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Le VIH et les ODD

par Christine Stegling*

BRIGHTON – Il y a trente ans, quand la communauté internationale inaugurait la première journée mondiale du sida, la plupart pensaient que la trajectoire du VIH ne pourrait jamais être renversée. Mais après des millions de décès et des années de peur, il existe des stratégies effectives de prévention de la transmission et de déploiement d’essais et de traitements aux personnes qui en ont besoin

Et pourtant, malgré les progrès remarquables réalisés ces trente dernières décennies - ou peut-être pour cette raison — nous devons éviter la tentation de déclarer la lutte contre le sida comme sur le point d’être achevée. Et dans bien des régions du monde, le plus dur reste à faire.

Depuis le tournant du siècle, bien des avancées contre le VIH ont profité des objectifs du millénaire pour le développement (les OMD), un plan de 15 ans comportant un train de mesures prioritaires visant à freiner la progression du virus. Ce plan a entraîné une expansion sans précédent des services de prévention et de traitements, en particulier dans les pays en développement. Les progrès ont été rapides et lorsque les objectifs de développement durable (ODD) ont succédé aux OMD en 2015, mettre un terme à la crise du sida n’était plus un objectif isolé. La mesure du progrès faisait maintenant partie intégrante des 169 cibles que les ODD sont censés atteindre d’ici 2030.

Mais la transition d’un «objectif» à une «cible», conjuguée aux fortes baisses des décès liés au sida, nous berce d’illusions quant aux progrès accomplis. De nos jours, beaucoup font valoir que le sida est près de disparaître. Hélas, rien n’est moins vrai.

Le VIH est un problème complexe. Les interventions biomédicales sont essentielles à la lutte contre cette maladie, mais si les gens n’ont pas accès aux médicaments ou aux services de prévention, même les initiatives les mieux planifiées échoueront. Qui plus est, les obstacles aux traitements ont souvent peu à voir avec les soins de santé, mais sont plutôt liés à des facteurs politiques et économiques ainsi qu’à la marginalisation sociale. Il est parfois difficile d’abaisser le taux d’infection dans les pays où l’inégalité des sexes empêche les femmes de décider du moment, de l’endroit où elles ont des relations sexuelles et même avec qui.

Certes, dans beaucoup de régions du monde, le VIH est maintenant considéré comme une maladie chronique soignable grâce aux médicaments et aux changements de comportements; ce fait à lui seul vaut la peine d’être salué. Néanmoins, des millions de personnes ne connaissent toujours pas leur bilan VIH ou ne peuvent obtenir l’assistance dont elles ont besoin après avoir présenté des symptômes dans les tests de dépistage. Pour que le monde puisse vaincre un jour le VIH/sida, il faut trouver des façons de combler ces lacunes.

Ceci veut surtout dire qu’il est nécessaire d’intégrer davantage la lutte contre le VIH dans la planification du développement durable. Lorsque les autorités publiques mettent tout en œuvre pour atteindre les ODD dans des domaines comme la protection sociale, la sécurité alimentaire et la violence liée au sexe, les interventions en matière de VIH doivent également faire partie de leurs programmes. Ce n’est qu’en liant les stratégies de lutte contre le VIH aux vecteurs d’infection dans la population — comme la pauvreté, le manque de scolarité et la discrimination sexuelle - que nous pouvons espérer un avenir sans sida pour tous, partout.

La route sera longue avant d’y arriver. Par exemple, le mois dernier, en Tanzanie, des centaines de personnes de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) ont dû se terrer après qu’un édile municipal de Dar es Salam ait annoncé qu’un comité de surveillance a été formé pour ficher les homosexuels et sévir contre eux. Puisque la communauté LGBT est en première ligne des initiatives de prévention du VIH en Tanzanie, toute menace envers les droits de la personne de ses membres constitue également une menace envers la riposte au VIH.

La Tanzanie est loin d’être une exception. Au contraire, comme un rapport récent de mon organisme le souligne, la situation est particulièrement sombre au Proche-Orient et en Afrique du Nord, où les relations sexuelles forcées sont répandues aussi bien dans le cadre du mariage qu’en dehors du mariage. Les femmes qui subissent ces rapports sous la contrainte et souvent la violence sont exposées à des risques plus élevés de contracter le VIH.

Les joueurs de premier plan de la riposte au sida ont toujours su que la maladie ne peut être surmontée en isolation; il faut plutôt la combattre par un ensemble de mesures qui tient compte des problématiques sociales, culturelles, économiques et juridiques interreliées. Voilà pourquoi les militants ont passé de nombreuses années à œuvrer pour que les lois discriminatoires soient abrogées, à élaborer des programmes d’information visant à améliorer la santé sexuelle et reproductive et à créer des réseaux de sympathisants qui savent que le VIH peut atteindre des personnes de toutes les nationalités, orientation sexuelle ou de tout statut économique. Alors que nous continuons à combattre la maladie, nous ne devons pas négliger la démarche inclusive qui nous a amenés au point actuel.

Le leitmotiv des ODD est de ne «laisser personne derrière». Toutefois, en ce moment, les plus vulnérables au VIH sont oubliés et seront vraiment laissés pour compte. De nos jours, les taux d’infection du VIH sont les plus élevés parmi les populations démunies et socialement marginalisés, mettant en évidence le fait que tant que les ODD ne sont pas atteints, le «but» de mettre fin au fléau du VIH/sida restera un objectif distant.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
*Christine Stegling est directrice générale de l’Alliance internationale sur le VIH/sida.