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Conseil ministériel de la Ligue arabe: De l'ingérence turque et des rappels à l'ordre

par R. N.

Les ministres arabes des affaires étrangères se sont braqués sur la Turquie pour lui reprocher ses ingérences contre lesquelles ils ont consacré la quasi-totalité de la résolution qui a clos les travaux de leur session ordinaire du Conseil ministériel de la Ligue arabe.

Réunis dans ce cadre jeudi au Caire, les MAE arabes devaient plancher sur un ordre du jour assez pertinent pour une Ligue qui a souvent évité de soutenir ses Etats membres qui sont déstabilisés par des conflits provoqués tous par des ingérences étrangères occidentales fortement encouragés par une servilité odieuse de certains Etats arabes. Des pays qu'elle semble avoir oublié comme la Syrie, l'Irak, le Yémen, le Liban, le Soudan... Ces dernières années, elle a même abandonné la cause palestinienne parce que certains de ses membres ont fait de l'entité sioniste leur allié officiel. Ce dernier point n'a jamais obligé ses responsables à programmer une réunion extraordinaire et d'urgence pour les rappeler à l'ordre conformément à ces statuts et ses principes. Jeudi, les Arabes devaient se secouer et faire un effort pour examiner des situations graves et dangereuses qui secouent le Moyen-Orient et le Maghreb, l'Afrique du Nord dans sa totalité. Sur la table des travaux du Caire, "un ordre du jour qui comprend nombre de questions politiques de l'heure, en tête desquelles les derniers développements de la cause palestinienne et dans nombre de pays arabes à l'instar de la Syrie, de la Libye et du Yémen, la lutte contre le terrorisme, ainsi que les efforts visant à faire du Moyen-Orient une région exempte d'armes de destruction massive". Des diplomates affirment qu' «on sent dans cet ordre du jour la touche de Ramtane Lamamra qui durant son long parcours de diplomate ne s'est jamais détaché de la défense des causes justes ». D'ailleurs il a fait d'une pierre deux coups, en réitérant son soutien indéfectible en premier à la Palestine occupée et en reprochant son délaissement par les Etats arabes. Il l'a fait dans une interview qu'il a accordé hier à un média étranger en soutenant que «le droit à l'autodétermination du peuple palestinien vient en tête des priorités, d'autant plus qu'il faudra aussitôt surmonter la faible position arabe vis-à-vis de cette question pour pouvoir retrouver la faculté d'influer sur le déroulement des choses".

Quand les Arabes se perdent en conjectures

Lamamra a notamment souligné que « l'initiative arabe de paix (1982 ndlr) était le dernier engagement politique et dernier ralliement arabe à une idée objective et positive, sa relance signifie la réorganisation de l'initiative en la plaçant en tête des priorités ».

Si pour cette fois, les Arabes ont accepté de mettre la question palestinienne sur leur table, ce n'est pas pour prendre des décisions tranchantes vis-à-vis de l'entité sioniste mais juste rappeler que « le peuple palestinien mérite plus de soutien ». Aux dernières nouvelles en provenance du Caire après la baisse de rideau sur la réunion ministérielle, le conflit au Yémen n'a pas été abordé au regard bien sûr de son embourbement dans une guerre qui oppose les Houtihs à la coalition arabe menée par l'Arabie Saoudite. Le Liban qui vit une grave instabilité politique, économique et sociale n'était pas inscrit à l'ordre du jour. La Libye a bénéficié d'un chapitre de leurs discussions pour rappeler la nécessité de permettre aux Libyens de tenir leurs élections générales le 24 décembre prochain.

