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Suppression de la subvention de l'orge, les retombées d'une mesure

par Aissa Manseur*

L'Algérie importe plus que la moitié de ses besoins en céréales, notamment l'orge, produit incontournable pour l'alimentation des ovins. La production nationale qui ne dépasse pas les 09 millions de quintaux ne peut subvenir aux besoins du cheptel national estimé à plus de 25 millions de têtes. Les quantités d'orge importées sont de l'ordre de 800 000 tonnes avec une enveloppe de 170 à 200 millions de dollars ; ces quantités étaient cédées aux éleveurs à travers l'OAIC, à un prix soutenu.

Finalement, la subvention de l'orge a été levée par la loi de finance 2017, son application entre en vigueur et fait passer le prix du quintal de 1 500 DA à 2 750 DA, une augmentation de plus de 80%. Les initiateurs de cette mesure croient répondre aux inquiétudes des éleveurs qui ne tiraient pas profit de ce soutien à cause des spéculateurs qui détiennent le marché de ce produit qu'ils alimentent et imposent les prix comme bon leur semble ; officiellement, cette décision a été prise suite à la demande des éleveurs.

Les éleveurs peuvent-ils demander une telle augmentation pour un produit essentiel à l'exercice de leur profession ? Veulent-ils augmenter les prix des facteurs de production et accroître les charges ? Il est inconcevable que cela se produise. Les éleveurs ont, en effet, demandé l'intervention des pouvoirs publics pour sévir contre les spéculateurs qui ont la mainmise sur le marché et leur imposent leur diktat et s'enrichissent en dépit des préjudices portés a toute une activité stratégique et portent atteinte à sa survie.

Cette mesure ne pourra jamais assainir le marché et anéantir le pouvoir des spéculateurs ; au contraire, elle enfonce davantage la pression exercée sur cette frange de producteurs qui subissent déjà des difficultés interminables ; elle ne pourra que réduire la marge bénéficiaire des spéculateurs ou alors fera croître le prix du quintal de ce produit sur le marché parallèle de 3 000 à 4 000 DA. Les éleveurs peuvent-ils s'en procurer à ce prix exorbitant ?

C'est dans la logique des choses si certains abandonnent leur profession ; les éleveurs qui ne peuvent plus nourrir leurs cheptels, s'en débarrassent ; sans emploi, ils rentrent dans le gouffre du chômage avec toutes les conséquences qui en découlent.

Cette mesure aura également un effet sur le prix des viandes rouges qui s'envoleront sur les marchés ; les consommateurs subiront les retentissements, leur pouvoir d'achat s'altère davantage, l'accès à ces protéines animales relèvera de l'utopie.

Dans ce cas, l'Etat recourt-il à l'importation des viandes rouges? Peut-on exercer encore plus de pression sur la balance des paiements du pays qui enregistre déjà un déficit prononcé ?

La culture des céréales en général et de l'orge en particulier n'est pas assez développée en Algérie, sa conduite se fait de façon traditionnelle et sa production est tributaire des précipitations. Une surface de 3 500 000 ha est réservée à ces cultures dont seulement 200 000 ha sont irrigués, dont la culture de l'orge ne représente que 10 %.

C'est la rareté de ce produit qui est à l'origine du marasme dont souffre l'activité de l'élevage ; le problème de l'alimentation des cheptels se pose avec acuité surtout durant les saisons sèches où les pâturages se font rares ; le recours à l'orge comme aliment essentiel est donc inévitable, l'orge étant subventionnée pour venir en aide aux éleveurs mais son écoulement sur le marché est tombé entre les mains des spéculateurs qui agissent avec la complicité certaine de l'organisme qui atteste de la qualité d'éleveur et des coopératives chargées de la commercialisation du produit. Le contrôle de ces deux entités est nécessaire et peut déjouer toute tentative d'infiltration de la corporation par des intrus.

A court terme et pour pallier à tous ces problèmes qui prévalent dans les marchés de tous les produits agricoles, il est primordial de réguler ces derniers par les mesures qui s'imposent en sévissant avec force et avec toute rigueur contre toute infraction ; cela suppose volonté, détermination et audace.

A long terme, il faut travailler sur le développement de la filière des cultures fourragères par l'accroissement des surfaces emblavées irrigables afin d'améliorer la production et subvenir aux besoins sans faire recours à l'importation ni à la subvention.

Encore une fois, c'est la politique agricole qui est mise en cause, une politique agricole qui peine à atteindre l'autosuffisance en produits stratégiques, une politique agricole budgétivore durant plus d'une décennie sans pour autant apporter un plus pour ce secteur névralgique de l'économie nationale.

*Expert agricole