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Projet de révision constitutionnelle : Le poids du conjoncturel !

par Ghania Oukazi

En imprégnant les amendements apportés à la Constitution d'un caractère très conjoncturel, les décideurs démontrent ainsi leur incapacité à gérer une situation socioéconomique sans l'argent du pétrole.

Les déclarations du directeur de cabinet de la présidence de la République mardi dernier à la résidence d'Etat El-Mithak ont en effet dévoilé ce caractère conjoncturel prononcé que les décideurs ont mis en exergue dans un document qui se veut être la loi fondamentale du pays. Une loi qui ne doit consacrer que les fondements d'un Etat de droit mais dont le détail doit l'être à travers des lois organiques et des textes réglementaires de gestion et de mise en œuvre.

Bien qu'ils affirment dans le préambule du projet de révision constitutionnelle que « la Constitution est au-dessus de tous», la centaine d'amendements qu'ils lui ont apportés démontrent bien le contraire puisqu'ils en ont fait un assemblement de lois politiques, économiques et sociales encore en vigueur, qu'ils n'ont jamais réussi à respecter et à faire appliquer convenablement. Le caractère conjoncturel de la loi fondamentale du pays et de la nation a été d'ailleurs reconnu par le ministre d'Etat, le directeur de cabinet de la présidence de la République quand il a affirmé à propos de ce projet que «ce n'est pas un changement de Constitution, c'est un enrichissement qui l'adapte à des circonstances. » Circonstances qui, faut-il le préciser, sont étroitement liées au contenu de la loi de finances 2016 qui a été établie sur un prix du baril de pétrole assez bas en raison de sa chute vertigineuse intervenue depuis près de deux ans et qui s'étalera encore sur d'autres si l'on se réfère aux analyses et anticipations des spécialistes du domaine et observateurs de la scène mondiale sous tous ses aspects.

Les gouvernants n'en ont jamais pesé l'importance tant que les caisses de l'Etat débordaient d'argent.

Depuis que les équilibres macro-économiques du pays ont commencé à vaciller sous la pression de la baisse du cours du pétrole, le pouvoir et son gouvernement se cherchent une issue honorable pour passer d'un mode de gouvernance aisé avec l'argent du pétrole qui coulait à flots, à un autre où les idées, la prospective et l'anticipation doivent devenir une pratique quotidienne, une règle de gestion.

LES LIMITES D'UNE GOUVERNANCE

Ils n'ont pas trop réfléchi sur la manière d'y arriver. Ils ont alors dépoussiéré des lois adoptées depuis des décennies mais dont l'application et le respect étaient fait à pied levé. Premier acte irréfléchi de facilité, leur élaboration d'une loi de finances qui remet en cause des équilibres socioéconomiques qu'ils ont bâtis sur la facilité, la prétention, le laisser-aller tout en piétinant la rigueur de l'Etat dans toute son ampleur.

C'est la première fois dans l'histoire « légale » du pays que le pouvoir en place constitutionnalise ainsi, entre autres, des approches économiques qu'il veut mettre en œuvre depuis plusieurs années mais sans succès. Aujourd'hui, les choses évoluent contre son gré et le mettent au pied du mur. Sa panique, il la prolonge (après la LF 2016) à travers les amendements qu'il a introduits à la loi suprême du pays en lui conférant un caractère de loi «ordinaire et de circonstance.» A ce titre, on relève dans le chapitre IV «des référents pour une société ancrée dans ses valeurs et tendue vers le progrès», l'exigence que le législateur accorde pour «encadrer la mutation économique» à travers, écrit-il, «la préservation de la propriété privée», «la construction d'une économie productive, compétitive et diversifiée mettant en valeur toutes les potentialités naturelles, humaines et scientifiques du pays. » Ahmed Ouyahia en a expliqué la teneur en affirmant que « ces dispositions (notamment la première), sont pour rassurer le citoyen et le politique que l'Etat ne va pas céder les ressources du sous-sol du pays comme l'énergie, ni les domaines stratégiques comme la poste, les chemins de fer(?). » Encore une preuve que les gouvernants ont introduit la LF 2016 dans la loi fondamentale du pays. Ils constitutionnalisent en outre, « la protection des terres agricoles et des ressources hydriques. » Des terres que l'Etat a fortement fait rétrécir par sa force de faire valoir «l'utilité publique » entre autres, la construction de logements sur les plus productives du pays. « C'est un pays semi-aride », a rappelé Ouyahia pour justifier le 2ème alinéa de la disposition. Après sa création d'un fonds dès les années 2000, pour « les générations futures » dont il racle aujourd'hui les sous, le pouvoir a constitutionnalisé « la rationalisation de l'exploitation des ressources naturelles et leur préservation pour les générations futures. » Ces options de conjoncture sont inscrites dans le projet révisé dans les articles 8, 17, 37, 173-7 et 173-8.

QUAND «LE CULTE DE LA PERSONNALITE» EST CONSTITUTIONNALISE

Incapable de convaincre les hommes d'affaires d'investir en raison de son louvoiement autour des lois en vigueur et les changements continus qu'il y apporte très souvent sans raison, le pouvoir a décidé aujourd'hui de plaquer à la Constitution «la garantie de la liberté d'investissement et de commerce dans le cadre de la loi.» Pis encore, il y a même accolé «l'amélioration du climat des affaires», «l'encouragement de l'entreprise locale sans discrimination de statut», «la régulation du marché et la protection du consommateur», et «l'interdiction par la loi du monopole et de la concurrence déloyale.» Ce sont des dispositions qui sont toutes consacrées par des lois ou des codes en vigueur. L'on se demande comment des gouvernants qui n'ont pas pu respecter leurs propres lois pour les faire appliquer fermement sur le terrain vont-ils pouvoir le faire quand ils les constitutionnalisent. Le directeur de cabinet de la présidence de la République a d'ailleurs reconnu cet aspect des choses en notant que «les lois ne sont pas respectées. C'est pour cela qu'on les constitutionnalise.» Interrogé sur des éventuels garde-fous que le législateur aurait prévus pour consacrer «l'inviolabilité de la Constitution puisqu'il n'y a pas que les lois qui sont violées mais la Constitution l'a été à plusieurs reprises, notamment ces dernières années », lui avions-nous dit, Ahmed Ouyahia fera un long détour de la question pour se contenter de dire en conclusion que « l'inviolabilité de la Constitution tout autant que son applicabilité est un vécu collectif.»

Tel qu'il a été confectionné, le projet de révision constitutionnelle semble plutôt relever d'un état d'âme et un état d'esprit qui frôlent les limites du «culte de la personnalité.» Dans le chapitre II relatif à «la consolidation de la démocratie», on lit «l'alternance démocratique par la voie des urnes sera également confortée à travers la réélection du président de la République une seule fois (art. 74), disposition exclue de toute révision constitutionnelle (art.178).» Le caractère non révisable de l'article en question, imposé, dit-on, par le clan présidentiel, se passe de commentaire.