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Le règne s'écroule

par El Yazid Dib

Saïd, Toufik, Tartag. Quand le tronc est déraciné, les branches mourront par effet de moisissure ou par léger arrachage. Des noms honnis après avoir tant concurrencé les cieux et effrayé les rues, les étages, les sous-sols. Il y a à peine quelques années, quelques mois, presque personne n'osait laisser de liberté à ses méninges d'aller effleurer un tel scenario. Ils ont été arrêtés, dit-on. Qui ? Ceux qui faisaient changer le hasard et domestiquaient les résistances. Ils défiaient les dieux et pervertissaient les pieux en angélisant les démons, les crapules et les sans-honneurs. Vingt ans de règne sans partage ont suffi au pays de se partager, de se diviser. Ce pays n'était plus une nation, mais une royauté habillée d'une jupe républicaine offerte pieds levés, mains liées aux maitres de céans. Vingt ans ont façonné un mode de vie où l'aplaventrisme était devenu du pur nationalisme, une vertu révolutionnaire. Le maitre, sa fratrie, leurs bras droit, gauche et du centre-milieu ont émasculé ceux qui prétendaient que la virilité n'était qu'une légende ancestrale et qu'elle devait s'exprimer envers ceux qui nous ont sauvés, réinventés, unis et réconciliés.

Qui aurait pensé que celui qui était «l'Etat algérien», qui incarnait «le peuple algérien» et que les généraux ne pouvaient le bouffer» allait finir ainsi ? Que celui qui lui avait remis le quart présidentiel lui manquant allait finir chez ses propres services ? Que celui qui l'avait clandestinement remplacé, une fois qu'il l'avait fait asseoir sur un fauteuil roulant, prenait comme un jockey le sceau de l'Etat pour en faire une estampille d'accès à l'enfer ou au paradis et allait connaitre la fin d'un malfrat ?

Le leurre créé en 1999 a été cru comme une vérité scientifique. Boumediene, du moins son souvenir, était exhumé, la dignité nationale, le son au concert international, le rappel d'épopée, le Mali, cheikh Ghaffour, le tout afin d'illusionner les candides et servir le projet fatal de domination totale. L'organisation qui allait naitre sous les différents mandats devait être portée par des piliers solides puisés dans l'infini génie de Rab Dzaier. Sans égard à la véracité des faits ou des déclarations des uns et des autres; la verité ne sera jamais dite par l'un ou l'autre. Chacun avait son flot d'accusations et de compromissions, chacun avait son lot de mérite. Toufik et Tartag resteront des patriotes, sans doute jusqu'à la difficile preuve contraire. Contrairement à l'autre, le chapeau, le boss, le Raspoutine. L'essentiel est cependant dans la cause du 22 février. Qui a fait sortir ce brave peuple que l'on croyait mort à jamais ? Ce ne sont certainement pas ces deux gars. Mais les membres du clan, leurs assimilés et ceux que l'on a recrutés ces dernières années par défaut d'existence de personnalités crédibles. Ils sont nombreux à avoir fait leur obédience espérant qu'un regard du p'tit prince leur soit jeté. On avait besoin d'un ministre à l'intérieur qui puisse avoir un œil loyal et une main agile sur des listes noires, blanches ou roses; on l'a trouvé craquant ses phalanges dans la salle d'attente. Saïd a réussi à détruire les grands rêves du peuple pour agrandir les poches, les rangs, les cases de ses acolytes, ceux qui lui témoignent aveuglement allégeance et amour, ce sont les plus dangereux, car ils s'ingénient dans l'application de la théorie de Lavoisier. Le caméléonage. Pour preuve, les voilà déjà alignés en plein garde-à-vous.

Le règne qui a permis à certains de bâtir des empires, au moment où la multitude crève la dalle, vient de connaitre son épilogue. Il s'écroule comme une chaumière de foin, comme un château fantôme de cartes traficotées. Il a commencé à s'effriter quand les « lettres de fakhamtouhou» n'arrivaient plus à destination et le «cadre» perdait son chevalet et son piédestal. L'état-major est en phase audacieuse de nettoyer les écuries d'Augias, mais ça sent encore le roussi, l'argent sale. Il subsiste encore sous des oreillers et des lauriers l'odeur fétide qu'ils ont manufacturée. De même chez les zélés tâcherons qui sans scrupules auraient l'aubaine de recommencer l'œuvre pour rebâtir un autre empire sur les ruines de l'autre. A suivre.