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Crise économique: de sommets en sommets?

par Pierre Morville

La crise rebondit après chaque sommet international. L'épisode grec souligne d'abord l'impuissance des gouvernants.

L'euro est sauvé ! Les gouvernements européens ont réussi à convaincre les agences de notation ! « Je voudrais insister sur le caractère historique des décisions qui ont été prises, elles sont extrêmement fortes, pour stabiliser, pacifier les marchés et permettre à la Grèce de retrouver le chemin d'une croissance normale », s'était félicité Nicolas Sarkozy lors de la conférence de presse de clôture du dernier sommet européen.

Le soulagement n'a duré que cinq jours. Mardi, les communiqués de victoire stratégico-mondiale du sommet européen dominé par le couple Merkel-Sarkozy, étaient remis au placard. Une fois de plus, la conférence de tous les dangers qui se finissait miraculeusement sur une solution à l'arraché, fruit de la sagesse franco-allemande, a épuisé ses effets en quelques dizaines d'heures, laissant les gouvernants européens totalement déboussolés. À l'origine de ce nouvel échec de la « gouvernance mondiale » ? Le référendum annoncé par Georges Papandréou, le 1er ministre grec. Le responsable a, après avoir validé un accord qui prévoyait la réduction de 50% de la dette grecque mais également un durcissement du programme d'austérité pour la population, désiré faire valider le package par sa propre population. Mais les Grecs, fortement remontés par les mesures déjà prises, ne semblent guère enclins à approuver par référendum un nouveau train de mesures qui, pour l'essentiel, ne frappent que les couches populaires et les classes moyennes : dans les sondages, 60% des Grecs refusent le compromis signé par l'Eurogroup.

Les Allemands qui ont largement inspiré l'ensemble des décisions prises ont eu les réactions les plus rapides et les plus vives : « L'intention du gouvernement grec d'organiser un référendum sur les mesures d'aide décidées lors du sommet européen de la semaine dernière, a augmenté l'inquiétude sur les marchés », selon le BdB, la fédération des banques privées allemandes qui craint que « d'importants détails » du plan ne soient « reportés, voire au pire gelés ».

COLERE ALLEMANDE, REVOLTE GRECQUE

« Pour la stabilisation de la situation qui est difficile comme avant, cette incertitude qui va probablement perdurer pendant des semaines est tout sauf un cadeau », a encore estimé le BdB. Les Bourses européennes et surtout les valeurs bancaires ont dévissé dès mardi, après l'annonce du référendum prévu début 2012, bien qu'on ne connaisse pas encore la question qui sera posée aux électeurs Rainer Brüderle, ex-ministre de l'Economie et chef de file des députés libéraux, qui participent à la coalition de la chancelière, s'est dit lui « irrité par cette manoeuvre étrange ». « C'est comme essayer d'échapper à ce que l'on a soi-même négocié », a critiqué le responsable en jugeant probable une « banqueroute » de la Grèce en cas de victoire du « non » au référendum. Plus acerbe encore, le spécialiste des questions européennes de la CSU, branche bavaroise de la CDU de Mme Merkel, Markus Ferber, a qualifié l'annonce de M. Papandréou de « folie politique et idiotie économique », dans un entretien au quotidien Die Welt. Le gouvernement allemand, pris visiblement de court, s'était contenté lundi soir d'un bref communiqué rédigé par le ministère des Finances : « Le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens la semaine dernière a formulé des attentes claires », selon lesquelles « le deuxième plan d'aide à la Grèce doit être en place d'ici la fin de l'année », rappelle sèchement l'exécutif allemand.

