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France : un premier Mai très tendu

par Paris : Pierre Morville

  Après six mois de mobilisation sociale en France, notamment à travers les initiatives des «Gilets jaunes», des manifestations tous les samedis dans un grand nombre de villes françaises, le rendez-vous traditionnel du 1er Mai à l'appel des organisations syndicales était particulièrement porté à l'attention tout d'abord des manifestants rassemblés, des syndicats, du mouvement des «Gilets jaunes», mais aussi à l'examen du gouvernement, des pouvoirs publics territoriaux et bien sûr de la police.

A la mi-journée, la très grande majorité des manifestations en province se sont déroulées dans le calme, les défilés manifestant surtout une réelle bonne humeur dans un climat très printanier. A Paris, le mouvement radical des Black Block a dès le début des rassemblements, organisé des incidents violents avec la police. Il est fort possible que les affrontements perdurent dans l'après-midi, à l'issue des rassemblements sur la place d'Italie, troubles qui pourraient éventuellement se poursuivre dans la soirée de ce mercredi 1er mai.

Il est vrai que la grogne sociale générale persiste, basée essentiellement sur les baisses du pouvoir d'achat pour de nombreuses catégories de Français, le maintien d'un fort taux de chômage (autour de 9%, après une légère baisse), l'accélération des disparités régionales entre les métropoles de plus en plus riches et des zones rurales ou de petites villes de la France profonde, de plus en plus pauvres. D'autres mouvements sociaux se préparent, notamment dans le milieu des retraités qui connaissent une sévère baisse du pouvoir d'achat et dans tout le monde de la santé publique.

Mais la contestation est également très politique. Les manifestants réclament une plus grande participation des citoyens aux décisions gouvernementales : c'est l'exigence de référendums à l'initiative de la société civile. Plus généralement, le style très autoritaire du nouveau président agace. Certes, il est jeune, il est beau, il parle très bien mais il est loin d'avoir toujours raison et son dogmatisme autoritaire et suffisant agace de façon croissante beaucoup de Français.

L'attitude d'Emmanuel Macron ne manque pas d'interroger. Après six mois de contestation sociale, généralisée dans toute la société française, la position du gouvernement s'est réduite à une seule position : on ne cède rien, rien et rien du tout. Et on réprime dur les manifestations de protestation.

Certes, le jeudi 25 avril lors d'une longue conférence de presse, l'intransigeant président a ouvert quelques, encore très imprécises, éventuelles mesures d'apaisement : une possible baisse de l'impôt sur le revenu des classes moyennes (non chiffrée) ; mais on ne touche aucunement à la suppression de l'impôt très contesté sur les grandes fortunes (ISF). Pas de référendum mais une discussion promise «plus partagée» avec les citoyens ; une réforme de la haute fonction publique avec la promesse d'une réforme de la sacro-sainte ENA, l'Ecole Normale d'Administration, d'où sortent tous les hauts fonctionnaires (comme le jeune Emmanuel Macron) dont beaucoup deviennent les dirigeants des plus importantes entreprises privées françaises.

Macron en difficulté

Mais la crise qu'affronte Emmanuel Macron est également politique. Il y a deux ans, le jeune président bien élu avait, par cette curieuse coïncidence entre élection présidentielle, immédiatement suivie par les élections parlementaires, bénéficié d'une très forte majorité à l'Assemblée nationale. Au résultat également, un très fort affaiblissement de la droite traditionnelle et la quasi-disparition de la gauche, à l'exception peut-être de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon qui sauve 17 députés sur les plus de 550 que compte la chambre parlementaire. Le nouveau gouvernement a par ailleurs également gentiment expliqué aux organisations syndicales qu'il ne souhaitait plus réellement discuter avec elles. Bref, Macron avait tous les pouvoirs et plus d'opposition politique en face de lui.

Mais en France, dans ce vieux pays protestataire, la contestation fait partie des traditions extrêmement respectées. Les partis d'opposition très marginalisés ? Les syndicats réellement minorés ? Et bien, cela a fait surgir le mouvement des «Gilets jaunes», spontané, très en colère, bien organisé localement mais sans représentants nationaux. Pas facile de négocier avec eux. D'autant que le gouvernement français avait parié sur une colère brève et sans succès des «Gilets jaunes», qui aurait dû, selon les experts gouvernementaux, s'arrêter dès la fin 2018. Donc, les mêmes ont préconisé aucune négociation, aucun compromis. Pas de pot ! Le mouvement dure et s'étend et peut continuer encore quelques mois et trouver le relais avec d'autres mouvements naissants comme celui des retraités, des personnels de santé, des personnels de la fonction publique...

