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Le marché du tabac dans tous ses états: Les nouveaux barons de la nicotine

par Houari Barti

Que se passe-t-il sur le marché du tabac en Algérie ? Des fluctuations de prix totalement injustifiées et inexpliquées, des pénuries récurrentes qui touchent en particulier certaines marques de cigarettes, sans parler des écarts de prix appliqués aux consommateurs qui changent d'une ville à une autre et d'un buraliste à un autre, parfois dans un seul et même quartier. En d'autres termes, une «anarchie organisée» qui ne dit pas son nom, mais qui permet pourtant à l'ensemble des éléments de la chaîne depuis le producteur jusqu'aux vendeurs détaillants de trouver leurs comptes, et au passage, aux grossistes de rallonger considérablement leurs marges de bénéfices. Un seul perdant, cependant, le consommateur, contraint de supporter ses «augmentations sauvages» de prix dans un silence assourdissant de la part des producteurs, des institutions chargées de protéger le consommateur de ce genre d'abus et des organismes publics de régulation.

Parlons d'abord de l'organisation générale du circuit de distribution de ce marché juteux qui engendrerait un chiffre d'affaires global de l'ordre de 3 milliards de dollars par an, depuis l'usine de production jusqu'aux petits détaillants.

A Oran, par exemple, on compterait un nombre de grossistes agréés qui se compteraient sur les doigts d'une seule main. Plus bas, on trouve un nombre plus élargi de semi-grossistes et enfin le réseau des buralistes détaillants. En théorie, chaque usine de production dispose au niveau de sa direction commerciale d'un tableau détaillé des prix de ses différents produits depuis leurs sorties d'usine jusqu'au prix public proposé au consommateur. Même les marges de bénéfices consacrées à chaque intervenant au niveau de cette chaîne de distribution sont normalement définies au préalable sur ce document, avec l'obligation, bien évidemment, de veiller à l'application stricte des prix afin de sauvegarder l'équilibre de l'ensemble de la chaîne.

Créer la pénurie, augmenter le prix, maintenir le nouveau prix

Prenons, à titre d'illustration, l'exemple de la marque de cigarettes la plus prisée en Algérie mais aussi la plus chère sur le marché local : la marque Marlboro. Pour ses deux sous-marques les plus consommées, à savoir «Marlboro Red» et «Marlboro Gold», le prix officiel avec lequel elle est proposée aux grossistes est de moins de 3.100 dinars la cartouche de dix en TTC (toutes taxes comprises). A l'autre bout de la chaîne, le prix public proposé au consommateur chez le buraliste est de 330 dinars le paquet. Ceci en théorie. Parce que dans la pratique, le prix de détail n'est jamais en dessous de 350 dinars. Au plus fort de son prix, au mois de janvier dernier, le paquet de cigarette de marque Marlboro a atteint la barre symbolique des 400 dinars.

Si au cours de notre enquête, beaucoup de nos sources pointent du doigt en premier lieu les grossistes et semi-grossistes comme étant les principaux responsables de cette frénésie des prix, avec des marges de prix «autoproclamées» qui dépassent la barre des 10.000 dinars pour chaque carton de 50 cartouches, les commerçants de détail ne sont pas en reste. Profitant de ce dérèglement des prix, les buralistes n'ont pas hésité à leur tour de multiplier leurs marges par deux, voire par trois. Selon nos sources, «les hausses de prix ont commencé à s'opérer depuis que les pouvoirs publics ont contraint les opérateurs à exercer avec des registres de commerce à leurs noms, et non avec des dossiers dits «victimes», c'est-à-dire, des dossiers au nom de tierces personnes». Une normalisation qui induit pour les concernés, le devoir de s'acquitter à chaque fin d'année de sommes importantes auprès des services des impôts. Cette normalisation procédurale servira donc comme prétexte à ces intervenants sur la chaîne de distribution pour augmenter leurs prix afin d'amortir cette perte sèche générée par l'imposition, profitant au passage pour rallonger «outrageusement» leurs marges de bénéfice initial. L'effet domino fera le reste sur l'ensemble de la chaîne donnant lieu aux prix actuels. Pour les mêmes sources, cette démarche visant à augmenter les prix ne s'est pas faite en un seul coup, mais de manière graduelle et élaborée, toujours en dupliquant le même schéma : «créer la pénurie, augmenter le prix, maintenir le nouveau prix».

Ruée sur les distributeurs automatiques de cigarettes

Face à ce dérèglement du marché, beaucoup de fumeurs ont trouvé la parade. Les distributeurs automatiques de cigarettes affichent des prix stables mais surtout plus cléments par rapport aux buralistes. Des différences de prix importantes sont constatées qui peuvent varier selon les marques entre 20 dinars et 40 dinars.

Certaines petites bourses parmi les consommateurs de produits tabagiques optent pour un tout autre choix. Réduire ou carrément stopper ce vice devenu trop coûteux. D'autres, en revanche, se rabattent sur les cigarettes dites de contrebande, nettement plus abordables. Ces marques de cigarette issues de la contrebande ne sont pas vendues sous le manteau comme on pourrait le croire, mais sont exposées en toute impunité sur les étals des buralistes. Une fois introduits clandestinement sur le territoire, ces produits sont intégrés le plus normalement du monde dans la chaîne de distribution légale en passant par les semi-grossistes puis les buralistes pour finir entre les mains du consommateur final. «Les nouveaux barons de la nicotine» comme les a qualifiés ironiquement un consommateur, sont arrivés «à utiliser le système de distribution légale pour leurs activités illégales». Si aucune étude ou statistique officielle n'évoque la part de ces cigarettes de contrebande dans le marché algérien, le site legal-doctrine. com soutient que «le commerce illicite du tabac en Algérie représente 50% des ventes des cigarettes proposées sur le marché». Il affirme même que «L'Algérie est submergée par la contrebande et le trafic de cigarettes, dont certaines marques sont d'origine inconnue», affirme le même site.

La majorité des cigarettes introduites clandestinement proviennent de pays subsahariens comme le Mali et le Niger, mais aussi, selon les informations des douanes, de l'armée et des gardes-frontières, des frontières Est avec la Libye et la Tunisie.