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Législatives 2017: Derbal, une «proposition» et des interrogations

par Ghania Oukazi



La proposition de Abdelwahab Derbal pour présider la commission de surveillance des élections s'inscrit dans un choix d'hommes qui répond à des critères que seul le président Bouteflika choisit et fixe.

Au regard des pouvoirs que lui lègue la Constitution, il est évident que toute décision d'envergure revient au président de la République, et ce quel que soit son impact sur la scène politique. Sa demande de consultation des partis sur le choix de Abdelwahab Derbal pour présider la commission nationale de surveillance des élections devient de fait superflue. Il se pourrait cependant que, par le lancement de cette consultation, Bouteflika a voulu empreindre son choix d'un caractère quelque peu aléatoire. Mais l'on a toujours relevé qu'à chaque fois qu'il avance un nom pour assumer une quelconque décision, celui-ci est pour être retenu, et ce quel que soit le refus des autres acteurs. A moins d'un changement d'avis de dernière minute sur la personne, le chef de l'Etat a déjà entériné le nom de Abdelwahab Derbal à cette nouvelle mission. S'il est vrai que le nom de l'homme n'a jamais été mêlé aux nombreuses frasques qui secouent le pays, il est connu pour être un membre influent du courant politique islamiste national. La remarque n'a rien d'un reproche mais le courant en question ouvre la voie à de profondes spéculations, notamment chez ceux qui saisissent toutes les opportunités pour briller par leurs surenchères. Mais l'on ne manquera pas d'interroger si ce choix du courant politique islamiste ne répondrait pas à des exigences «post-printemps arabes» qui ont voulu mettre en évidence des démocraties qui n'ont de celles-là que l'appellation. Abderezak Makri, issu du même courant, explique bien ce genre de situation en parlant de «démocratie de façade que soutiennent les Occidentaux».

A propos du choix de Abdelwahab Derbal, le président du MSP estime qu'il répond à un vide dans «les placards» du pouvoir. Il explique que «depuis toujours, ils nous ont sorti des hommes des placards pour leur confier des missions; aujourd'hui, leurs placards sont vides alors ils se tournent vers un homme connu pour sa crédibilité pour nous convaincre de leur bonne foi». Toutefois, pour lui, «c'est la même pratique, c'est la même stratégie d'un pouvoir en mal de crédibilité».

Les partis «alibis» et la politique des quotas

Makri n'a pas manqué cependant de souligner à propos de ce choix que «à la limite, nous ne sommes pas tenus de donner notre avis sur Abdelawahab Derbal que nous considérons comme une personne très respectueuse et très respectée». Le problème de la crédibilité des élections reste entier à ses yeux. «Ce n'est pas le choix de l'homme qui dérange mais c'est la mise en place de l'instance même de surveillance des élections, les missions et prérogatives qui lui sont dévolues, la volonté politique qui manque pour organiser des élections transparentes». Bien que le rendez-vous des locales et des législatives ne sera effectif qu'après le 1er trimestre de 2017, le président du MSP est d'ores et déjà convaincu que ces élections n'auront rien de transparent. «La volonté politique n'existe pas, puisque la commission est une instance de contrôle et non de préparation et d'organisation comme il se doit, elle n'a rien d'indépendant parce qu'elle dépend totalement de l'exécutif», fait-il remarquer. «Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de niches de fraude qu'avant, du fait qu'on nous prive, par exemple, d'être dans la commission de wilaya; il n'y a donc rien d'acquis en matière de transparence», affirme-t-il. Il déplorera au passage la politique des quotas que le pouvoir a toujours employée pour créer les équilibres qui l'agréent au sein des institutions. «Ils n'ont même pas besoin de discuter avec les partis politiques sur les quotas, ils ont deux partis alibis - le FLN et le RND - à qui ils donnent le nombre de sièges qu'il faut pour la mise en place de ces équilibres», indique Makri. Il rappellera, pour l'histoire, non sans amertume, «les élections de 2012 où le pouvoir a donné un siège à un parti politique à Bord Bou Arreridj mais ce parti a refusé de le prendre, ça a créé un véritable problème, il nous a aussi enlevé un siège à Chlef pour le donner à un autre parti (?)».

