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L’égalité des sexes propulsée par les données

par Gabriela Ramos1 et Mario Pezzini2

PARIS - Au rythme actuel du progrès, il faudra plus de 200 ans pour atteindre l’égalité des sexes et réaliser le potentiel des femmes au travail. Dans beaucoup de pays, les jeunes filles sont encore obligées de se marier très jeunes, ce qui limite leurs perspectives d’accès à l’éducation et à un emploi. Ainsi, au Niger, en 2016, 76 % des jeunes filles âgées de 15 à 19 étaient déjà mariées, ce qui explique en partie pourquoi 73 % des jeunes filles en âge de commencer le programme d’enseignement secondaire ne vont pas à l’école. Le travail juvénile est aussi très courant et dans le monde entier presque un tiers des femmes estiment que la violence au foyer est une punition justifiable dans certaines circonstances, comme le fait d’avoir brûlé le repas.

Que dire des valeurs d’une société qui juge plus acceptable qu’une femme se fasse battre qu’un repas soit gâché ?

Or, certains cadres juridiques proclament de telles valeurs. Aujourd’hui, dans dix pays le viol conjugal est encore permis, et neuf autres permettent aux violeurs d’échapper à une condamnation en mariant leurs victimes. Et, pour beaucoup d’autres femmes, de telles valeurs orientent les arrangements sociaux qui les privent de possibilités. Autour du monde, l’absence de congé de maternité, de service de garde d’enfants ou de politiques facilitant l’emploi des mères les empêche de participer à l’économie officielle. Même lorsque les femmes parviennent à mener une carrière, elles doivent toujours assumer les trois quarts des responsabilités au foyer.

Il est clair qu’un monde plus égalitaire, qui intègre les femmes au monde du travail nécessitera des changements d’envergure : dans les perceptions, les attitudes, les stéréotypes et les lois. La promotion de tels changements est justifiée non seulement pour des raisons morales, mais aussi sur le plan économique. Selon nos estimations, si les pays faisaient disparaître la discrimination sexuelle et facilitaient l’accès des femmes à l’éducation et au travail, le PIB mondial augmenterait de 6 000 milliards de $ pour la prochaine décennie. Malgré le fait que le dossier pour le changement soit fort solide, les pays éprouvent souvent des difficultés à mettre en œuvre des politiques favorisant l’égalité des sexes qui sont fondées sur des données probantes.

Pour combler cette lacune, l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) a mis au point en 2019 l’indice Institutions sociales et égalité homme-femme comportant des données de 180 pays. Jumelé au simulateur des politiques visant l’égalité des sexes, ces deux outils lancés cette année permettent aux instances nationales d’évaluer le degré d’inclusivité des politiques, de cerner les possibilités d’amélioration et de faire le bilan des programmes mis en œuvre.

Les données ont déjà donné des indications importantes. Prenons l’Allemagne. Même si le pays est bien placé dans les indices d’égalité des sexes, le simulateur montre qu’il pourrait figurer dans les dix premiers par un changement relativement simple : en instituant dans la loi l’égalité des salaires pour des emplois similaires. L’absence d’une telle exigence coûte à l’Allemagne l’équivalent de 1 % du PIB, selon les estimations calculées dans la dernière parution des Perspectives économiques de l’OCDE.

Au Chili, le fait d’accorder aux épouses les mêmes droits de propriété que leurs époux pourrait augmenter l’investissement total de 1 %. Au Vietnam, faciliter l’accès des femmes aux mêmes perspectives de carrière que celles des hommes augmenterait de 1 %, le taux de participation à la main-d’œuvre.

Dans bien des pays, seules les mères ont droit à un congé parental. Mais ceci renforce la perception que le travail domestique non payé doit être effectué par les femmes, ce qui finit par fausser le partage des tâches domestiques. Les femmes au Pakistan et en Inde passent, en moyenne, dix fois plus de temps que les hommes sur les travaux ménagers, ce qui se traduit par un manque de temps pour entreprendre des activités liées au marché, étudier ou simplement se détendre. Et cette tendance n’est pas unique à l’Asie du Sud.

Comment donc les États peuvent-ils utiliser le simulateur pour faire évoluer les lois et promouvoir l’égalité des sexes ? La meilleure façon est d’apprendre des expériences des autres. En Afrique du Sud, la loi sur la reconnaissance des mariages coutumiers de 1998 et la loi sur l’Union civile de 2006 ont pratiquement éliminé les mariages forcés et les mariages d’enfant. Au Liberia, une loi a été promulguée en 2015 donnant droit aux femmes de recevoir un salaire égal pour un travail égal. En 2000, l’Éthiopie a abrogé la législation réservant aux hommes le droit d’administrer les biens familiaux. En 2015, la Bulgarie a aboli les métiers réservés aux hommes. Et en 2002, la Suède a cherché à aider à équilibrer les responsabilités de la garde des enfants entre les parents en faisant passer la portion paternelle de la loi sur le congé parental d’un à deux mois.

Les données et la planification ont rendu possibles ces initiatives et les nouveaux jeux de données de l’OCDE sont conçus pour aider d’autres pays à poursuivre cette démarche. Armées de données, les instances nationales peuvent transformer la rhétorique de l’égalité des sexes et de l’autonomisation en interventions porteuses. En dernier ressort, de telles interventions aideront à créer des environnements d’égalité entre les femmes et les hommes et à construire des sociétés durables, respectueuses et pacifiques pour tous. Nous disposons désormais des données pour aider les femmes à réaliser leur potentiel – et constater ce qui arrive lorsque nous ne le faisons pas.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
1- directrice de cabinet de l’OCDE, sherpa aux sommets G7 et G20 et responsable de la stratégie fondée sur l’égalité des sexes de l’OCDE
2- directeur du centre de développement de l’OCDE et conseiller spécial au secrétaire général de l’OCDE pour le développement