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Crise politique: Le changement réel en veille !

par Ghania Oukazi

  Pendant que le chef d'état-major de l'ANP s'active à prendre une avance rassurante pour renforcer son autorité sur le pays, l'intronisation du nouveau secrétaire général du FLN vient rappeler désespérément à la conscience populaire que l'Algérie n'est pas prête à se réformer.

L'arrivée de Mohamed Djemai à la tête du FLN n'a pas dérogé à la règle de l'urne de l'ombre, des rappels à l'ordre, des intimidations, de l'exclusion, de la marginalisation, du choix imposé sur instruction «d'en haut», d'un resserrement des rangs par opportunisme et par allégeance au plus fort et autres, du discours de jeunes sur un ton de vieux fortement imprégné de la langue de bois et d'un ralliement absurde au pouvoir en place. Tout y est pour que le changement se fasse par une continuité bête et méchante. Les réflexes ont la peau dure. D'une réunion d'un comité central où tous les moyens étaient bons pour se frayer une place de courtisan, le FLN a orienté un conglomérat nettoyé des voix qui braillaient pour se renforcer par les plus dociles. Le huis clos devait être de mise pour que le énième holdup «scientifique» du parti puisse être opéré. Ce qui n'a pas empêché des voix dissidentes de s'élever pour crier encore une fois «au loup» et à la confiscation du parti par une alliance bien rodée entre l'argent et la politique. L'homme d'affaires au long passé dans les arcanes du pouvoir, est devenu SG par la force de l'ombre instruite par un clair obscur aveuglant.

Il faut reconnaître que le FLN a toujours fonctionné ainsi, avec cette fougue indisciplinée qui use de ses mains et de ses pieds dans des batailles rangées de frères-ennemis au sein d'une même instance pour, quelques temps après, retrouver subitement le calme par lequel l'ordre venu «d'en haut» met fin au désordre. Ce n'est pas la première fois que le FLN s'adonne à un spectacle d'insultes et d'injures d'une manière «démocratique.»

Tag aala man tag

Abdelaziz Belkhadem alors SG du FLN avait été interrogé sur le pourquoi du recours à des comportements aussi débridés et dévoyés au sein d'un parti «nationaliste» qui, lui seul, possède la caractéristique de faire côtoyer différents courants en son sein, «ce sont tous des signes de vitalité politique et de démocratie absolue», avait-il répondu. Si la pratique de la démocratie diffère selon l'histoire, les traditions, les valeurs, les religions et les spécificités des peuples, des nations et des pays, à peine à son évocation en Algérie, elle signifie le terrifiant adage «tag aala man tag (le plus fort l'emporte).» Jusqu'à aujourd'hui, un grand nombre d'Algériens avec à leur tête les castes dites d'intellectuels, rendent hommage à l'armée pour, disent-il «avoir débarrassé le pays de Abdelaziz Bouteflika». D'autres veulent avancer et demandent «une synthèse» de ce qui s'est passé depuis le 2 avril dernier, date de la démission du président de la République, à aujourd'hui, un mois après, sans oublier d'inclure dans la requête souhaitée les 11 vendredis du «hirak». Aux nombreuses revendications du mouvement populaire, le chef d'état-major de l'ANP en a répondu à peine à quelques-unes. Ceci, en retenant que celles qui reviennent à chaque marche, à l'exemple de «trouhou gaa» ou «départ des B»- peu importe leur nombre-, butent contre un non-sens au regard d'un pays qui semble réellement perdre pied. S'il a voulu gagner du temps en habituant l'opinion publique à l'attendre chaque fin de semaine pour en jauger les nouvelles idées -ceci, s'il en a-, Gaïd Salah a préféré mettre en évidence son constat sur des forces agissantes qu'il semble seul à en connaître la puissance et le positionnement. Une synthèse de ce qu'a dit le chef d'état-major à ce jour est de prime abord simple à faire. D'un côté, lui à la tête de l'armée, et d'un autre Toufik l'ex-DRS puisqu'il l'a désigné nommément, avec ses clans et réseaux internes et externes. Les preuves «réelles» du complot et des tentatives de déstabilisation du pays sur lesquelles il insiste, Gaïd Salah est le seul à les détenir. C'est probablement pour cela que la justice à commencé à faire tomber certaines têtes et pas d'autres. Les limogeages auxquels procède depuis quelques jours le chef de l'Etat sont aussi un signe évident de nettoiement d'espaces dont le poids sur la récupération de pouvoirs par l'état-major militaire pèse lourdement.

Le mois de la dormance

Jamais Abdelkader Bensalah n'a été aussi soumis à instruction pour provoquer des changements quasi inédits dans son cas de chef d'Etat pour seulement 90 jours. A voir les nouveaux-vieux visages qui sont affectés ici et là pour (re) prendre la main, l'on pense que les choses vont vite alors que réellement le pays fait du surplace. La crise politique est intacte en l'absence de forces de changement capables d'imposer la contradiction. Le commandement militaire s'active à détourner «pacifiquement» l'attention du «hirak», ceci pour élaguer des exigences qui fragiliseraient des pouvoirs qu'il veut consolider par la force de destitutions tous azimuts. L'incarcération d'hommes d'affaires par l'effet de la détention préventive, de surcroît ISTN (interdits de sortie du territoire national) en est un signe flagrant.

Le temps n'a plus de prix pour un pouvoir militaire qui cherche à neutraliser ses ennemis avec une complaisance «selmia (pacifique)» du peuple. La résolution de la crise politique peut attendre. Réformer l'Algérie tout autant et plus...

Ce qui permet à une classe politique en panne d'idées de tourner en rond à l'image d'un poisson qui se mord la queue. Depuis plusieurs mois, des chefs de partis appellent à dialoguer avec l'état-major de l'ANP sans éprouver la moindre gêne de reconnaître un pouvoir militaire de fait. Entre temps, les rangs des vendredis commencent à se clairsemer même si beaucoup de jeunes pensent d'ores et déjà à un ftour sur la place de la Grande Poste. Ramadhan n'a jamais été un mois de réflexion, d'initiative ou de bon sens chez les Algériens. Les journées deviennent synonymes de flegme, de moindre effort et d'achats gourmands. C'est le mois de la dormance. Excellente période que Gaïd Salah exploiterait pour faire le point sur l'état d'avancement de son autorité sur le pays et de réitérer son appel au dialogue, cette fois-ci nocturne, autour d'un thé ramadanesque qui faciliterait une lourde digestion et mettrait en veille toute idée de changement réel.