La guerre des «positions»

Il en déduit que «le choix des hommes, c'est la démocratie qui le permet, le pouvoir doit donc garantir la transparence des élections pour permettre au moins pour cette fois l'émergence de partis politiques qui pourront s'entendre sur la constitution d'un gouvernement d'entente nationale et sortir le pays de la crise, c'est la dernière chance qui nous reste pour assurer la transition qu'il faut». Le président du MSP regrette qu'«aujourd'hui, s'il n'y a plus de cabinet noir, il y a des clans au sein du pouvoir qui tirent chacun de son côté, des clans qui se connaissent mais ne se reconnaissent plus». Il affirme que «ce qui est le plus grave aujourd'hui, ce n'est plus que le président soit malade mais qu'il ait créé le vide autour de lui, ce qui a poussé au déclenchement d'une guerre dans sa cour pour occuper ce vide». Il est persuadé que «le président Bouteflika décide toujours mais n'a plus le leadership d'avant».

Les partis politiques sont ainsi braqués sur l'organisation des élections à venir pendant que ceux qui s'identifient comme étant «les hommes du président» régurgitent des propos qui ont transformé l'activité partisane en un jeu malveillant de bas étage. Jeu qui ne semble pas déranger les responsables des plus hautes fonctions de l'Etat.

Le manque de réaction du directeur de cabinet de la présidence de la République a été sidérant à cet effet. Avec une suffisance qu'il n'a jamais cachée, Ahmed Ouyahia a voulu certainement montrer qu'il est bien au-dessus des propos de son frère ennemi, le secrétaire général du FLN.

«C'est grâce à Chakib Khelil»

A moins qu'il lui a été demandé de ne pas faire de commentaires sur les cancans de Saadani comme il est demandé à ce dernier de «casser» du Toufik à tout venant. C'est du moins ce qui pourrait en être déduit au milieu de cette débandade d'un parti dont le chef de l'Etat est président d'honneur. Saadani fait une fixation qui frôle l'hystérie. On est loin du FLN qui aura vécu ne seraient-ce que les séquences d'un changement de secrétaire général par ce que l'histoire aura retenu comme étant «un coup d'Etat scientifique» pour avoir obligé ses responsables à conspirer sans se rapetisser en propos. C'était au temps où un Abdelhamid Mehri était compté dans ses rangs? Le FLN a aujourd'hui tout perdu de ses intrigues qui pouvaient tenir en haleine l'institution la plus stratégique du pays qui est l'Armée nationale populaire dont les responsables les plus influents faisaient partie de son bureau politique et de son comité central. Ceci sans compter avec les services secrets qui pullulaient à tous les niveaux. C'est bien que le FLN se soit affranchi du poids des militaires pour les laisser rencontrer dans les casernes. Mais il est dommage que du 5 octobre 88, l'Algérie n'aura retenu que le rythme de propos irresponsables d'un Saadani manquant atrocement d'intelligence et d'habileté. Le président de la République ne semble pas dérangé par le niveau de dangerosité que ces propos font peser sur le pays tout entier. Il continue sa chevauchée vers les législatives au milieu de ce décor désolant et ce désordre insolent. Cette «insouciance» des gouvernants décourage les plus téméraires des gestionnaires. Des cadres de la nation se sont contentés de dire que si l'on a susurré dans les coulisses de la réunion d'Alger des membres de l'OPEP que «si l'objectif de les faire prendre une décision a été atteint grâce à Chakib Khelil», c'est que les choses se passent bien ailleurs et autrement qu'on le pense, même si le tempo est assuré par Saadani?