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Les contrevérités d'un illustre écrivain

par Farouk Zahi



«Très lâchement, nous avons abandonné la Kabylie non seulement à elle-même, mais aussi à la répression du pouvoir algérien. Et ce pouvoir est très intelligent. Il a compris que le grand danger pour lui ce n'est pas les Français, ce n'est pas les Allemands, ce n'est pas les Américains, ce n'est pas les Russes, mais c'est les Kabyles.» (Boualem Sansal).

Cette incongrue assertion attribuée au, pourtant, brillant écrivain, dénote un tant soi peu de l'aigreur du discours chez ceux là mêmes qui ont constitué, les moellons du soubassement du système politique. Après avoir consommé, consciemment ou inconsciemment, leur compromission avec ce même système, se fourvoient dans ce que l'on peut appeler le syndrome post-octobriste. Pour se dédouaner, les mutants, et Dieu seul, sait s'ils sont nombreux, revendiquent de nouvelles vertus en stigmatisant leur propre déconfiture l'attribuant volontiers aux Services, au Parti unique et autre tête de Turc.

Invité par une association proche du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) en Allemagne(1) celui-ci aurait déclaré :

«D'abord, je voudrai vous dire un immense merci pour cette invitation à laquelle Lyazid m'avait convié il y a quelque temps. C'est la première conférence que je tiens avec une association proche du mouvement pour l'autonomie de la Kabylie, avec la Kabylie au cœur du programme. Certains pourraient penser qu'il ne s'agit que d'une simple région d'Algérie et se dire, qu'après tout, que cette région soit autonome ou pas, c'est assez secondaire. Non, au fait, c'est très emblématique, c'est symbolique, c'est quelque chose de très important. La Kabylie est le cœur de l'Algérie. Sans la Kabylie l'Algérie n'existe pas et tout le Maghreb aussi. Le Maghreb reste encore à ce jour une sorte de colonie. Après avoir été colonisé pendant des siècles par les Romains, les Byzantins, les Vandales, les Arabes, les Turcs, les Espagnols, les Français, aujourd'hui, il est colonisé par? et c'est là tout le problème, car on ne sait pas trop par qui. L'Algérie est colonisée par des Algériens qui se sont donné une identité qui n'est pas la leur.»

Trop respectueux de l'esprit de l'écrivain, nous ne lui ferons pas l'injure de lui attribuer une quelconque ignorance, car, et il le sait, tous les peuples de la planète sont issus de brassages ethniques, sans pourtant en perdre l'âme. La culture hispanique a connu son apogée au lendemain de l'occupation musulmane de l'Andalousie par les troupes armées d'un grand chef berbère. Et c'est et sans nul doute, ce greffon qui a permis à cette culture de s'installer durablement en Amérique post colombienne, sans pour cela, effacer les repères identitaires amérindiens. Les grandes dynasties maghrébines, ont de tout temps, étaient d'essence amazighe. La fondation de la mythique El Kahira (Le Caire), n'a-elle pas été le fait d'une dynastie berbère et bien de chez nous ? Lors des échauffourées footballistiques d'Oum Dormane de récente date, a-t-on fait le distinguo entre Kabyles et Arabes ? A Tizi Wezzu, comme énoncé dans cette conférence, l'auteur ignore peut être que les familles se sont, tellement, imbriquées par des alliances, qu'il n'est plus possible d'en définir la souche. La langue du terroir en dit et à juste titre : «Nous sommes oncle et fils de sœur».

«Les seuls arabes réels, ce sont les habitants de l'Arabie. Et donc nous sommes gouvernés par un mythe. Et pourquoi avons-nous donc accepté, pendant des siècles, d'être gouvernés par un mythe ? C'est à cause de la religion. C'est que l'islam est né en Arabie et de là, il est parti se répandre dans le monde. Là où l'islam est arrivé à s'installer, eh bien, il a aussi imposé l'identité arabe.».

Après cette épique ex. cathédra, que faut-il en conclure ? Pour recouvrer notre authenticité identitaire, la seule alternative qui nous soit suggérée serait celle de désislamiser la société actuelle, pour mieux la purger de son arabité !?? Si tant elle serait, exclusivement, arabe. Que veut démontrer par cette opposition, plutôt bessonnienne, l'illustre écrivain ? Doit-il déposer son allégeance comme gage au Mont-de-Piété pour une modique considération des Francs devenus, eux mêmes Français après avoir été Gaulois ? Cette réflexion, certainement, émotive n'est à aucun moment bien pesée et peut, même, être étiquetée de discours conjecturel.

