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Une rentrée univers-citaire

par El Yazid Dib

Le signal est donné un peu partout à travers le pays. Un formalisme peu envieux est là pour amorcer le début de rentrée scolaire de l'université. Une rentrée universitaire, dirait l'autre. Une rentrée, certes, mais dans un univers

qui ne parle que de cités. Un univers-cité.

L'on ne parle que de quantités, de bouffe, de tickets de restauration, de lits, de piaules, de campus, de bus. Rarement d'études, de recherches, d'exploits, de trouvaille, d'innovation, de brevets d'invention. C'est ce qui caractérise en somme tous les rituels pompeux des discours rectoraux destinés à annoncer le démarrage d'une autre année universitaire. Blanche, sautée, grillée, l'année en cours suivra la précédente. Grognes, sit-in et pied de grue seront les principales haltes de la vie estudiantine et professorale. Dans un folklore de couleurs et de robes magistrales mal cousues, l'université algérienne s'apparente à un système très lourd. Un recteur censé être un catalyseur de savoir se perd dans les clauses légales des factures et se noie dans la longueur des bons de commande. Le code des marchés lui est devenu le meilleur opuscule scolaire le plus lu et relu. Il y épluche non l'origine des atomes ou la contradiction à la théorie d'Albert Einstein, mais l'entretien des grosses bâtisses, le goudron des préaux ou l'arrosage des espaces verts. Ainsi pour gérer une université l'on n'aurait pas besoin d'un douctor très réfléchi et contenu dans les neutrons et les molécules séparatistes, ou pétri de mathématiques logarithmiques mais bel et bien d'un administrateur versé dans les couacs de la haute gestion budgétaire, financière, managériale. Le recteur dans ces temps-ci troque indifféremment sa robe magistrale contre un costume noir au col blanc dont il arrive gauchement à s'y fourrer. Censé être le dépositaire d'une autorité scientifique, il est devenu un gestionnaire de bons, de jardinage et d'organisateur de galas et de fêtes.

L'université est plus importante que la ville. Elle est une commune avec ses résidents, sa police, sa crise de logements, sa propre psychiatrie. Aubergiste elle offre le gîte et le couvert au dinar symbolique pour qu'en bout de quelques annualités la production est labellisée apte à faire l'émeute, l'Ansej ou le filet social. La rue reste ainsi le principal recruteur et pourvoyeur d'occupation. De cette rentrée mousseuse, l'université se réduit à la gestion des cités. L'essence conventionnelle attendue du monde universitaire voudrait que l'on aille trifouiller un peu dans les arcanes des sciences et du savoir. Fouetter un peu soit-il le génie des chercheurs demeure le challenge tant entonné par l'autorité ministérielle qui, à son tour se débat dans les méandres gélatineux d'une logistique jamais satisfaisante. «Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche» c'est cette profession de foi d'un éminent professeur du pallier supérieur qui aveugle l'espoir de l'université algérienne. Une université par wilaya est semblable à cette quête politicienne d'un aéroport pour chaque wilaya. Un ami de production universitaire algérienne m'aurait apostrophé sur la confiance thérapeutique que j'aurais à mettre face à un cabinard dont l'écriteau ordonnancier indiquerait «diplômé de la faculté de médecine de Barika»(?). Ainsi, votre serviteur à voir se pousser des pôles et des pôles, 1, 2,3 et 4, de tant de lits, des restos dans une wilaya de l'Est des hauts plateaux, ne s'est point privé d'interpeller le wali en poste alors sur «Quelle est la vocation universitaire de ta wilaya ?». Réponse quasi-universitaire : «celle de toutes les autres wilayas !». Certes le problème n'est pas intrinsèque, ni local ou dépendant de l'élan d'un wali, il est dans ce miasme de la cartographie universitaire. Le wali dans ce sens n'est qu'un hébergeur, un aubergiste devant assurer le gîte et la salle du couvert. Le couvert dans ses différents mets à 1,20 dinar étant pris en cuisine par une autre entité d'œuvres sociale à mille remous l'an.

La géographie de l'enseignement supérieur n'obéit plus à des normes usuelles de faisabilité académique. Elle devait se soumettre à un strict respect d'une géo-thématique prenant en compte les spécifités régionales et les compétences existantes. Faire un institut de géodésie à Tébessa, ou un autre d'électronique à BBA, s'avérerait une bonne chose en soi. L'une ou l'autre s'offre tel un terrain favorable pour l'apprentissage et le tissage d'un lien scientifique entre l'université et le monde de l'industrie, des mines, voire du monde environnant. Par contre des centres universitaires n'ayant pas pignon sur rue poussent à l'humeur personnelle ou à l'intercession localement puissante, faisant de la sorte une politique d'ouverture de façade. L'université est un gouffre. Avec des milliards de dinars l'on n'est point capable de faire sortir un coupe-ongles. L'université cache mal la misère didactique qui l'érode. L'étudiant, nouveau ou ancien est vite situé dans un parcours de combattant plus ardu que celui que l'on attribue faussement au service militaire. Il vient le temps de remplir une période quadriennale et partir loin dans la rue, sans bagages ni préparation pour le monde infernal du travail. Le choix est loin d'être une vocation. L'on laisse un logiciel intelligent, inhumain et insensible gérer à son bon vouloir la vocation. L'étudiant n'est plus de la sorte un embryon capital-savoir indépendant où il faudrait l'épanouir à plus de mérites. Il est rapetissé à une unité statistique devant servir les cases d'un état d'inscription pour une année universitaire qui ne commence ; en fait jamais. Les enseignants par contre, jouissant d'une grosseur soldatesque impeccable et enviable n'ont pu se mouvoir dans une dialectique socio-éducative qui réussit à faire du professeur un maître. Un exemple. Le jeune disciple à voir certains comportements insolites se faire ; perd l'envie de se nourrir de la même trajectoire ou s'inscrire dans même destin. Il refuse de se voir, demain dans l'enseignement.

Sur le chapitre de la performance, l'université algérienne nonobstant les sommes colossales injectées dans ses circuits reste en deçà des espoirs affichés. A voir ce qui se bouillonne dedans, loin des cérémonies et du discours officiel, l'on constatera une fermentation qui n évolue qu'en sourdine. Les courants politiques, foisonnant autour d'entités corporatistes et idéologiques n'ont pu engendrer a fortiori un regain dans la classe politique. L'université n'est plus un bassin de régénérescence ou un vivier revendicatif outrepassant le lit et le resto.

La grande surprise de tout le monde, l'université des sciences et de la technologie Houari-Boumediene n'arrive qu'en 65e position dans le classement des pays africains et à la 7008e place mondialement, ce qui montre qu'elle est largement au-delà de la liste des 6000 qui étaient en compétition. Batna classée à la 47e place des pays africains, figure en 5548e du classement mondial. Est-ce une prouesse face aux médailles pompeuses et scintillantes qui ont été distribuées dans un climat stricto familial lors d'un cérémonial d'ouverture de la rentrée univers-citaire 2011/2012 ?