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Pr Bachir Noureddine Bouiadja, chirurgien et ex-chef de service au CHU d'Oran: L'intelligence artificielle au service de la santé ?

par Mokhtaria Bensaâd

Un domaine de recherche en pleine expansion, l'intelligence artificielle (AI) est devenue un outil incontournable dans la pratique médicale. Si ses applications sont utilisées pour l'amélioration de la qualité des soins, cette machine révolutionnaire va-t-elle, un jour, remplacer le médecin ? Le Pr Bachir Noureddine Bouiadja, chirurgien et chef de service au CHU d'Oran, actuellement en retraite, rencontré à la 26e édition du Salon international de la santé SIMEM, organisée du 17 au 20 avril au Centre des conventions d'Oran, nous parle de l'émergence de l'IA dans le domaine de la santé et des efforts consentis en Algérie pour se préparer à la médecine du futur.

Le Quotidien d'Oran : La médecine du futur frappe à nos portes grâce à l'intelligence artificielle qui commence à révolutionner le domaine médical. Est-ce que le système de santé en Algérie est en train de suivre cette tendance ou on risque de rater ce train déjà en marche ?

Pr Rachid Noureddine Bouiadja : Il y a de gros efforts qui sont déployés dans ce domaine et une volonté politique. Cela demande l'adhésion de tous les acteurs de la santé, des patients et surtout des managers de la santé, des responsables administratifs et tout ce monde doit se concerter ensemble pour faire avancer les choses. Les pouvoirs publics ont commencé par généraliser la numérisation de l'administration publique. C'est déjà un pas en avant. Il y a des écoles spécialisées comme celle de Sidi Abdellah à Alger qui œuvre à former des ingénieurs en intelligence artificielle. Il faut donc attendre la sortie de cette promotion et sa maturation professionnelle. Le ministère de l'Enseignement supérieur encourage, actuellement, les chercheurs à aller dans ce sens dans leurs recherches. Nous ne pouvons pas échapper au progrès actuel au risque de devenir dépendants et en décalage par rapport au développement à l'échelle internationale et nos cadres ne trouveront pas d'issue possible pour leur avenir.

Q.O.: Est-ce que l'intelligence artificielle sera un module enseigné à la faculté de médecine ou alors, les futurs médecins doivent compter sur leur savoir-faire dans ce domaine ?

R.N.B.: Tout se fait à petit pas. Je vous annonce une bonne nouvelle, à l'université Oran 1 à la faculté des sciences exactes et appliquées, une licence d'intelligence artificielle avec ses applications en santé existe déjà. Il s'agit d'une offre de formation mise sur place en quelques années. Il y a deux ans, une première promotion en licence est sortie. Maintenant, ils sont en phase de préparer le master 2. C'est une première ébauche.

La question qui se pose maintenant, est-ce que nous avons la force et les moyens pour mettre sur pied tout ce projet ? En France, il y a une seule expérience qui a été menée à la faculté de médecine et des sciences de la santé de Brest. L'étudiant inscrit en médecine, il étudie la médecine pour devenir médecin et en même temps, il prépare un ingéniorat en informatique dans les sciences de la communication. C'est l'ébauche du médecin ingénieur.

Q.O.: L'introduction de l'intelligence artificielle dans le domaine de la santé va-t-il imposer aux médecins des études en informatique ?

R.N.B.: Bien que l'expérience de Brest a démontré que les étudiants au début étaient intéressés et motivés. Mais l'opération a un peu cafouillé car cela a demandé à l'administration toute une organisation de cours et stages au niveau de l'entreprise et au niveau de l'hôpital, ainsi que la programmation des examens. Mais la finalité a été une réussite grâce à une gestion rigoureuse. Des promotions sont déjà sorties. Est-ce que c'est un bon modèle à suivre ou un mauvais ? Nous ne le savons pas encore. Toujours est-il, c'est intéressant de savoir ce qui se passe ailleurs et se préparer. Cela ne veut pas dire aussi que lorsque nous allons l'implémenter chez nous, il va automatiquement marcher. Nous savons tous que le cerveau humain contextualise une nouvelle donnée. Il faut donc contextualiser une idée nouvelle au contexte local avec toutes les mentalités et toutes les possibilités et préparer l'environnement propice.

Q.O.: L'intelligence artificielle sera-t-elle une menace pour le médecin ou une assistante loyale ?

R.N.B.: Il est préférable que le travail avec l'IA soit un travail complémentaire. Cela veut dire que le médecin doit être assisté par la machine. Il est clair que la machine ne peut pas remplacer le médecin. Pourquoi ? Je vous donne un exemple. La machine a besoin d'entrée de données, d'une part, et d'autre part, le médecin doit traduire le langage du malade en langage médical informatisé. Le malade vient chez le médecin et lui dit, j'ai mal à la tête. Le médecin ne va pas écrire à la machine « j'ai mal à la tête ». Son rôle est de pousser le patient à préciser certains signes et le signe doit être habillé pour distinguer s'il s'agit d'une migraine ou d'une céphalée. Et donc, la sémantique, c'est-à-dire l'art de nommer les choses est très importante. Avec de fausses données, nous ne pouvons rien faire même si la machine est la plus performante et la plus chère au monde.

Q.O.: Comment faire aboutir ce projet dans un secteur aussi sensible que la santé ?

R.N.B.: Il faut commencer par la base. Nous avons un gros problème de saisie. Le personnel chargé de la saisie n'est pas compétent pour nommer les choses. Si le personnel de la saisie n'est pas formé, tous ces efforts ne serviront à rien. Avec la machine, nous devons être clair et précis. Tout l'effort qui doit être fait, doit être axé en premier lieu sur la formation du personnel chargé de la saisie des données. C'est la base. La machine est rigoureuse et précise et n'admet pas les biais. Le médecin peut tuer, peut rendre malade quelqu'un tout comme le magistrat peut faire emprisonner quelqu'un par erreur judiciaire. Il faut, donc, respecter cette précision que l'être humain n'a pas. L'être humain fait des compromis que la machine ne tolère pas. Un médecin formé doit être capable de nommer les choses et de donner à la machine la bonne information. C'est la base avec laquelle, il faut commencer. Le reste est un problème technique.

Nos ingénieurs sont compétents, nous avons de bonnes écoles d'ingénieurs. Maintenant, ceux qui alimentent les logiciels doivent être à la hauteur de ce progrès. Il faut de la compétence et aussi de la rigueur. Chacun dans son domaine précis et chacun dans son métier.

Q.O.: Quel développement pour un secteur aussi sensible que la santé en Algérie et qui peine à s'adapter à toutes les réformes déjà lancées ?

R.N.B.: Il serait maladroit de ma part de me prononcer sur cette question. Pourquoi ?

Je n'ai pas toutes les données sur tout le territoire national. La qualité des médecins est disparate d'un cabinet à un autre, d'une clinique à une autre et d'un hôpital à un autre. Dans un même service, vous avez des médecins compétents et d'autres moins compétents. Une chose est sûre, il faut qu'on rentre dans la tradition des évaluations objectives. Il ne faut plus rester dans les impressions et les jugements sans évaluation et une grille de correction objective. Quand on engage une réforme, elle doit se faire après un bilan et une évaluation préalable. Il faut qu'on apprenne à travailler en parallèle. Je m'explique, il y a ceux qui travaillent et ceux qui exploitent le travail des autres. Analyse, évaluation et étude, on n'a pas le droit de se prononcer. Il faut aussi savoir dire je ne sais pas. Il faut se mettre autour d'une table et poser les problèmes de façon sereine, réfléchie et responsable.