Autres difficultés pour Emmanuel Macron, celles-ci sur le plan politique. Les députés macroniens qui venaient autant de la droite et de la gauche traditionnelle, mais aussi pour certains, de la société civile, semblent un peu, beaucoup embêtés par les incohérences gouvernementales. Les oppositions de droite comme de gauche, bien qu'affaiblies, se réveillent. Les sondages ne sont pas bons : seulement entre 21 et 24% des Français jugent aujourd'hui cohérente et éventuellement efficace la politique gouvernementale. Plusieurs ministres ont démissionné.

Et à la fin du mois de mai se déroulent les élections européennes sur un fond très partagé par les électeurs français (et européens) d'euroscepticisme. La France, si elle entretient aujourd'hui avec l'Allemagne des rapports ponctuellement très tendus, reste, après le départ du Royaume-Uni, la seconde puissance européenne. Mais si aux prochaines élections européennes, le Rassemblement National d'extrême-droite de Marine Le Pen arrive comme l'indiquent les sondages actuels, en tête des listes de la représentation française, le statut de la puissance française en Europe va connaître une sale période.

Le 1er Mai, fête du muguet

Et tout cela arrive le 1er Mai, la «fête du Travail» tire ses origines dans l'histoire du monde ouvrier. Le point de départ est le samedi 1er mai 1886. Ce jour-là, à Chicago, un mouvement revendicatif pour la journée de 8 heures est lancé par les syndicats américains, alors en plein développement. Une grève, suivie par 400 000 salariés paralyse de nombreuses usines. La date du 1er mai n'est pas choisie au hasard : il s'agit du « moving day », le jour où traditionnellement les entreprises américaines réalisent les calculs de leur année comptable. Le mouvement se poursuit et le 4 mai, lors d'une manifestation, une bombe est jetée sur les policiers qui ripostent. Bilan : une dizaine de morts, dont 7 policiers. S'en suivra la condamnation à mort de cinq anarchistes.

Trois ans plus tard, le congrès de la IIe Internationale socialiste réuni à Paris pour le centenaire de la Révolution française, décide de faire du 1er mai une « Journée internationale des travailleurs » avec pour objectif, d'imposer la journée de huit heures. Cette date fut choisie en mémoire du mouvement du 1er mai 1886 de Chicago. Dès 1890, les manifestants arborent un triangle rouge symbolisant leur triple revendication : 8 heures de travail, 8 heures de sommeil, 8 heures de loisirs. Cette marque est progressivement remplacée par une fleur d'églantine, en 1891, lorsqu'une manifestation à Fourmies, dans le nord de la France, dégénère, les forces de l'ordre tirant sur la foule. Ce jour-là, une jeune femme portant une églantine est tuée. Cette fleur devient le symbole du 1er Mai (le muguet ne reviendra que plus tard).

Pourquoi le 1er Mai est la fête du muguet ? Il semble que le muguet aussi appelé lys des vallées, une plante originaire du Japon, soit présent en Europe depuis le Moyen-Age. La plante à clochettes a toujours symbolisé le printemps et les Celtes lui accordaient des vertus porte-bonheur. Le 1er mai 1561, le roi Charles IX officialisa les choses : ayant reçu à cette date un brin de muguet en guise de porte-bonheur, il décida d'en offrir chaque année aux dames de la cour. La tradition était née.

La fleur est aussi celle des rencontres amoureuses. Longtemps, furent organisés en Europe des « bals du muguet». C'était d'ailleurs l'un des seuls bals de l'année où les parents n'avaient pas droit de cité. Ce jour-là, les jeunes filles s'habillaient de blanc et les garçons ornaient leur boutonnière d'un brin de muguet. A Paris, au début du siècle, les couturiers en offrent trois brins aux ouvrières et petites mains. Mais il faut attendre 1976 pour qu'il soit associé à la fête du 1er Mai. Sur la boutonnière des manifestants, il remplace alors l'églantine et le triangle rouge qui symbolisait la réclamation de 1890, d'une division de la journée en trois parties égales de 8 heures : travail, sommeil, loisirs. Si l'on compte les temps de transports et de contraintes administratives, on n'y ait, en 2019, pas encore arrivé !