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LES SERUMS ET LES PACOTILLES

par Abdou BENABBOU

Elle est femme de ménage à la fleur de l'âge. Un âge fané et indéfinissable. Le lourd poids de ses ans brouille les traits de son visage, pourtant sans aucune ride mais avec des yeux d'où fuse l'énoncé du drame d'une vie.

Chaque jour que Dieu fait, elle transporte son époux à l'hôpital pour lui vider sa poche d'urostomie. Une histoire de prostate à un stade avancé qui a dégénéré. Et comme la peine ne suffisait pas, elle doit garder à l'esprit les préoccupations sans cesse tambourinantes de sa fille adolescente et malade handicapée. La petite famille s'en est remise à la négative providence faute de ne pouvoir se prendre en charge médicalement, terriblement partagée entre les frais d'analyses poussées et le bout de pain inévitable. La sommation de la faim a eu le dernier mot. L'ignorance s'est, elle aussi, mêlée à un parcours familial chaotique pour que tous les repères de l'existence soient faussés.

Le petit ménage est reclus dans un recoin d'un nid chambardé, mais dont le râle inaudible décortique des facettes humaines qui nous obligent à relativiser le parcours des vies. Elles sont nombreuses ces familles en liens avec les chaînes d'une damnation infinie. Les accommodations quotidiennes que le monde entier a perdues par la foudre de la pandémie d'abord et la crise économique ensuite, doivent nous paraître d'une futilité décapante. Devant le grand malheur des autres, il nous interpelle à bon escient pour une remise en ordre de nos sentiments, nos peurs et nos appréhensions. Il nous recommande la sagesse pour fuir le piège de l'avidité et pour que face aux petits aléas et contretemps du quotidien, nous sommes généreusement gâtés par le sort.

Le drame de nombreux de nos semblables, quand il saisit nos consciences, nous enseigne avec force ce qu'est la vie et que les petites nécessités qui manquent à nos jours ne sont pas des sérums mais des pacotilles.