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Algérie-Maroc: Retour sur un discours de diversion

par Ghania Oukazi

Si médiatiquement, le discours du roi du Maroc a réussi à faire les « Unes » des plus grands journaux nationaux et internationaux, politiquement, l'orateur a raté, encore une fois, l'occasion de faire preuve de sincérité, envers l'Algérie, de respect de la légalité internationale et d'obligation envers les Nations unies.

Prononcé mercredi dernier, le discours de Mohamed VI continue de faire l'objet de commentaires « positifs » y compris au-delà des mers, en France particulièrement où les grands journaux ont été unanimes à y voir « une invitation sincère à l'Algérie pour régler les problèmes bilatéraux.» Saisissant une date « anniversaire » qui fait mal aux principes de liberté, d'indépendance et de consécration de droits citoyens, le roi du Maroc n'a pas hésité à tenter, encore une fois, de flouer la Communauté internationale par un discours qui n'est autre qu'une énième provocation, à l'égard de l'Algérie, une défiance aux principes des Nations unies et une fuite en avant par rapport à ses obligations envers les rendez-vous internationaux qui l'obligent à reconnaître sa faute vis-à-vis du peuple sahraoui. Il faut croire que pour cette fois, il a voulu mettre la forme en évitant d'insulter et de diaboliser l'Algérie et ses institutions ou de lancer des anathèmes à ses décideurs comme il est de tradition de faire de pratiquement l'ensemble des responsables du Makhzen et de sa classe politique.

Du coup, l'Algérie est qualifiée de « pays frère et de bon voisin.» Le roi rappellera pour cela « l'appui apporté par le Royaume à la Révolution algérienne (qui) avait contribué à renforcer les relations entre le Trône marocain et la Résistance algérienne (?). » Ce rappel n'a pas lieu d'être fait tant l'Algérie n'a jamais oublié l'aide et le soutien apportés par Mohamed V, les grands hommes du Maroc et par son peuple à sa guerre contre le colonialisme français. C'est un fait consacré dans et par son histoire de décolonisation de ses territoires. Le reste du discours, tout le reste, est pour prêter à confusion. « (?), j'ai appelé avec sincérité et bonne foi à l'ouverture des frontières entre les deux pays, à la normalisation des relations maroco-algériennes, » a-t-il commencé par dire.

Un marché de dupes

C'est donc, a-t-il avancé encore, « en toute clarté et en toute responsabilité que je déclare, aujourd'hui, la disposition du Maroc au dialogue direct et franc avec l'Algérie sœur, afin que soient dépassés les différends conjoncturels et objectifs qui entravent le développement de nos relations.» Si l'on sait que le roi du Maroc n'a pas la mémoire défaillante, c'est donc « un marché de dupes » qu'il propose à l'Algérie comme le sentent de nombreux observateurs. De pareilles propositions obligent à des rappels qui marquent le reniement fragrant des Autorités marocaines de ce qui a été fait, au plan bilatéral, pour régler les problèmes entre les deux pays. Sans trop remonter dans le temps pour noter qu'en 89, c'est le roi Hassan II qui a gelé l'Union du Maghreb Arabe (UMA), l'histoire oblige à s'arrêter à 95 pour rappeler que le Maroc a accusé, directement, l'Algérie d'avoir perpétré l'attentat terroriste de Marrakech. Il a, alors, décidé d'imposer le visa aux Algériens, fait subir des traitements d'humiliation à ceux d'entre eux qui vivaient sur ses territoires, tout en les spoliant de leurs biens. Liamine Zeroual, alors chef d'Etat a estimé que si les Algériens sont accusés d'un aussi grand tort, les frontières de leur pays doivent être fermées. Après ce triste épisode, les relations entre les deux pays ont été, totalement, gelées. Elles ont été très souvent « réanimées » par des insultes, des grossièretés, des indécences de responsables politiques, de partis ou de médias marocains. 2005 fût, cependant, l'année où les choses commençaient à bouger. L'Algérie était, clairement, engagée dans le processus de redynamisation des relations après des négociations intenses, un dialogue fructueux et une entente sérieuse entre les deux gouvernements, sur un calendrier de rendez-vous et de travail. Des commissions ont été installées pour amorcer « un mécanisme de dialogue et de concertation » susceptible d'examiner l'ensemble des problèmes qui les minaient et aplanir les contentieux en suspens. L'ouverture des frontières ne pouvait être du reste mais ne devait pas en être la priorité. L'Algérie avait alors mis « de côté » la grave accusation du Makhzen, et très loin, la guerre des sables, au lendemain de l'indépendance, qui a poussé le Président Ahmed Benbella à lancer ce cri du cœur de « hagrouna » et plus encore, « l'affaire Mgala », sans compter les chapelets d'insultes qui lui étaient destinés, à chaque fois qu'il fallait lui faire comprendre qu' «elle était ce trouble-fait à l'unité territoriale du royaume.» Des visites officielles ont même été échangées entre les deux capitales et devaient être couronnées par celle à Rabat du chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Insolence du Makhzen oblige, cette visite a été annulée en dehors de toute forme de respect des usages diplomatiques. Les responsables algériens l'ont su par une simple dépêche de l'Agence officielle marocaine qui disait que la nouvelle provenait de sources du ministère des Affaires étrangères qui jugeaient que « la visite était inopportune. »

