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Violences conjugales: Human Rights Watch réclame une «législation plus complète»

par Mohamed Mehdi

Human Rights Watch (HRW) a dévoilé son rapport sur les «violences domestiques» en Algérie. Le document, intitulé : «Ton destin est de rester avec lui : la réponse de l'Etat aux violences domestiques en Algérie», a été présenté hier au siège d'Interface Media, par Ahmed Benchemsi, directeur de la Communication et du Plaidoyer pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, de HRW.

Le rapport, dont un résumé a été distribué aux journalistes, a été rédigé après un «travail d'une année en Algérie, mené par les enquêteurs de Human Rights Watch», affirme M. Benchemsi. L'ONG a interrogé 20 victimes de violences conjugales, mais également des représentants d'organisations non gouvernementales, des avocats et des psychologues. L'ONG précise avoir «exprimé des demandes de rencontre et d'informations spécifiques auprès du gouvernement, mais n'a reçu aucune réponse».

Le document relate quelques cas de violences extrêmes subies par des épouses de la part de leurs maris. Parmi les cas révélés, le rapport relate de véritables scènes de tortures.

Cependant, les victimes de «violences domestiques» rencontrent «divers obstacles lorsqu'elles essaient de quitter ces relations abusives», affirme le rapport de HRW, citant la «pression sociale» qui oblige les femmes victimes à «maintenir la cohésion de leur famille». «Bien qu'elles aient souffert de blessures graves, plusieurs femmes ont déclaré à Human Rights Watch que leurs proches les avaient encouragées à se réconcilier avec leur mari. La police a souvent prodigué le même conseil en disant qu'il s'agissait d'«affaires privées» et en ignorant les dispositions légales incriminant ces abus.

Plusieurs avocats ont indiqué à Human Rights Watch qu'à cause de ces habitudes et d'autres obstacles, la plupart des survivantes ne portaient pas plainte ou laissaient tomber leur plainte à partir de l'enquête», affirme l'ONG. «Ces barrières sont aggravées par les échecs du gouvernement algérien qui ne prend pas les mesures adéquates pour empêcher les violences domestiques, protéger les survivantes et créer un système global de poursuite judiciaire des auteurs», ajoute le rapport.

Si HRW reconnaît «la nouvelle loi criminalisant les violences domestiques est une avancée positive», l'ONG estime que cette législation présente néanmoins des «failles importantes». «Les autorités algériennes devraient maintenant adopter une législation complète et des politiques de prévention des violences domestiques et de soutien des victimes», affirme HRW.

Parmi les «failles» relevées dans la «loi n°15-19», le rapport en cite cinq aspects. Le premier concerne la «possibilité» offerte au «coupable» de pouvoir «échapper à sa peine ou de bénéficier d'une peine réduite si la victime lui pardonne». Pour HRW, cette disposition accroît la «vulnérabilité de la victime face à la pression sociale lui enjoignant de pardonner à son agresseur». Deuxième remarque du rapport, «l'absence d'une mention explicite du viol conjugal» dans la «définition des violences domestiques» apportées par la loi algérienne. «Troisièmement, la loi repose excessivement sur les évaluations des invalidités physiques pour déterminer le niveau de sentence, sans proposer de directives aux médecins légistes sur la façon de déterminer les invalidités dans les affaires de violences domestiques», note le document.

HRW estime que «la loi ne comporte pas de clause sur les ordonnances de protection (appelées ordonnances restrictives)» dont l'objet est de «protéger les victimes contre de nouveaux abus, par exemple en interdisant au responsable présumé d'appeler la victime, en l'obligeant à rester à une certaine distance de la victime ou à quitter le domicile partagé avec la victime». «Enfin, ajoute la rapport, la loi manque de directives sur la façon dont la police devrait traiter les affaires de violences domestiques».

Recommandations

Le rapport de Human Rights Watch sur les violences conjugales dresse une longue liste de recommandations adressées au législateur, au gouvernement, à certains départements ministériels (Intérieur et Solidarité nationale), ainsi qu'aux partenaires internationaux de l'Algérie dont l'UE et ses Etats membres.

Au «Parlement algérien», le rapport recommande de «modifier la loi n°15-19 en supprimant les références explicites qui permettent de mettre fin aux poursuites», et «d'inclure le viol et les violences sexuelles» comme «forme de violence domestique».

Au gouvernement algérien, le rapport recommande d'établir «une base de données nationale sur les violences commises contre les femmes, avec des informations sur les violences domestiques comme le nombre de plaintes reçues, d'enquêtes entreprises, de poursuites engagées, de condamnations obtenues, et de peines imposées aux responsables». L'ONG souhaite que ces données soient «récoltées à intervalles réguliers» et devraient être ventilées par sexe, par âge, par appartenance ethnique, et selon d'autres caractéristiques pertinentes».

Au ministère de l'Intérieur, le rapport de HRW suggère l'établissement d'un «protocole d'intervention de la police en cas de violences domestiques» l'obligeant «d'accepter et d'enregistrer les plaintes» et «d'informer les rescapées de leurs droits en terme des de protection, de poursuite judiciaire et de réparation». Il est également recommandé d'inscrire une «formation spécialisée sur les violences domestiques».

Au ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme, le rapport de HRW recommande de «lancer des campagnes de sensibilisation publique sur la criminalisation des violences domestiques et lutter contre les attitudes sociales consistant à (les) normaliser».

A l'adresse des «partenaires internationaux de l'Algérie», il est recommandé de «soulever comme point de préoccupation central la violence contre les femmes et les violences domestiques en Algérie», et «d'assurer le financement de soutien des foyers pour survivantes de violences domestiques».