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Sommet européen: Europe, cette veuve éplorée

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Après avoir entraîné l'Europe dans des guerres et après l'avoir «isolée» stratégiquement de son voisin naturel russe, les USA la trahissent et menacent de la punir si elle n'obéit pas aux injonctions de Donald Trump.

Face au radicalisme aventureux et provocateur du président américain, l'Union européenne (UE) joue à quitte ou double son avenir, voire sa survie politique. Réunis à Sofia (Bulgarie) le mercredi et jeudi dernier, les 28 chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE ont manifesté un sursaut d'orgueil en «jurant» de ne plus céder face aux injonctions du président américain, Donald Trump, dans la gestion des affaires du monde et dans la résolution des crises et conflits internationaux. Déclaration qui honore, certes, la vieille Europe mais qui sonne comme le «baroud d'honneur» d'un vaincu. D'abord parce que cet engagement de résister aux coups de force portés à l'équilibre géostratégique mondial en une seule année de présence à la Maison Blanche de Donald Trump apparaît au moment où l'UE est dos au mur, chez elle, face aux montées des populismes (dont Trump s'en revendique) qui fracturent son Union et affaiblissent son action diplomatique. Ensuite parce que ce semblant de sursaut d'orgueil collectif cache mal les discordes et désaccords entre les 28 Etats membres dans leurs rapports politiques, commerciaux et sécuritaires aux USA.

Les Européens savaient et savent que Donald Trump ne défend que les seuls intérêts des USA et a, dès son arrivée au pouvoir, annoncé la couleur en se retirant de l'accord sur le climat de la COP 21 signé en décembre 2015 à Paris. Puis, il en a fait de même pour l'Alena, l'accord de libre-échange avec ses voisins canadiens et mexicains.

Puis, il a décidé d'instaurer des taxes à l'importation de l'acier et l'aluminium européens. Puis, sur le plan politique il a décidé du transfert de son ambassade à Israël de Tel-Aviv à El Qods occupé. Pendant tout ce temps, celui d'une seule année en fait, l'Europe faisait la politique de l'autruche en ne voulant pas voir et croire que les USA de Trump ne céderont pas un pouce de leur vision du nouveau monde, celui dominé par les plus forts (c'est-à-dire eux les USA) et ne feront pas de compromis géostratégique avec l'Europe lorsque leurs intérêts sont en jeu.

D'ailleurs, Trump avait averti dès les premiers mois de sa présidence que l'Otan (encore les USA) «n'assurera plus la sécurité de l'Europe gratuitement ou au rabais». Du coup, le retrait des USA de l'accord sur le nucléaire iranien que le président Trump a dénoncé déjà lors de sa campagne électorale n'est en soi pas une surprise pour l'Europe et le reste du monde. Trump l'a promis, Trump l'a fait.

La nouveauté ou la surprise est sa décision de sanctionner les pays qui commerceraient avec l'Iran. Et le président américain sait la force de sa menace: la quasi-totalité du commerce et coopération industrielle Iran-Europe se fait en dollar américain.

Entendu que pratiquement la totalité des banques européennes ont des succursales aux USA et transitent par la valeur dollar dans leurs échanges, il ne reste pas de marge de manœuvre aux Européens pour garantir leur autonomie financière. S'étant rués vers l'Iran au lendemain de l'accord sur le nucléaire de juin 2015, Français, Anglais et Allemands en particulier se trouvent pris dans le piège américain et risquent gros en termes financiers au cas où ils enfreignent l'ordre de Washington sur la question iranienne.

A Sofia, les Européens ont décidé d'actionner dès vendredi matin la «loi de blocus» de 1996 qui leur permet d'instaurer des tarifs et taxes douanières sur les produits importés d'ailleurs, donc des USA. Cela concerne des produits de consommation courante tels les vins et fromages américains par exemple. Ils ont aussi évoqué l'idée de réformer l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Peu de chance que ces mesures refroidissent l'avidité commerciale de Trump ou impactent l'économie américaine ou la nature guerrière et le jeu d'affrontement auquel s'adonne Donald Trump çà et là à travers le monde. Paradoxalement, la crise euro-atlantique pourrait trouver une issue ou du moins être atténuée grandement si les Européens lèvent leurs sanctions commerciales à encontre de la Russie de Vladimir Poutine, signataire de l'accord sur le nucléaire iranien et acteur capable de résister et de contrer les velléités guerrières de Donald Trump. Mais là encore, ce sont d'autres calculs géostratégiques peut-être plus compliqués à aller au compromis. Finalement, en froid et isolée de la Russie, l'Europe est reniée par son mentor américain. Seule plus que jamais, l'Europe risque de perdre les derniers restes de sa souveraineté politique et peut-être même son existence sur le moyen terme.