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Affaire des moines de Tibhirine: Yves Bonnet parle de lobby anti-algérien

par Yazid Alilat

L'ex-directeur de la DST française Yves Bonnet estime que beaucoup d'hypothèses dans l'assassinat, en 1996, de sept moines trappistes du monastère de Tibhrine, sur les hauteurs de Médéa, sont «fantaisistes».

Yves Bonnet, qui a dénoncé lors de la présentation, lundi soir, sur TV5 Monde, de son livre « La deuxième guerre d'Algérie: les zones d'ombre de la tragédie des moines de Tibhirine, enfin levées », estime qu'il y a en France un lobby anti-algérien. « Ce que je regrette, dans cette affaire, chez nos compatriotes, c'est qu'il y a une certaine faction de l'opinion française, qui se délecte en permanence des malheurs de l'Algérie. Il y a un lobby anti-algérien, il faut le dire, qui n'est pas très puissant mais il existe quand même», a-t-il dit précisé. Selon l'ex-N1 des services de renseignements français, « ces gens se réjouissent des malheurs de l'Algérie, et qui ont tendance à prêter aux Algériens des comportements et des pensées qu'ils n'ont absolument pas ». Il a, dans la foulée, stigmatisé le rôle, absolument, tendancieux des médias français, dans cette dramatique affaire. « Les médias, particulièrement français, ont joué dans cette affaire un rôle que je n'approuve pas. Je ne partage pas, en particulier, un certain nombre d'hypothèses qui ont été émises et qui sont d'ailleurs fantaisistes, et qui visent, uniquement, à faire de cette tragédie, une sorte de machination algérienne », a-t-il souligné. Yves Bonnet revient, en outre, sur le rôle trouble des responsables politiques français de l'époque, dont l'ex-Premier ministre Alain Juppé et son ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les moines trappistes Christian de Cherge, Luc Dochier, Paul Favre Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard sont enlevés du monastère et emmenés vers une destination inconnue par le GIA, alors dirigé par Djamel Zitouni. Une version confirmée bien après par un de ses adjoints, Boukabous. Un peu plus de deux mois après, le 30 mai, les têtes des moines assassinés ont été retrouvées, au bord d'une route de montagne. Mais leurs corps n'ont jamais été retrouvés. S'ensuit, alors, une terrible tension entre Alger et Paris, au plus fort des attentats terroristes en Algérie, les deux parties accusant l'autre d'avoir provoqué l'assassinat des sept moines. En octobre 2014, un juge algérien du pôle spécialisé dans les affaires de terrorisme et le crime organisé, s'était rendu à Paris, accompagné de deux collaborateurs, dans le cadre de cette affaire. La mission du juge algérien, qui est intervenue après celle de son collègue français Marc Trévidic, était simple : entendre deux anciens officiers des services secrets français, Pierre le Doaré, ancien chef d'antenne de la DGSE, à Alger (1994-1996), et Jean-Charles Marchiani, ex-officier du même service et ex-préfet du Var, proche et homme de main du ministre de l'Intérieur Charles Pasqua. M. Marchiani, également proche du milieu marseillais, avait été chargé d'une mission auprès du Groupe islamique armé (GIA), qui avait revendiqué le massacre. Il a confirmé, au juge antiterroriste, chargé côté français de l'affaire Marc Trévidic, en 2012, que cette mission avait été décidée par le Président Jacques Chirac, pour négocier une rançon, mais que le Premier ministre de l'époque, Alain Juppé, qui n'en avait pas été informé, y a mis fin, signant « l'arrêt de mort des moines », selon le témoignage de M. Marchiani. Quant à Pierre le Doaré, il avait reçu, dans les locaux de l'ambassade de France, à Alger, un émissaire du GIA qui lui avait remis une bande sonore, preuve de vie des moines, en captivité, selon plusieurs témoignages et documents. Marc Trevidic, chargé par le parquet de Paris de ce dossier, et sa collègue Nathalie Poux, s'étaient rendus, en 2014, au monastère de Tibhirine, dans le cadre d'une commission rogatoire, demandée, en 2011, pour élucider l'assassinat des moines trappistes. Plus aucune information de nature à éclairer, davantage, ce dossier n'a été divulguée, hormis le témoignage de Boukabous, sur les circonstances de l'assassinat des sept moines trappistes, par le GIA. Ni le parquet d'Alger, ni celui de Paris, n'ont rendu publiques leurs conclusions.

Dans son intervention, lundi soir, à TV5 Monde, Yves Bonnet relève que « pour moi, il y a deux choses qui me frappent dans l'affaire des moines de Tibhirine: d'abord la coopération entre les services français et algériens a toujours été bonne, au-dessus des débats, en dépit des instructions délivrées par le pouvoir politique, en particulier par Alain Juppé (Premier ministre, au moment des faits, Ndlr), qui avait, clairement, interdit aux services français de travailler avec les services algériens ». Il a précisé qu' « heureusement qu'ils ne l'ont pas entendu ». Le second fait relevé par l'ex-patron de la DST c'est que « les relations entre l'église catholique d'Algérie, le gouvernement et l'Etat algériens n'ont jamais été affectées ». « Il faut souligner, a-t-il dit, l'attitude exemplaire de l'église catholique d'Algérie, qui a su rester au-dessus du débat. Elle a voulu être algérienne et elle a parfaitement réussi », a-t-il ajouté. Yves Bonnet confirme, en outre, que les relations entre les services de renseignements des deux pays sont bonnes. « Avec nos partenaires algériens, il y a des liens, de la confiance, parfois ce sont des liens personnels. Ils sont très forts. Il faut les maintenir et les développer. L'Algérie est notre premier partenaire, dans la lutte antiterroriste », a-t-il affirmé.