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Le prochain printemps de l’IA

par James Manyika1 et Jacques Bughin2

LONDRES - L’intelligence artificielle (IA) est omniprésente et suscite l’enthousiasme quant à la façon dont elle pourrait accroître la prospérité et transformer notre vie de bien des manières. Pourtant la technologie risque également d’être perturbatrice. Les décideurs et les entreprises doivent donc tenter de saisir la pleine valeur de ce que l’IA a à nous offrir, tout en évitant les risques de détérioration.

L’idée de l’IA existe depuis plus d’un demi-siècle et nous savons combien ses périodes précédentes, ont suscité successivement l’excitation et de plus longues déceptions - « des hivers de l’IA » - lorsque la technologie n’a pas tenu les promesses de sa réputation. Mais les progrès récents dans les algorithmes et les techniques de l’IA, combinés à une augmentation massive de la puissance de calcul et à une explosion de la quantité de données disponibles, a entraîné des progrès considérables et tangibles, promettant de créer de la valeur pour les particuliers, les entreprises et la société dans son ensemble.

Les entreprises travaillent déjà à l’application de techniques d’IA dans les ventes et le marketing pour faire des recommandations de produits personnalisées à chaque client. Dans l’industrie, l’IA améliore la maintenance prédictive par l’application de « l’apprentissage en profondeur » pour de gros volumes de données tirés de capteurs. En déployant des algorithmes pour détecter les anomalies, les entreprises peuvent réduire le temps d’immobilisation des machines et du matériel - des moteurs à réaction aux chaînes de montage. Notre recherche a mis en évidence des centaines de dossiers de ce type qui, ensemble, ont le potentiel de créer entre 3,5 mille milliards de dollars et 5,8 mille milliards de dollars de valeur par an.

L’AI a peut également contribuer à la croissance économique en augmentant et en substituant la dépense de travail et l’apport en capital, en stimulant l’innovation et en relançant la création de richesses et de réinvestissements. (L’AI va également créer certains effets externes et coûts de transition négatifs, mais ils seront compensés par ses avantages.)

Nous estimons que l’IA et l’analyse pourraient ajouter jusqu’à 13 mille milliards de dollars à la production totale d’ici 2030, soit une augmentation du taux annuel de croissance du PIB mondial de plus d’un point de pourcentage. En outre, notre recherche suggère que l’AI va avoir les plus grands avantages si elle est axée sur une croissance impulsée par l’innovation et si sa diffusion s’accompagne de mesures de gestion proactives - en particulier, la reconversion professionnelle des travailleurs pour leur fournir les compétences nécessaires afin de prospérer dans l’ère nouvelle.

Comme l’IA contribue à une croissance plus rapide du PIB, le bien-être social est également susceptible d’augmenter. Nous estimons que l’IA et les technologies connexes pourraient améliorer le bien-être en 0,5 à 1 % par an entre aujourd’hui et 2030. Ceci devrait être semblable à l’impact social des vagues précédentes d’adoption de la technologie, en particulier à la révolution des technologies de l’information et de la communication.

L’AI pourrait aider à améliorer de nombreux aspects du bien-être, allant de la sécurité de l’emploi et du niveau de vie matériel, à l’éducation et à la viabilité écologique. Sa meilleure contribution au bien-être pourrait avoir lieu dans les domaines de la santé et de la longévité : la découverte de médicaments menée par l’IA est beaucoup plus rapide que celle fondée sur la recherche conventionnelle. En outre, la gestion du trafic fondée sur l’IA peut réduire l’impact négatif de la pollution atmosphérique sur la santé de 3 à 15 %.

L’un des aspects les plus passionnants de l’IA est son potentiel pour aider à traiter une large gamme de défis sociaux. Bien que la technologie ne soit pas une panacée, elle pourrait potentiellement aider le monde à relever l’ensemble des 17 Objectifs de Développement Durable de l’Organisation des Nations Unies. Certaines applications de l’IA actuellement testées sur le terrain comprennent l’aide aux secours en cas de catastrophe, la traque des passeurs (notamment les trafiquants) et l’aide aux personnes aveugles pour naviguer dans leur environnement. Un système de détection des maladies par l’IA est capable d’identifier le cancer de la peau aussi bien voire même mieux que des dermatologues professionnels.

Mais malgré tout son potentiel, l’IA pose également d’importants défis qui doivent être relevés. Les technologies elles-mêmes en sont encore à leurs premiers stades de développement et davantage de percées technologiques seront nécessaires avant de les rendre applicables à grande échelle. Par ailleurs, il existe des problèmes considérables de disponibilité des données, qui à leur tour influent sur la qualité des modèles de l’IA.

L’un des principaux sujets de préoccupation est l’impact de l’IA et de l’automatisation sur le travail. Dans l’ensemble, nous nous attendons à ce qu’il y ait assez de travail pour tout le monde et à ce qu’il y ait davantage d’emplois acquis que perdus en raison des nouvelles technologies. Mais les décideurs devront gérer des transitions et des défis importants découlant de l’adoption l’IA au niveau national, régional et local.

Dans le scénario de l’adoption de l’automatisation la plus rapide, jusqu’à 375 millions de travailleurs dans le monde devront changer de catégorie professionnelle d’ici 2030, alors que quelques 75 millions seront affectés à dans un scénario moyen. La nature de presque tous les emplois va changer, puisque les gens vont interagir plus étroitement avec les machines intelligentes sur le lieu de travail. Cela va nécessiter de nouvelles compétences, qui vont poser aux entreprises et aux décideurs politiques le défi majeur de la formation et de la reconversion professionnelle de la main-d’œuvre à l’échelle. À mesure que la demande d’emplois hautement qualifiés va augmenter, les travailleurs peu qualifiés pourraient être laissés pour compte, ce qui pourrait entraîner une augmentation des inégalités des salaires et des revenus.

La diffusion de l’IA va également soulever d’épineuses questions éthiques. Certaines d’entre elles découleront de l’usage et des abus potentiels de la technologie dans le domaine des applications de surveillance et dans celui des applications militaires, sans oublier celui des médias et de la politique. Les algorithmes et les données utilisés pour les former risquent d’introduire de nouvelles distorsions, ou de perpétuer et d’institutionnaliser des types existants. D’autres préoccupations importantes comprennent la confidentialité des données et l’utilisation des renseignements personnels, la cybersécurité et les trucages vidéo « deep fake » qui pourraient être utilisés pour manipuler des résultats électoraux ou pour commettre des fraudes à grande échelle.

Malgré ces défis, l’IA peut générer une immense valeur pour nous tous, si les décideurs et les entreprises agissent rapidement et intelligemment pour en saisir tous les avantages et pour en atténuer les risques inévitables. Le « printemps de l’IA » tant attendu va peut-être enfin arriver, mais nous devons être prêts à en gérer les débuts avec attention.

1- président du McKinsey Global Institute et associé principal au Bureau de San Francisco de McKinsey & Company
2- directeur du McKinsey Global Institute et associé principal de McKinsey basé à Bruxelles