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L'un et l'autre

par El Yazid Dib

Les derniers soubresauts dans les différentes pyramides de la commande nationale sont venus une fois encore porter une pédagogie forte en enseignements que rien n'est durable. Que la stabilité n'a qu'un sens institutionnel. L'homme reste périssable autant que le sont ses béquilles.

Qu'ils portent des noms remâchés et rabâchés ou s'appellent d'un nom usuel, ils ne sont que le produit d'un sort. Une espèce de fatalité que ni l'un ni l'autre n'en avaient la moindre marge de manœuvre. Si l'un est ministre, l'autre n'est pas un rien. Il est autre chose, une globalité, un sujet, un morceau d'une grande phrase.

Il est tout sauf ministre. Ça ne l'émeut pas outre mesure qu'il ne le soit pas. Car pour lui, il suffit de voir les chutes qui se font pour qu'il déguste à pleine bouche l'élixir du plancher où il se trouve. C'est la terre qui lui sert de sommet et le caveau de palais.

Si l'on dit que le temps sait bien faire les choses, parfois il ne sait pas les finir. Du moins chez certains où ce temps reste à prendre pour de la hardiesse et de la dextérité. Ils diront même qu'être ministre ou l'avoir été est un jeu bien pensé avec le hasard et le grand coup de pouce. Aviez-vous vu un ministre heureux ? Si le plus souvent son sourire est une comédie, son arrogance ne sera qu'une imitation, rappel de ce qu'il a subi pour en arriver là. Une revanche sur les affres d'un passé qu'il refuse d'accepter. Aussi est-il des gens de ceux qui, une fois mis en orbite, rient sur tous les anciens présages leur profilant les fausses probabilités d'une future apothéose. En croyant l'avoir en finalité, c'est au sort qui rira bien étant le dernier à se permettre le rire. Il viendra ce temps où la solitude remplira l'agenda et la morosité des journées et couvrira la longueur de ce temps. Il aura, ce ministre, l'oisiveté comme amante et la nostalgie comme seule et unique compagne. Que de noms et de noms sont partis dans la masse sans pouvoir se détacher d'une ivresse de pouvoir, sans pouvoir oser se mêler à la foule. Sortant d'une vie claire et affichée, ils s'essayent à assiéger une autre qui ne semble pas bien les accueillir. Par orgueil ou dépit, à défaut de se confiner dans la petite peau d'un intrus dans la vie civile, ils flirtent avec les limites d'une clandestinité qu'ils n'osent pas déclarer.

Ils sont là à éplucher, comme des parapheurs, les peines du jour en tentant de rétrécir celles de la nuit. Partisan à l'excès du mode l'ayant produit, il s'oublie vite dans cette aisance passagère qui va lui paraître tel un paradis éternel. Il oublie aussi qu'ainsi créé, il s'est mis entre les dents d'un pouvoir qui ne le ratera pas à la prochaine rotation.

Il retournera, brisé et plein d'amertume à la base, sans pour autant y croire. Il revient à sa citoyenneté, perdue depuis sa date de nomination. Ainsi, il en connaîtra à ses dépens, dans un isolement téléphonique et environnemental total, la sincérité amicale et l'inimitié professionnelle. Il ira remplir ce qu'il n'a pu remplir des années durant. Des visites familiales, amicales et de la commémoration méditative.

L'autre n'est pas une goutte de pluie née de la toute dernière. C'est le fond du pays, sa sève indifférente. Il a roulé les bosses et avec la sienne autant de fois qu'elles se cahotent aux coïncidences fatidiques d'une époque qui n'est plus bonne à vivre. Il lui arrive de tomber dans un trou indéfinissable, de mourir dans un déluge, d'être tué par un parkingeur, d'applaudir ou de huer. Cet autre que l'on voit raser les loges et remplir la mosquée, les cafés, les cages d'escaliers, celui que l'on dit malpropre, incivil et impoli, n'est autre qu'un individu qui se dissimule dans chaque identité nationale. Il habite aussi les ministres et consorts. Cependant, il sera toujours là, devant ses mémoires, ses souvenances, ses muses et ses immenses espoirs.