Pourquoi tant de hargne, surtout vis-à-vis d'une démarche somme toute démocratique ? L'initiative populaire grecque risque en effet de détricoter le laborieux compromis tissé entre les principaux pays européens et leurs intérêts divergents. Sur le dossier grec, les dirigeants européens avaient trouvé un accord pour effacer une partie de la dette grecque qui s'élève aujourd'hui à plus de 350 milliards d'euros, niveau jugé intenable. La perte pour les banques se monte à cent milliards d'euros. Selon l'accord, Athènes doit recevoir de nouveaux prêts internationaux de 100 milliards d'euros. Par ailleurs, 30 autres milliards ont été réservés pour aider les banques grecques, plus grosses détentrices d'obligations souveraines grecques. En échange, une rigueur accrue menace la population et une «troïka» où sont représentés les trois principaux créanciers du pays, Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international, contrôlera les mécanismes budgétaires de l'Etat grec. Ce n'était pas encore suffisant pour Angela Merkel qui réclame une « commission permanente » chargée de faire appliquer par l'exécutif grec les trains de mesures austères nécessaires. C'est un pas de plus dans la mise sous tutelle de la Grèce par ses partenaires et bailleurs de fonds, un contrôle accru voulu par les Européens, Allemagne en tête, échaudés par les nombreux retards pris par le gouvernement Papandréou pour lancer un programme de privatisation de 50 milliards et pour concrétiser des réformes prises sur le papier. Mais pas encore réalisées. Il est vrai que l'on en est au 4ème plan de sauvetage de l'économie grecque sans qu'aucun fonds européen n'ait été versé.

Plus généralement, le projet d'une tutelle européenne interventionniste soulève la question sensible de la souveraineté de l'Etat-nation grec et a poussé aujourd'hui le Premier ministre Papandréou à lancer son pari risqué. Les menaces affluent : «Si les Grecs votaient non au référendum, on ne pourrait exclure une faillite de la Grèce», affirme le président de l'Eurogroupe et Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. Nul doute que les pressions vont se multiplier, la démission de Georges Papandréou étant déjà exigée ici et là. Curieusement, le 1er ministre grec a annoncé dans les mêmes heures un remplacement à 100% de son état-major des armées. Curieuse coïncidence.

Mais les marges de manœuvre de l'exécutif grec restent très étroites et une sortie éventuelle de l'Euro pourrait avoir pour la population grecque des conséquences aussi dramatiques que l'acceptation du plan européen.

La colère excessive des gouvernants européens est néanmoins à la hauteur de leur affolement. L'intrusion de la voix populaire risque de mettre à mal les délicats compromis sur une thématique imposée : la seule solution de sortie est un programme d'austérité générale en Europe. C'est un choix stratégique sur lequel il ne paraît pas à nos élites opportun de demander leur avis aux populations concernées.

LES IMPOSSIBLES EQUATIONS DE SORTIE DE CRISE

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, les deux chefs du laborieux et disharmonieux orchestre européen, doivent faire face, il est vrai, à une avalanche de problèmes épineux. Tout d'abord, contester cyniquement l'appel à la décision populaire n'est pas aisé, d'autant que l'Union européenne est une confédération d'Etats-nations où l'unanimité est la règle et non un ensemble fédéral où un gouvernement supranational prendrait des décisions pour tous. Angela Merkel avait d'ailleurs pris la précaution de faire voter par son propre parlement les positions allemandes.

Certes, l'initiative grecque ne concerne qu'un cas isolé (la Grèce ne représente que 0,5% du PIB européen) mais la démarche contestataire pourrait inspirer d'autres gouvernants de l'UE, comme l'Espagne ou l'Italie menacées par la spéculation et coincées par leur opinion publique?

Car que faire aujourd'hui ? Faute d'avoir mis au pas le système financiaro-bancaire, les Etats européens se mettent aujourd'hui à la merci des réactions erratiques des marchés, bourses en tête et doivent craindre les jugements calamiteux des irresponsables agences de notation.

Plus généralement, l'Europe et la plupart des pays développés se retrouvent entre deux positions absolument irréconciliables.

Lourdement endettés, les Etats doivent faire preuve de vertu et baisser pratiquement leurs dépenses en imposant à leur population des programmes de rigueur accrue afin de donner des gages à leurs créanciers internationaux. Mais ces cures d'austérité affaiblissent fortement la demande interne, font baisser les PIB et rendent plus difficiles les capacités d'emprunt sur les marchés.

