leur confiance à la nouvelle majorité présidentielle. Mieux (ou pire), ils l'ont fait de façon réaliste, c'est-dire sans attendre forcément des miracles, notamment à l'aune des difficultés cumulées en Europe : récession, crise de l'Euro, risques de déflagration de l'Union européenne.

Réalisme ne veut pas dire abandon d'un espoir de redressement : bref ! La balle est dorénavant dans le camp du camarade Hollande.