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A l'Ecole polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger, on achève bien l'élite?

par D. Okeyli

La grève des étudiants est devenue chose courante à l'Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme d'Alger (EPAU), presque une tradition annuelle. Seraient-ils à ce point capricieux et impulsifs pour décréter l'arrêt des cours dès qu'une décision administrative les contrarie ? Ces petits anges, parmi les plus brillants bacheliers, seraient-ils en vérité de petits démons sachant manier l'arme du chantage massif, certains ainsi d'obtenir gain de cause ? Ou bien seraient-ils à bonne école ?

A plus forte raison, dans les écoles dites hors université, telle l'EPAU, aucun candidat ne saurait prétendre au droit de regard, encore moins de révision, du règlement intérieur. Pas plus qu'il ne pourrait changer à sa convenance les règles de notation ou conditions de passage d'une année ou d'un cycle à l'autre. Dans ce cas, pourquoi ces jeunes gens se dressent-ils contre la direction générale et la direction des études depuis plus d'un mois aujourd'hui ?

Paradoxalement, c'est la question que se posent certains enseignants qui s'inquiètent de l'absurdité d'une situation sans issue apparente. Pour rendre justice aux victimes, encore faudrait-il les identifier. Ceux-ci ou ceux-là ? Qui des deux a jeté la première pierre ? Qui des deux a privilégié la guerre au détriment de la paix ? Sans doute l'ignorance, l'arrogance et la mauvaise foi des uns.

La vérité est historique. En ce sens où les raisons à l'origine de ce gaspillage de temps et d'énergie, sont à la fois lointaines et immédiates.

La vérité est qu'à ce jour, aucun texte réglementaire ne subordonne les études à l'EPAU. Les étudiants, autant que les enseignants, ont beaucoup entendu parler du système LMD sans vraiment comprendre à quoi cela tient vraiment, ni à quoi cela les engage. Seulement voilà, l'EPAU n'est pas une école comme les autres : c'est une grande école, appelée à former l'élite de notre pays. Grande ambition qui manque non seulement de moyens juridiques, humains et matériels mais plus encore de stratégie d'application.

Alors, pour ne pas avouer ses insuffisances, la direction générale et la direction des études jouent à cache-cache avec les étudiants et les enseignants en diabolisant les uns et culpabilisant les autres.

Les nouveaux inscrits (année universitaire 2011-2012) ont attendu six mois (depuis leur inscription en juillet) avant d'obtenir enfin un règlement des études improvisé à la hâte quoiqu'en gestation depuis plusieurs mois. Tactique qui les a privés de la possibilité d'un transfert dont le temps était révolu. Ils l'ont découvert sur le site web de l'école, à la veille des premiers examens prévus la deuxième semaine du mois de décembre 2011. Il contenait des articles non seulement différents de ce qu'on avait bien voulu leur annoncer depuis la rentrée, mais contradictoires entre eux.

Les classes préparatoires intégrées (CPI), qui fondent le cursus des grandes écoles installées depuis trois ans maintenant, n'ont pas encore de règlement clair et définitif. En plus des programmes d'enseignement inadaptés, les moyennes sont calculées de façon aléatoire, tantôt semestrielle et tantôt annuelle. De même, les compensations entre unités pédagogiques et matières d'une même unité, sont tantôt accordées et tantôt refusées. Tout cela au détriment des étudiants, parfois des enseignants eux-mêmes, à qui on fournit des explications aussi sournoises qu'obscures afin que la supercherie ne soit pas démasquée.

L'EPAU n'est pas appelée à appliquer le système LMD. En attendant la promulgation d'un texte spécifique aux écoles hors université, son administration charge cependant quelques apprentis sorciers à concocter dans l'urgence une formule provisoire que l'on dit inspirée de celle du LMD sans plus de précision.

Ce que les étudiants doivent savoir, est que le règlement des études à l'EPAU se tisse et se défait d'année en année au gré des administrateurs qui se succèdent et se ressemblent dans leur aveuglement et leur ignorance des enjeux stratégiques de l'enseignement supérieur dans notre pays.

Ce que les étudiants doivent faire, est de prendre leur avenir en main et exiger la formation de qualité qu'on leur a promise au lieu de la répétition des cours d'il ya trente ans quand ils ne sont pas confiés à des amateurs suffisants, la considération et le respect mutuel au lieu de l'indifférence et le mépris royal avec lesquels on les traite, enfin la transparence et l'honnêteté au lieu des menaces, l'intimidation et la mauvaise foi qu'on leur jette au visage en réponse à des revendications légitimes. Car leurs revendications sont légitimes. Ces jeunes gens, qui sont nos enfants, ont quitté leurs parents et leurs maisons, dans l'espoir de les retrouver meilleurs. Dans leurs valises, ils ont apporté leur jeunesse, leur enthousiasme et leur soif de connaissance. Quelques semaines à peine après leur arrivée, hélas seul le désenchantement était au rendez-vous.

Sont-ils coupables d'avoir aspiré et cru aux promesses d'un avenir professionnel meilleur ? D'un certain point de vue, oui. Ils sont coupables d'être innocents. Coupables d'ignorer à quel point l'université algérienne souffre de son administration et à quel point la recherche scientifique suffoque sous son joug.

En conclusion, de deux choses l'une : Ou bien le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR) est informé de la situation. Dans ce cas son silence équivaut à sa complicité profonde à un crime hautement répréhensible. Ou bien la crise perdure à son insu et alors son existence même en tant qu'institution étatique n'est plus justifiée.

La prétendue élite promise à l'Algérie autant que la formation élitique promise à ses enfants ressemblent de plus en plus à un ciel nuageux sans pluie. Le glorieux projet est aujourd'hui livré aux têtes mal pensantes.

Pour que cesse ce massacre, points n'est besoin de multiplier les réunions inutiles pour s'entendre parler des préférences arbitraires des uns et des autres en terme de concession ou de compromis. La formation supérieure n'est pas affaire de fantaisie, de négociation ou de points de vue, fussent-ils collectifs.

La chose relève de la stratégie nationale au même titre que la sécurité ou l'autosuffisance alimentaire et énergétique.

Si le MESR veut restaurer sa notoriété largement discréditée, il faut qu'il s'exprime ouvertement contre ces injustices et mette ses promesses à exécution en les confiant à des personnes qualifiées sur le plan moral, scientifique et pédagogique.

La chaîne des responsabilités doit être assainie et redistribuée. Ce ne sont pas les diplômes ni les titres qui font la compétence dans ce domaine. Le grade pas plus que le nombre des années ne suffisent seuls à décréter le mérite, mais l'expérience honnête, riche et généreuse. Nombreux sont les enseignants, chercheurs ou non, qui ont été écartés sous un prétexte pervers ou un autre du processus de réflexion ou de décision pour ce qui concerne les questions que se posent les étudiants aujourd'hui.

Les étudiants sauront reconnaitre le discours loyal et franc et seront prêts à participer à l'effort de construction de la notoriété de l'Ecole et l'intérêt de leur pays pourvu qu'on ne leur propose pas de revoir au rabais leurs aspirations et leurs ambitions professionnelles dans le seul but de cautionner un bilan statistiquement positif. N'oublions pas que s'ils ont franchi le seuil de l'école, c'est bien pour y apprendre à travailler dans les règles universelles de la profession qui n'est pas de tout repos.

Les responsables administratifs de l'EPAU ont le devoir unique de soutenir et défendre, non celui d'achever ou brimer l'élite tant attendue de demain.