|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
«?Sensation
d'étouffement, de manque d'air, de coupure d'électricité dans l'âme. Des mois
après le printemps arabe, on est toujours un peuple enfermé dans un bocal posé
sur une fenêtre qui donne sur la mer et une cuisine qui donne sur le désert. Il
ne s'est rien passé depuis la fuite inaugurale de Benali
et le discours de Bouteflika le 15 avril. Depuis, nous
sommes 36 millions à avoir la voix éteinte et les mains qui tremblent sur des
feuilles qui s'en vont. Lu il y a quelques jours : les élections législatives
vont être avancées vers février. Avec qui ? Les mêmes. Dans quelques mois, on
aura droit à de fausses campagnes avec les mêmes acteurs et quelques autres
Indiens de seconde zone. On gonflera les taux et on baissera la voix. Remake
des années 90 et avec le même moteur crevé. Le pays a presque bougé, le monde a
bougé mais, chez nous, il n'y a eu ni nouveaux leaders, ni nouveaux partis, ni
nouveaux discours. Rien de neuf, tout en noir et blanc, poussiéreux, avachi, sans
sel et à manger de force. Tout se fait dans le remake. Rien de neuf, pas de
télés privées, pas d'images en couleur, aucun visage national de moins de
quarante ans, les même teints jaunes de corrompus assis sur la lune en train de
compter les billets de banque en balançant les jambes par-dessus le mur des
lois, pas de fête, pas de joie, aucun match de gagné, pas de drapeaux géants
suspendus entre deux cœurs larges et que de la cendre qui vous serre la main. Le
chroniqueur se souvient de l'exact poids d'étouffement des années 80
aujourd'hui. La même sensation de flottement asexué par-dessus le désir et le
sens. La même tristesse sans rebondissements.
On n'a pas bougé d'un millimètre en un an et quatre révolutions voisines. Un pays ridé, de dentiers, de rêves sans sexe ni élan. Un pays où les soucis sont ceux des vieux : médicaments en rupture, liquides dans les postes, heures des prières, retraites. Une idéologie de vieux : le but de l'Etat n'est pas de marcher sur la lune mais d'immobiliser tout le peuple, le faire s'asseoir, lui donner une immense mosquée et baisser la lumière et les bruits pour qu'il s'enfonce lentement dans l'au-delà. Le but de l'économie est de réussir la transition entre la viande et la viande hachée, sans création de plus-value, ni bourse, ni triple AAA, ni cotations, ni endettement. Doucement, avec le bruit du genou qui craque, cahotant du dinar vers Dieu, en menaçant du regard les nouveau-nés, vers la tombe, vers rien, en baissant la radio, sans heurts ni vertèbres. Sans voyage ni histoires d'amour, ni chansons, ni hymnes, ni récoltes. Les Algériens ne voyagent même plus dans leur pays, lui tournent le dos, boivent son café et veulent tous une Omra à 13 ans. Et je n'en veux pas ! Par toute ma peau et mes mains. De ce vieillissement, de ce fatalisme et de cette police anti 20 ans et anti couples. Je veux du neuf qui brille et me rajeunit, quitte à en crever en le payant. Je veux voir avant de partir et posséder l'éclat avant la rouille et les rats. Je ne veux pas de cette nationalité courbée vers sa fin. Je veux autre chose, avec la force et en repoussant tout ce que promet la mort au nom de la stabilité. Je veux du neuf et maintenant et avant d'avoir le même âge que cette majorité plus vieille que l'indépendance qui n'a que 50 ans. Je veux autre chose et je l'aurais et je l'arracherais et j'en ferais des enfants et des photos de mon bonheur et des cerfs-volants et lorsque je mourrais, je mourrais en rajeunissant, à vue d'œil, en contresens, avec éclat et insolence et jusqu'à remonter vers l'accouchement?» |
|