Dans le registre, Si Boualem n'a rien inventé. Chacun sait que, relents islamophobes et discours BHLien, quoique ce dernier ne renie à aucun moment sa judaïté, idéal pour lequel il roule, se rejoignent pour casser du musulman, le confondant toujours à l'Arabe. On feint d'ignorer que de grands peuples musulmans sont entrain de réémerger sur la scène mondiale tels que l'Iran, la Malaisie, l'Indonésie sûrement pas pour avoir été désaculturés. L'Islam qui est mis à l'index n'a jamais gommé l'identité bosniaque ou kirghize. Il faudrait donc repasser. Nous sommes convaincus que les frères du MAK ne sont pas dupes pour croire, de telles giclées démagogiques du genre :

«J'avais beaucoup d'espoir pour l'Algérie parce qu'en Algérie, il y a la Kabylie. La Kabylie est une région très particulière dans tout ce monde là. C'est d'abord une région qui est restée elle même tout au long des siècles. Elle a gardé son identité très riche et elle est très puissante. Malgré le fait qu'aujourd'hui, les Kabyles vivent au quatre coins du monde, ils ont gardé cette fibre kabyle. Elle est en eux, elle les habite. Ils ont cette faculté que l'on ne retrouve pas ailleurs, qui a été détruite par la culture arabe».

Se pourrait-il qu'un esprit aussi éclairé et pour lequel on nourrissait beaucoup d'espoir, s'adjuge le droit de juger une culture qu'il n'en fait pas sienne, mais qui a enfanté d'illustres pairs universellement reconnus ? En glorifiant exclusivement une région au détriment du reste du pays, sait-il au moins qu'il enfonce un coin dans le corps social jusque là intègre et qui, ni la longue nuit coloniale, ni les velléitaires sécessions, ni la déferlante terroriste n'ont jusqu'ici entamé ? Et puis encore, lui, l'écrivain, donc, le concepteur de textes qui devraient sensibiliser, informer et éduquer la jeunesse surtout, ne fait-il pas la différence entre profondeur ethnique et dimension géographique, pour imposer une Kabylie minoritaire, peut être, en tout cas indépendante, selon ses propos, de la grande Berbérie qui est nôtre et qui s'étend de l'Atlantique à l'oasis de Siwa en Egypte ?

«Il y a évidemment les Touaregs. Ce sont des gens du sud, vieille civilisation, multimillénaire. Ils sont à un stade de processus historique, qui, quand on l'examine, on comprend pourquoi ils n'ont pas rejoint la révolution berbère du nord, en Kabylie, parce qu'ils sont encore dans un âge lointain. Ils sont nomades et les notions d'État, de la république, de démocratie sont totalement absentes de leur culture. Donc ils ne comprenaient pas ce qui se passait en Kabylie. Il y a aussi les Mozabites. Ce sont des Berbères qui sont dans un courant islamique particulier. Ils sont un peu comme les Amish aux États-Unis ou les Mormons. Ils préfèrent rester entre eux que de se mêler de ce qui se passe dans le pays. C'est à peine qu'ils sont considérés comme des Algériens.»

L'intellectuel, ne semble faire valoir qu'une image d'Epinal sur les profondeurs territoriales et humaines de son propre pays. Les Touaregs sont, dit-il, dans un âge lointain. Doux euphémisme pour ne pas dire qu'ils sont au moyen âge. De toutes les strates sociales du pays, la société targuie est sans doute, la plus ouverte sur le monde et la plus prédisposée à l'universalité ; mais, elle a préféré garder son âme dans son identité. Par leurs attraits touristiques, l'Ahhagar et le Tassili se sont ouvert au monde à l'aube du XXe siècle. Les langues étrangères y sont pratiquées couramment par les autochtones, les mariages mixtes y sont légion. En relation avec les places fortes du tourisme international, ils ont su imposer leur culture, berbère plus est, au reste du monde. Typique, l'homme bleu est reconnaissable à des milliers de lieux à la ronde. Une prestigieuse marque automobile porte son nom, c'est dire l'aura qu'il exerce dans le monde. Les cités urbaines de ce Grand Sud exotique, n'ont rien à envier aux cités du Nord.

Quant aux Mormons du M'Zab, selon l'écrivain, a-t-il pris la peine de consulter au moins un de ceux à qui s'appliquerait ce qualificatif et ce sentencieux arrêt : «C'est à peine qu'ils sont considérés comme des Algériens.» ? Et pourtant, l'un des plus illustres enfants du M'Zab est l'auteur historique de l'hymne national. Plusieurs anciens ministres, dont un Premier ministre et un ancien gouverneur de la Banque d'Algérie sont issus de cette vallée radieuse.

«Il y a d'autres Berbères, comme les Berbères dont je suis originaire moi-même, les Rifains du Maroc. On les traite de Kabyles. Nous aussi, nous sommes très combatifs. Nous nous sommes révoltés contre le royaume marocain au siècle passé. Et puis, la répression au Maroc contre les Berbères rifains était terrible et depuis le processus révolutionnaire dans cette région est cassé. Mes grands parents, qui vivaient donc au Maroc, faisaient partis de ces gens, de ces peuples qui se sont battus contre le Roi. Ils ont fui le Maroc dans les années 30 et 40 et ils sont venus se réfugier en Algérie.»

Par cette profession de foi pour le moins surprenante, M. Sansal, semble renier son appartenance à Arch El-Medad (Les cèdres) de Teniet El Had. Son ascendance généalogique, contrairement à ce qu'il affirme, remonterait selon un membre du clan, au cinquième aïeul dans l'inexpugnable Mont Ouarsenis.

(1)Niedergailbach, Saarland, Allemagne, le 22.01.2012 Conférence transcrite par la rédaction du journal Tamurt