Les dogmes libéralo-monétaristes promus par la Banque centrale européenne interdisent tout recours à la création de liquidités nouvelles qui est pourtant monnaie courante aux Etats-Unis ou au Japon, pas plus qu'il n'est possible de baisser la valeur de l'euro pourtant notoirement surévaluée vis-à-vis de toutes les autres monnaies internationales : dollar, yen, yuan, rouble?

Dans le cas européen, la crise actuelle souligne également les divergences d'intérêts entre les Etats membres. En matière d'austérité, l'Allemagne a pris un métro d'avance : la politique dite de « modération salariale » a entraîné un recul du salaire réel moyen de 4,5% entre 2000 et 2009, contre une augmentation de 8,6% en France, la tendance s'inverse (entre 2010 et 2011, le salaire réel moyen déduit de l'inflation a augmenté de 1,9%.)

L'heure travaillée coûte à peu près le même prix des deux côtés du Rhin : 34 euros outre-Rhin contre 33 en France ! Du coup, l'Allemagne a récupéré une bonne compétitivité et est devenue le leader des exportations européennes. De quoi conforter Berlin dans ses convictions économiques anciennes : euro fort, rigueur budgétaire, lutte implacable contre l'inflation et contrainte sur les salaires.

Heureusement, nous avons un nouveau G 20 qui s'ouvre aujourd'hui à Cannes. La grand-messe accouchera certainement de nouvelles solutions toujours plus définitives. En prime, elle se déroule dans la capitale du cinéma !

TUNISIE-LIBYE: INTERROGATIONS ET CRAINTES

Les dernières élections en Tunisie ont vu un succès net du mouvement islamique Ennahda avec 41,7% des sièges (davantage en voix). Le parti de Rached Ghannouchi disposait d'un appareil militant homogène et efficace, de l'aura d'une formation qui a subi la répression sévère de Ben Ali, d'une expérience politique qui a fait souvent cruellement défaut aux autres partis. Dénommées « modernistes », ces formations extrêmement éclatées en une centaine de chapelles diverses n'ont pas su émettre de messages audibles par la population et pèseront peu dans les premiers mois de l'Assemblée constituante. Ennahda devra, de son côté, trouver quelques alliés pour constituer une majorité stable mais surtout la formation islamique devra prendre à bras-le-corps une situation sociale et économique très tendue et répondre à des attentes très fortes, sans nécessairement bénéficier de soutiens de l'Europe, des Etats-Unis, ni même des pays du Golfe. En revanche, la légitimité démocratique de cette échéance électorale majeure est incontestable.

Par contraste, les déclarations récentes de l'exécutif libyen paraissent plus critiquables. Au moment de la cérémonie de proclamation de la libération effective de la Libye, dimanche 23 octobre à Benghazi, Mustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition (CNT), a martelé que la prochaine constitution libyenne aurait pour fondement la charia ou loi de la religion musulmane. Face à plusieurs milliers de ses concitoyens, il a souligné : « En tant que pays islamique, nous avons adopté la charia comme loi essentielle et toute loi qui violera la charia sera légalement nulle et non avenue ». Comme le remarque Jean-Yves Moisseron, chercheur à l'IRD (Institut de recherche pour le développement), « son annonce de l'instauration de la charia, de la fin du divorce et du retour de la polygamie intervient avant même la mise en place du processus d'élection d'une Assemblée constituante.

Or on ne peut pas à la fois parler d'élire une Assemblée constituante et décréter seul de l'instauration ou de l'abolition de telle ou telle loi, remarque le responsable de la revue Maghreb-Machrek, c'est le peuple libyen qui doit décider de mettre en place la charia, pas Mustapha Abdeljalil. Ce dernier s'autorise donc une autorité en dehors de tout cadre démocratique comme s'il était l'unique dépositaire de la volonté du pays ».