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Une nouvelle session du baccalauréat: La complaisance érigée en norme !

par Mohamed Mebtoul

Peut-on se murer dans le silence face à un autre scandale, un de plus, qui concerne le mépris le plus abject à l'égard du savoir ? Donner la possibilité aux absentéistes et aux retardataires de refaire le baccalauréat dans de conditions plus avantageuses (après le ramadhan, un temps plus important pour les révisions) que la «foule», les autres, peu considérés parce qu'ils ont été paradoxalement sérieux, en respectant le temps prescrit par l'administration. Mais la symbolique, c'est-à-dire, l'annonce de la décision d'une nouvelle session du baccalauréat, au profit des absents et des retardataires, au cours des travaux de l'Assemblée nationale des «représentants» du peuple montre on ne peut mieux que tout est possible dans nos contrées, même en bafouant publiquement une institution comme le baccalauréat. Faire en sorte que le laxisme ou la paresse soit érigée en droit, ouvrir des brèches pour que demain, les élèves puissent exiger de repasser le bac pour cause d'absentéisme, et se retrouver sans honte à l'université, etc.. comme si de rien n'était. L'oubli apparaît bien comme une aubaine pour certains et une arme pour d'autres qui n'accepteront jamais de s'inscrire résolument dans la valorisation de la mémoire d'une institution. Elle consiste simplement à mettre en valeur le travail effectué. Mais ceci est de l'ordre du rêve dans une société qui fonctionne au silence et à la confusion propices à un égalitarisme ravageur qui tue l'émulation au travail et favorise l'étiquetage négatif «Qu'a-t-il fait celui-là ?». On aboutit nécessairement à naturaliser ou à normaliser la quête de privilèges octroyés qui sont autant de dettes à l'égard de ceux qui ont permis leur distribution. Tout semble partir en lambeaux dans nos institutions, quand la complaisance est reconnue comme une posture excusable, en invoquant, par la manipulation, tous les prétextes inimaginables, pour permettre aux agents sociaux de se construire constamment une autre «virginité». Permettre aux retardataires de refaire le baccalauréat, c'est bien redonner du sens et de la pertinence à la complaisance qui devient une «règle» reconnue par le système politique et social. Qu'importe s'il faut pour cela replonger dans la mise en place des conditions organisationnelles, matérielles et temporelles, patiemment élaborées durant toute l'année concernant l'examen du baccalauréat. Mais le risque majeur est de créer un antécédent dans l'histoire du baccalauréat, en le discréditant encore davantage. Plus essentiellement, la question du temps et de son respect reste toujours de l'ordre de l'aléatoire dans une société orpheline de normes socialement reconnues et intériorisés par un Etat présent qui s'inscrit dans l'exemplarité. La rigueur temporelle devient un non-sens dans un système patriarcal. A l'inverse, le «déviant» est celui qui a intériorisé la discipline et le travail. Il se retrouve toujours à côté et à la marge de l'institution. La façon dominante de fonctionner consiste à se rendre mutuellement service entre ses membres, dans une logique paternaliste et clientéliste. Cette logique «familiale» (entre nous) a en grande partie son interprétation dans l'absence de toute légitimité, politique, juridique ou scientifique. La complicité relationnelle et affective prend une ampleur considérable dans un système social qui redonne de la pertinence à la métaphore suivante : surtout ne pas faire du tort à personne. («Ma nr'bahch laib»). Peut-on être exigeant vers les autres, qu'on est très peu à l'égard de soi-même ? Cette absence d'exigence et de rigueur est profondément symptomatique d'un système social qui n'a pas encore accédé à la reconnaissance sociale de l'Autre sur la base du travail réellement accompli. Le flou organisationnel aidant, il est possible de naviguer sans cesse dans les eaux troubles, de se construire des statuts fictifs mais sans aucune trace, sauf par la parole et la rhétorique verbeuse.

La décision de refaire le baccalauréat au profit des absentéistes et des retardataires représente une belle «victoire» pour les adversaires du savoir et une concession majeure à la complaisance ! A l'angoisse des parents qui vivent de façon intense et cauchemardesque l'examen du baccalauréat devenu un mythe profondément sacralisé, perçu à tort comme étant incontournable parce qu'il y va de leur prestige social, vient s'ajouter un sentiment d'injustice pour les familles et les élèves qui ont privilégié la rigueur temporelle. Feu Mohamed Arkoun avait raison : quand l'ignorance est profondément institutionnalisée, le savoir critique ne peut être que profondément laminé pour être remplacé par des dogmes et des vérités établis définitivement sans aucune remise en question. Ce qui devrait pourtant représenter la force de l'éducation, c'est bien sa pérennité et son autonomie face aux aléas du politique, refusant toutes les expérimentations hasardeuses, rarement sous-tendues par des études rigoureuses. Ibn Khaldoun affirmait, dès le XIVème siècle, qu'on ne peut soumettre inconditionnellement l'éducation et la culture qui symbolise la «permanence» à un pouvoir quelconque, politique, économique et social, qui représente «l'éphémère» (Moutassine, Revue Correspondance, n°63, 2000).