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Mohamed Aïssa s'explique: Les sectes, les salafistes et le pape

par Yazid Alilat

La prochaine béatification des moines de Tibhirine, assassinés en 1996 par des terroristes, est une «reconnaissance de l'église catholique».

La béatification «se déroulera sur la décision du Saint-Siège pour que la cérémonie se déroule en Algérie suite à l'accord donné à cette église, et se fera à Santa Cruz à Oran le 8 décembre» prochain, a-t-il annoncé hier lundi à la radio nationale. «Il ressort du communiqué de l'église catholique d'Alger que l'église voudrait tourner la page et non pas la déchirer», indique encore le ministre des Affaires religieuses. Cette cérémonie «est une reconnaissance religieuse pour rehausser au rang de martyrs ces 19 moines qui ont choisi de rester en Algérie, de servir en Algérie alors qu'il y avait le terrorisme, et leur donne le statut de Bienheureux, un statut que précède juste d'un cran celui de Saint». «L'Algérie, a précisé M. Aïssa, a donné son accord, sa disponibilité à aider, notamment dans l'octroi de visas, dans l'encadrement, dans la présence aux festivités et en donnant au caractère religieux une ampleur politique» à cette cérémonie. « Tout ce qu'a fait l'église catholique en Algérie a été fait en étroite collaboration avec les autorités algériennes», ajoute-t-il avant d'évoquer «l'hypothèse de la visite du saint pape en Algérie à une certaine date», mais il s'est empressé de souligner que le calendrier du pape «ne lui permet pas d'être présent en Algérie au mois de décembre. Mais, cela n'exclut en rien la possibilité qu'il soit invité ultérieurement». Selon Mohamed Aïssa, «suite à une enquête de cinq années, il y a eu démonstration que ces moines ont préféré servir en Algérie par dévouement et par dévotion», comme «il y a aussi ces imams assassinés sur leur pupitre, qui méritent également des éloges, et à l'occasion du vivre ensemble, nous allons aussi faire une cérémonie à l'occasion du Mawlid Ennabaoui Echarif au profit des 114 imams assassinés par des terroristes durant la décennie noire».

Par ailleurs, par rapport aux tentatives d'intrusion de courants religieux contraires au rite malékite en Algérie, le ministre des Affaires religieuses et des Waqfs, a indiqué que «le rite malékite, héritage du juste milieu, est celui de l'école de Médine, école de la modération et des versets révélés, celle du Prophète et de ses Compagnons, et c'est notre référent». Il a ainsi affirmé que la menace des sectes politico-religieuses contraires au rite malékite est toujours présente. «A la fin des années 1980 et 1990, jusqu'à l'année 2000, il y a eu intrusion de programmes pour ré-islamiser le Nord africain, dont l'Algérie, et installer des rites étrangers à celui que nous avons hérité», a-t-il expliqué. «C'est pourquoi on a vu l'émergence du wahhabisme en premier lieu, qui, fragmenté, donnera plusieurs écoles, contradictoires quelquefois, complémentaires d'autres fois. Mais il y a eu le chiisme et maintes sectes et tendances islamo-politiques qui ont voulu s'installer en Algérie». Le ministre a souligné qu'«aujourd'hui, on a fait un effort et une vraie bataille pour revenir à notre référent religieux national». Pour autant, «la menace de ces sectes existe toujours», a-t-il averti en précisant qu'«elle émane des dérives des individus, qui tendent vers l'extrémisme et la radicalisation, alors que l'islam combat cette façon de pratiquer la religion, et cela même du temps du Prophète, qui a combattu ainsi la bidaâ, qui ne peut imposer une façon rigoureuse de la religion autre que celle du Prophète». Selon Mohamed Aïssa, «tout ce que nous avons fait est de réviser le discours religieux, non pas en imposant le prêche (des imams), mais en révisant le programme de formation à partir de 2008. Le statut actuel des imams se base sur la formation, et nous avons revu tout ce que nous avions auparavant. Nous sommes en mesure de dire que ce programme nous donne des imams modérés, qui prennent le dessus sur des discours qui les qualifiaient auparavant d'ignorants, de rétrogrades et parfois d'extrémistes».

Sur le vivre ensemble, Mohamed Aïssa explique que «c'est une réalité humaine : nous ne sommes pas pareils, on est différents par notre couleur, notre idéologie politique, notre religion et nous ne pouvons vivre ensemble qu'en partageant l'espace que nous occupons. Nous fournissons un effort sur le plan religieux pour vivre ensemble». «Nous avons fait un appel aux communautés religieuses autres que musulmanes se trouvant en Algérie pour respecter les lois de la République, et en contrepartie, ces communautés sont libres, par une décision constitutionnelle et un article de loi dans la Constitution qui leur garantit la liberté d'exercice du culte en plus de la liberté de conscience».

Par ailleurs, le ministre des Affaires religieuses, sur l'épineuse question de la gestion des salles de prières, notamment celles installées dans les cités universitaires, a expliqué que «nous avons réussi à recarder ces espaces» avec «la mise en place de commissions mixtes entre les ministères des Affaires religieuses et de l'Enseignement supérieur, sous l'égide des walis dans toutes les wilayas, pour contrôler cet espace». L'objectif est, selon le ministre, «de ne plus permettre l'intrusion de prédicateurs qui viennent de l'étranger sous couvert d'enseignants ou d'encadreurs de thèses. Nous sommes en mesure d'interdire certaines activités qualifiées de radicales et d'extrémistes et petit à petit nous reprenons le contrôle de ces espaces». M. Aïssa a ajouté que «c'est ce qui a permis un apaisement dans les centres universitaires et les lieux de résidence des étudiants».

D'autre part, sur les tentatives des salafistes de prendre possession des mosquées, il a souligné que «nous avons détecté premièrement une maltraitance des imams. Nous avons une multitude d'imams qui ont été agressés, certains à l'arme blanche, d'autres malmenés sur leur pupitre, et deux d'entre eux sont décédés, l'un en 2016 à Relizane, l'autre à Tizi Ouzou en 2017». «Nous sommes en train d'introduire dans le contexte de la révision du code pénal un amendement qui défendra l'imam tel qu'il défend le juge ou l'officier de police. Nous allons y arriver et c'est pourquoi on a remarqué que l'imam n'était pas atteint par des étrangers mais par ceux qui ont pu intégrer les associations religieuses». Le ministre a expliqué que «nous avons remarqué, lors du renouvellement de ces associations religieuses, une tentative d'infiltration de courants radicaux, d'éléments subversifs. C'est pourquoi on a demandé au gouvernement de geler carrément le renouvellement de ces associations». «Chose qui a été validée. Nous n'allons plus renouveler nos associations jusqu'à nouvel ordre. Ce nouvel ordre c'est le ministre de l'Intérieur qui a donné sa date, puisqu'il s'agit de la révision de la loi sur les associations. Car la nouvelle constitution parle de loi organique sur les associations». «Les agressions sur les imams ont baissé depuis que nous avons gelé ces agréments», a conclut le ministre.