Mais ce qui est très curieux, c'est que dans une résolution adoptée à la fin des travaux, le Conseil ministériel a rédigé sous le chapitre «affaires arabes et sécurité », 9 points dont 8 dénoncent et condamnent « les ingérences turques dans les affaires internes des Etats arabes ». Au regard de plusieurs résolutions prises en 2019 et 2020, «aux interventions des ministres(...) et du secrétaire général de la Ligue », le Conseil a décidé «(....), d'exhorter les Etats membres à exiger de la partie turque de ne pas s'ingérer dans les affaires internes des pays arabes et de mettre un terme aux actes provocateurs dont l'objectif est de menacer la sécurité et la stabilité de la région ». Ils rejettent et condamnent «l'intervention militaire turque en Libye, son envoi de combattants étrangers dans les territoires libyens et ses violations répétitives des résolutions interdisant l'envoi des armes en Libye », en considérant que ceci représente « une menace directe à la sécurité arabe, à la sécurité et à la paix dans le monde et une violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité onusien ». Ils citent la Syrie mais pour condamner « condamnation des attaques turques contre les territoires syriens en violation de la charte des nations unies notamment la résolution 2254 exigeant la préservation de l'unité de la Syrie et de son indépendance » tout autant que « la présence turque dans les territoires d'un certain nombre de pays arabes ».

Une longue résolution arabe contre la Turquie

Les MAE arabes exhortent Ankara à « mettre un terme au soutien des groupes et milices extrémistes dans les pays arabes », à «leur accueil sur son sol et son financement permanent à des tribunes médiatiques qui incitent à la violence pour déstabiliser les pays arabes », soutiennent « la 3ème réunion de la commission ministérielle arabe pour suivre les ingérences turques dans les pays arabes(...) »,décident de « renforcer les efforts diplomatiques entre les pays arabes membres et les Etats et Organisations régionales et internationales pour les éclairer sur les actes hostiles de la Turquie envers certains pays arabes».

Lamamra a formulés ces accusations autrement, en ne citant pas nommément la Turquie mais en mettant l'accent sur les deux principes intangibles de l'Algérie « la non ingérence dans les affaires internes des Etats et le respect de leur souveraineté, le respect des règles de la légalité internationale, la nécessité d'un dialogue constructif entre les Etats arabes et les pays du voisinage qui appartiennent à la civilisation arabe et musulmane(...), le soutien aux causes arabes légitimes à leur tête la cause palestinienne ». Un point sur lequel la république fédérale de Somalie a émis des réserves tout autant que l'Etat du Qatar qui, lui, les justifie en mettant la notion de «deux poids deux mesures ».

A moins que la presse nationale n'en a pas été destinataire jusqu'à hier, aucun communiqué du Caire n'a évoqué clairement la Syrie et le Yémen.. Encore moins prévoir des décisions qui dénonceraient les ingérences et les guerres arabes menées dans des pays... arabes.

Par la voix de son ministère des affaires étrangères, la Turquie a répondu vendredi à ce qu'elle considère La Turquie répond aux MAE arabes

Par le biais de son ministère des affaires étrangères, Ankara a répondu vendredi à toutes les condamnations retenues contre elle par le Conseil ministériel de la Ligue arabe. «Nous rejetons totalement les allégations non fondées contre notre pays », a-t-il dit, affirmant qu'« il est connu que ces accusations stéréotypées contre la Turquie par certains membres de la Ligue arabe n'ont aucune importance chez les peuples arabes amis ». Ankara a ajouté que « l'obstination sur ces positions qui n'ont aucun intérêt pour personne, ne cadrent avec les avancées enregistrées récemment dans la région ». Et a noté que « certains membres ont émis des réserves sur ces décisions, mais de part sa ferme position de principe, Ankara vient en tête des pays qui déploient d'importants efforts pour la préservation de la souveraineté des Etats arabes et l'intégrité de leurs territoires et leur indépendance ». Le communiqué conclut que « la remise en cause par ces décisions du conseil du combat que la Turquie mène contre les menaces qui pèsent sur sa sécurité et ses intérêts dans le cadre du droit international, est rejeté par Ankara qui exhorte la ligue arabe a se départir de ces méthodes non honorables et à se consacrer à la préservation de la paix et de l épanouissement des peuples arabes ».