Un discours alliant provocation et diversion

A ce jour, relèvent des observateurs, le Maroc n'en a donné aucune explication, encore moins formuler des excuses. 2012, une autre année qui a vu les relations bilatérales, quelque peu, s'emballer après la visite, à Alger, du ministre marocain des Affaires étrangères qui a fait part de l'engagement de son pays à résoudre les différents et mettre fin aux campagnes de dénigrement de l'Algérie. Mais en 2013, le climat entre les deux pays s'est totalement détérioré après la violation de l'immunité diplomatique du Consulat algérien, au Maroc, où un jeune marocain en a enlevé l'emblème national pour le profaner. Encore une fois, le Maroc ne s'est pas excusé auprès de l'Algérie. Pis encore, sa justice a condamné l'auteur de la profanation du drapeau algérien à une amende de? 200 dirhams (moins de 20 dollars). Avec ça, en 2016, Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre, avait déclaré que « l'Algérie est prête à régler ses différends avec le Maroc (?), on attend toujours la réponse (?).» Des précédents qui montrent que le royaume est loin d'être sincère. Les exemples de manque de respect à l'Algérie sont légions. Le discours que son roi a prononcé le 7 novembre dernier oblige à en rappeler les plus saillants puisque son contenu démontre la mauvaise foi de son auteur. Le contraire aurait fait que Mohamed VI passe par les canaux officiels et diplomatiques pour faire ses propositions. Il semble que ses conseillers en communication ont perdu de leur perspicacité en alignant dans un même message sa décision de se rapprocher de l'Algérie » avec en parallèle l'affirmation, a-t-il dit, que « la marche verte dont nous célébrons, aujourd'hui, le quarante-troisième anniversaire, a marqué un tournant décisif dans la lutte continue pour le parachèvement de l'intégrité territoriale du pays (?), à la récupération progressive de nos provinces du Sud. » Le roi confirme sa violation du droit international et des résolutions onusiennes, en soutenant que «ces événements historiques ont été l'occasion, pour le peuple marocain entier et pour les tribus sahraouies, en particulier, de manifester une unanimité sans précédent dans leur attachement à la marocanité du Sahara.» En 89, rappellent des observateurs, « le Maroc avait accepté une possibilité de réconciliation avec l'Algérie, en dehors du règlement de son conflit avec le Sahara Occidental, il a même reçu une délégation de Sahraouis conduite par Mustapha Sayed pour examiner la question de l'identification des populations et du référendum, mais sa volte-face a été rapide en provoquant le gel de l'UMA. » Aujourd'hui, si le roi montre à l'Algérie qu'il s'emploie à la politique de « la main tendue», il lui signifie aussi qu'il transgresse, sans gêne, son principe immuable de soutenir les mouvements de libération des peuples opprimés de par le monde. Il est connu que ce principe est consacré, dans la doctrine de sa Révolution et de sa diplomatie. Il va jusqu'à brandir la menace quand il dit que « la clarté dont nous nous prévalons se manifeste aussi par la fermeté et la rigueur extrêmes dont nous faisons preuve face à tout abus de quelque source qu'il procède, qui pourrait porter atteinte aux droits légitimes du Maroc ou dévoyer le processus de règlement, des termes de référence fixés. »

Le RDV de Genève et les intentions du royaume

Entre son souci de faire diversion et ses velléités de transgresser le droit international et les règlements onusiens, le roi fait valoir, par le même discours, sa décision « d'inscrire le retour de notre pays à l'Union africaine dans une logique de clarté et d'ambition. » Il souligne, à cet effet, que « la décision du Maroc de réintégrer sa famille institutionnelle n'avait pas uniquement pour dessein de plaider la cause du Sahara marocain, étant donné que la plupart des Etats africains partagent, d'ores et déjà la position du Maroc, à ce propos.» Ce que Mohamed VI ne dit pas c'est que le retour du Maroc dans l'Union africaine a été possible grâce à des compromissions avec des chefs d'Etats qui ont enfreint les textes régissant l'institution. Preuve en est, par sa colonisation des territoires sahraouis, le Maroc piétine un de leurs principes fondamentaux qui repose sur l'exigence de l'indépendance des peuples et des pays. Cette adhésion a été de fait, jugée juridiquement illégale, mais politiquement admise. Le succès politique de l'Algérie est de le voir siéger dans l'UA aux côtés des représentants du Sahara Occidental. Il ne réussira pas à les en exclure ni à la faire imploser et ce, grâce au soutien indéfectible à la cause sahraouie de certains chefs d'Etats africains et à leur lucidité. Le discours du roi coïncide avec l'approche d'un rendez-vous important, mettant sur la table des négociations, son conflit avec le Sahara Occidental. Tout semble être dans cette coïncide « préméditée » des événements. Il est attendu que les deux parties se rencontrent du 5 au 7 décembre prochains à Genève pour négocier les solutions de son règlement. Rabat n'a pas le choix au regard de la conjoncture internationale qui l'accule dans ce sens.

Le Maroc n'aura pas réussi à « bilatéraliser » le conflit en question, entre lui et l'Algérie, alors qu'il en fait un objectif acharné. Les idées clés de son intervention sont pour passer, aux yeux de la Communauté internationale, comme étant « un pays qui cherche la paix » face à « une Algérie qui y est réfractaire. » Si cette communauté se résume à deux capitales, Washington et Paris, qui n'ont jamais caché leur soutien au Maroc, dans son annexion du Sahara Occidental, l'opinion internationale, aussi large soit-elle, n'est pas dupe. Il est certain qu'elle voit en ce discours un attrape-nigaud par lequel le roi veut transcender ses responsabilités, en faveur de l'indépendance du peuple sahraoui, pour les braquer sur une Algérie qui refuse, selon lui, de normaliser ses relations, avec son pays en en dépassant les différends. Le RDV de Genève en dira, peut-être, plus sur les intentions du royaume. L'on s'attend à ce qu'il y ait, bien avant cette échéance, une réaction officielle des responsables algériens sur la proposition du roi de « redynamiser ses relations avec le Maroc.»